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L'ami : $b dialogues intérieurs

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« NUNC DIMITTIS »

— Enseigne-moi l’art de partir !

L’Ami. — Au petit nombre de ceux qui l’exercent, mesure sa difficulté !

Plusieurs savent presque tout, excepté s’en aller. Ils ne s’entendent pas à cesser en temps utile, l’œuvre accomplie. Ils ne peuvent se résigner à ramasser leurs outils pour quitter. Souvent ils gâtent le meilleur de leur travail par cette obstination à rester là.

Sachons cesser de bon cœur, et non lorsque la force des choses nous arrache de notre place pour nous signifier un congé brutal !

A l’orateur sacré, Luther donne ce conseil : « Tritt frisch auf ; thu’ den Mund auf, und hör bald auf ![4] » Ce conseil pourrait s’étendre de l’art de parler à l’art de vivre.

[4] Parais avec entrain ; ouvre bien la bouche, et termine vivement.

Il en est qui ne trouvent pas leur péroraison. Ils s’endorment dessus, et leurs auditeurs de même.

Pareils aux orateurs qui ne savent pas conclure, sont les hommes qui ne savent pas se retirer, une fois l’heure venue.

Les institutions sont comme les individus. Le monde est encombré de vieilleries depuis longtemps mûres pour la retraite. Leur fonction terminée, elles sont restées là, se cramponnant à leur place, barrant la route de l’avenir, faisant un accueil féroce à tout ce qui veut naître et grandir.

Nunc dimittis ! Laisse aller maintenant ton serviteur ! Qu’elle est belle de douceur et de sérénité, la parole du vieux Siméon demandant à s’en aller en paix ! Paraître avec entrain, tracer son sillon vigoureusement et, le labeur fourni, s’effacer, afin de ne pas gêner par son ombre le blé qui veut pousser, voilà la seule pratique virile, conforme à l’intérêt supérieur et au bonheur personnel !

Renoncer à temps, évite bien des misères, d’impuissants efforts, pour allier ces deux choses incompatibles : être et avoir été. Mais comme toutes les sciences, celle-ci est longue. On en acquiert les éléments dans les petites occasions. Si tu veux t’initier à ses secrets, applique-toi, en toute occurrence, à ne traîner sur rien. Les longues paroles, les longues lettres, les adieux interminables, les explications qui n’en finissent pas, tout ce qui, fait pour durer son temps précis, s’installe, s’éternise, devient chronique, doit être sévèrement évité. Ne nous attardons nulle part ; c’est un excellent entraînement pour les heures décisives, où il s’agit de démarrer pour de bon.

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