La meilleure part
XXVII
— C’est vous ? dit-elle en témoignant à sa vue une satisfaction fort modérée. Je suis sensible à l’honneur de votre visite ; mais vous oubliez que nous ne devons pas nous voir chez moi. Vous êtes un trop grand seigneur pour n’être pas compromettant.
— Eh ! ma chère, une fois n’est pas coutume. D’ailleurs, il me semble que vous me boudez, depuis quinze jours, et je veux savoir si nous sommes brouillés.
— Allons donc ! il n’y a que les imbéciles qui se brouillent. Franchement, ce n’était pas à moi à me jeter à votre cou.
— Vous avez un vers français qui dit qu’on embrasse les gens, parfois, pour les étouffer.
— En effet, mais il vous arrive, à vous, d’étrangler les femmes, de la façon la plus prosaïque, sans les embrasser.
— Allons ! dit-il, sans rancune. Avouez que vous auriez mis un saint en colère avec vos menaces. Mais ce n’était pas sérieux, n’est-ce pas ?
— Doucement, mon cher lord, on ne me reprendra plus à être franche avec un saint de votre espèce.
— Bah ! nous sommes à une époque où il faut se pardonner ses offenses mutuelles. Vous êtes allée trop souvent à l’église, ces jours-ci, pour n’être pas d’humeur indulgente.
— Qui vous a dit que je suis allée à l’église ? Eh bien, c’est vrai, je ne m’en défends pas. Je suis Bretonne et nous ressemblons un peu, nous autres, aux dames de Madrid. Le Christ dans l’alcôve…
— Et le poignard à la jarretière. Fi ! voilà des assemblages que je n’aime point.
— Avouez que ce n’est pas le Christ qui vous déplaît davantage, tout bon protestant que vous êtes.
— Eh bien, causons du poignard.
— Ah ! ah ! c’est cela qui vous amène ? Quel dommage qu’il n’y ait pas moyen de s’expliquer tranquillement avec vous !
— Vous pouvez me parler comme à un frère, mais encore faut-il savoir où nous en sommes.
— Absolument où nous en étions.
— Alors vous avez toujours mes lettres ?
— Si je les ai ! me croyez-vous femme à jeter tant d’argent par la fenêtre ?
— Et, moi, suis-je homme à chanter si haut, sans être sûr que ma musique ne me restera pas pour compte ?
— Tout peut s’arranger. Vous avez vos petits défauts, mais votre parole vaut de l’or. Donnez-la-moi, et je me tiens tranquille. Je sais que, le lendemain des noces, vous ferez rubis sur l’ongle. Pour vous décider, j’ai à vous donner une bonne nouvelle.
— J’écoute.
— Le beau Vieuvicq est en disgrâce complète.
— Si vous croyez me l’apprendre ! Je sais même le nom de celle qui a causé la brouille.
— Vraiment ! dit madame Hémery en se mordant la lèvre. Peut-on savoir ?
— Ne faites donc pas l’habile avec moi, ma chère. Pendant trois jours, j’ai été furieux contre vous. Je croyais que vous m’en donniez à garder avec le comte de Vieuvicq.
— Tous les mêmes ! vous voulez quitter, mais vous n’admettez pas qu’on vous quitte. Et votre fureur est passée ?
— Oui, la confiance, de nouveau, règne en mon âme.
— A la bonne heure ! voilà comme je vous aime. N’importe, quand vous serez marié, tâchez que M. de Vieuvicq ne soit pas indiscret.
— Quelle indiscrétion peut-il faire ?
— Nous y voici, car, après la bonne nouvelle, j’ai à vous en donner une mauvaise. Ce personnage, dont vous avez toujours fait trop peu de cas, nous a vus sortant ensemble de la Tour d’Argent. Je le tiens de sa bouche.
— Oh ! bien, alors !… dit Mawbray avec un geste.
— Ne vous découragez pas si vite. C’est un original ; d’autres diraient : un noble cœur. Ces gens-là ont des manies de générosité incroyables. Je gagerais qu’il n’a rien dit encore.
— Oui ; mais il parlera. Peste soit des nobles cœurs qui flânent dans les endroits où l’on n’a pas besoin d’eux !
— Qui vous dit qu’on l’écoutera ? Si nous sommes d’accord, vous et moi, je me charge de lui. Voyons ! sommes-nous d’accord ? vous avez doublement besoin de moi, maintenant.
Mawbray songea un instant. De toute façon, au contraire, il n’avait plus besoin de cette intrigante qui voulait lui extorquer une fortune. Il savait ce qu’il lui importait de savoir. Certes la partie était fort aventurée ; mais ce n’était pas le moment de prendre un partner. Il fallait d’abord se débarrasser de Vieuvicq. Pour le reste, on verrait plus tard.
— Eh bien, dit madame Hémery, c’est chose entendue ? L’alliance anglo-française est conclue ?
— Pas encore. Le cabinet demande à réfléchir.
Le diplomate enjuponné fronça le sourcil.
— Voilà deux fois que vous reculez, mon cher. J’ai peur que, la troisième, il ne soit tard.