L'ami : $b dialogues intérieurs
CROIRE ET SAVOIR
L’Ami. — Un très ancien conflit se remarque et se continue entre ce qu’on appelle le savoir positif et la Foi. Ce conflit est sorti de l’abus invétéré que certains font de la Foi, lorsqu’ils l’érigent en science de l’inconnaissable. Alors la connaissance qui repose sur l’observation se dresse devant celle qui sait ce qu’elle n’a pas appris et ce que l’on ne peut expérimenter.
Un semblable conflit est inévitable et fait tort à la Foi autant qu’au savoir positif. Il est d’un intérêt capital pour l’humanité que toutes ses aptitudes soient respectées dans leur rôle. Elle a besoin de toute sa clairvoyance pratique et de toute sa puissance d’intuition.
Si la Foi est une science à exposer en paragraphes, où s’expliquent et s’exposent, par le menu, les secrets rouages des choses, son travail est en concurrence illégitime avec celui de la raison expérimentale, et l’Univers qu’elle bâtit est à la merci de tous les accidents. Une découverte nouvelle peut bouleverser l’édifice.
Si la science positive prétend, à elle seule, fournir aux âmes le pain de vie, elle risque de tarir les sources où nous puisons la sève spirituelle, et pour la perte desquelles elle ne saurait offrir de compensation.
Nous touchons ici au nœud central de la vie intérieure. Rien d’essentiel en nous ne doit être mutilé. Il faut qu’une solution intervienne, équitable, respectueuse de l’équilibre humain, où ne soient contrariés ni ce besoin de chercher, de contrôler, de voir, de définir d’où la science est sortie avec tous ses fruits, ni la soif de certitude fondamentale en ce qui touche l’ensemble de notre destinée, soif que la science est aussi incapable de satisfaire que de détruire. L’homme est plus grand que sa science. Admirable, puissante, digne de toute notre connaissance, mais limitée à son domaine, la science ne peut porter cet infini qui se nomme la vie. Celui qui voudrait vivre de ce qu’il sait, et rationner son être en ne lui offrant que des certitudes de l’ordre dit positif, périrait d’inanition.
Tant que la Foi se confondra avec un corps de doctrines accompli en lui-même, au caractère définitif et s’affirmant en face du savoir historique ou naturel, il y aura comme une scission dans l’âme, une guerre ouverte entre des choses également dignes de vivre, également indispensables.
Que de luttes, d’angoisses, cette confusion a fait naître, que de ruines elle a accumulées ! Pour le croyant, il ne peut résulter, d’une semblable confusion, que de l’agitation et de la crainte perpétuelle. Aux hommes de science, la Foi apparaîtra comme une puissance d’obstruction. A la place d’une collaboration féconde entre des aspirations destinées à se compléter mutuellement, nous avons deux puissances ennemies cherchant à s’entre-détruire.
Il faut vivre. Nous ne saurions attendre que les problèmes soient résolus. Nous n’avons, d’autre part, ni le droit ni le pouvoir d’installer définitivement l’humanité dans un édifice de croyances désormais exempt de revisions, ou dans un système scientifique.
La situation du conservateur religieux est terrible. Il a identifié son salut avec une conception stricte du monde.
Celle de l’homme résolu à ne plus sortir des limites du savoir positif est terrible également. Nous avons des contemporains qui cumulent dans une même âme ces deux détresses.