L'ami : $b dialogues intérieurs
SURPRISES
— La vie nous surprend à chaque instant. Dans l’ardeur de l’action, d’une minute à l’autre, on se trouve avoir dit ou fait des choses injustifiables devant les principes les mieux reconnus. Quelle misère ! Je suis honteux d’y penser.
L’Ami. — Tu aurais tort de prendre à la légère ces inconséquences. Rien n’est humiliant comme de constater que nos mouvements irréfléchis jurent avec notre idéal. Se vouloir pondéré, équitable, large d’esprit, détaché des petites vanités, et se surprendre en flagrant délit de déséquilibrement, d’étroitesse, d’amour-propre vulgaire ou de sensualité, c’est un témoignage de faiblesse, douloureux à enregistrer. Aspirer à la vie haute et vraie et se sentir indécrottable, comment s’y résigner sans abdication ?
Ta peine me paraît donc justifiée. En une certaine mesure elle t’honore. Mais que ce soit vraiment la douleur d’être insuffisant, injuste, faible ou méchant, et non de l’orgueil blessé. Les meilleurs sentiments sont exposés aux pires contrefaçons.
Ne t’abandonne pas cependant à la douleur d’être mauvais ! Tu peux éprouver cette douleur, non lui appartenir. Le remords prolongé est une victoire de plus du mal sur nous. Acceptons-nous tels que nous sommes, mais attelons-nous bravement à l’action réparatrice ! Alors nos manquements mêmes deviendront des forces, et d’avoir erré parfois nous servira à faire de la clarté.
Une conscience tranquille aide à dormir en paix. Rien de plus désirable.
Mais si la conscience d’avoir manqué nous tient éveillés, nous aiguillonne vers le mieux, nous anime du désir de réparer et de racheter, cela n’est-il pas bon aussi ?
Les fautes qui enseignent à vivre sont préférables à la justice stérile, pleine de la satisfaction d’elle-même.