Les amours du temps passé
BIBLIOTHÈQUE GALANTE
Les catalogues ont quelque chose en eux d'irritant, non pour le bibliophile, mais pour le simple amateur, pour le public. Ils excitent au plus haut point la curiosité, et ils ne la satisfont pas. Ils précisent le titre d'un livre, la date de sa publication, ils ajoutent même: Fort piquant, ou rarissime, mais c'est tout. De sorte que celui à qui, pour une cause ou pour une autre, échappe un ouvrage longtemps poursuivi ou convoité, peut se trouver pendant des années entières en proie aux tortures de l'inconnu. Nous avons essayé de faire comprendre comment nous désirerions que fût rédigé un catalogue.
L'époque que nous avons choisie est la fin du XVIIIe siècle, d'abord parce que c'est celle que nous avons le plus étudiée, ensuite parce que c'est celle qui offre l'amas le plus considérable de livres bizarres et presque ignorés aujourd'hui. Nous nous sommes borné aux romans, genre de production voué fatalement à tous les caprices de la mode; et surtout aux romans anonymes, qui, écrits en dehors de bien des conventions, souvent aussi des bienséances, décèlent plus que tous les autres les courants d'idée d'un siècle. Toute cette période enragée de volupté et d'esprit, comprise entre Angola, histoire indienne, et Aline et Valcour, roman écrit à la Bastille, nous avons tâché de la faire revivre dans la plupart de ses œuvres satiriques et clandestines, mais possibles.
Il ne faut jamais que la manifestation imprimée d'un homme, quelle qu'elle soit, se perde entièrement. Tout ce qui peut s'analyser ou s'extraire d'un ouvrage galant, nous l'avons analysé, nous l'avons extrait. Après cela l'ouvrage peut s'épuiser, disparaître, il n'en restera que ce qui devait en rester. Les esprits chercheurs iront bien encore au delà, mais la masse des lecteurs n'aura plus à s'inquiéter de ces matières, et ceux que tourmentent les titres des livres (il y en a beaucoup) seront apaisés.
Crébillon fils, Voisenon, du Laurens, sont connus suffisamment, ou peuvent l'être. Il devenait donc inutile de mentionner le Hasard du coin du feu, le Sultan Misapouf, le Compère Mathieu, etc. Ce n'est que tout autant qu'un roman est obscur ou rare que nous l'admettons dans notre Bibliothèque. Nous ne vulgarisons pas, nous initions.