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Les amours du temps passé

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XXVI
LES APHRODITES

A Lampsaque, 1703. Huit numéros ou cahiers in-8o de quatre-vingts pages chacun environ. Une gravure à chaque cahier.

Ce recueil n'est pas seulement rare, il est introuvable. L'auteur est ce même M. de Nercyat à qui les fastes du badinage doivent Félicia et Monrose; mais ici le badinage est poussé plus loin que dans ces romans. Les Aphrodites sont une association de personnes des deux sexes, association qui n'a d'autre but que le plaisir. Des femmes de la cour, des abbés, des princes, de riches étrangers, des ex-nonnes, paradent dans une série de tableaux dont la nature trop exclusive restreindra nécessairement nos citations. Nous le regrettons, au point de vue de l'esprit et du style, deux qualités que M. de Nercyat possède à un rare degré; que ne les a-t-il déployées dans des livres avouables! Il a surtout une science et une aisance de dialogue on ne peut plus remarquables, et qui ne se sont jamais manifestées plus abondamment que dans les Aphrodites. Il jargonne comme les petits-maîtres de Marivaux.—Voici, par exemple, un comte qui revient du Manége, et qui, après s'être répandu en plaisanteries contre le nouvel ordre de choses et la manie des constitutions, demande à déjeuner.

Célestine.—Que prendrez-vous, monsieur le comte?

Le Comte.—Une croûte grillée avec un peu de vin d'Espagne.

Célestine.—On va vous servir à l'instant. (Elle disparaît et revient un moment après avec un plateau.)

Le Comte.—Quoi! c'est vous-même, belle Célestine, qui prenez la peine…

Célestine.—Pourquoi pas, monsieur le comte? on a toujours du plaisir à servir quelqu'un d'aimable.

Le Comte.—Ah! ce joli compliment met le comble à vos attentions. (Il la débarrasse du plateau.) Si vous vouliez, charmante Célestine, que ce déjeuner devînt délicieux pour moi, vous mouilleriez ce verre de vos lèvres de rose, et, buvant après vous, je croirais recevoir un baiser.

Célestine.—Voilà qui est d'une galanterie bien quintessenciée! Pourquoi demander de ma part un baiser par ricochet, quand je puis vous en donner plutôt deux directement?

Le Comte, les prenant avec transport.—En vérité, Célestine, vous surpassez tout ce qui vient ici!

Célestine.—Chut! chut! songez que nous avons quelque part certaine duchesse, et…

Le Comte.—Bon! Laissons, mon cœur, ces subtilités de délicatesse. Si vous m'aimiez un peu…

Célestine.—Nous ne nous connaissons point, pourquoi vous aimerais-je?—Vous êtes joli cavalier, pourquoi ne vous aimerais-je pas?

Le Comte.—Elle est divine! Il y a un siècle, belle enfant, que tu me trottes en cervelle; mais tu as précisément une de ces sorcières de mines qu'il faut chasser de son imagination comme la peste, si l'on ne veut pas s'enfiévrer.

Célestine.—Pourquoi, s'il vous plaît, me chasser si fort? Sachez que j'aime beaucoup, moi, qu'on se passionne un peu pour mon petit mérite, etc., etc.

Tout ce babil amuse, et atteste un écrivain de race. Après le dialogue, le portrait. Celui-ci plaira par sa minutie charmante:

«Violette. Délicieuse brune. Elle est coiffée à l'enfant avec un ruban vert autour de ses cheveux à peine poudrés, et vêtue d'un peignoir garni de mousseline rayée par-dessus une chemise en toile de Hollande. Tendron pétillant de fraîcheur et de santé; petit front à sept pointes; yeux médiocrement grands, mais volcaniques; larges prunelles noires; sourcils tracés comme au pinceau. Fossettes aux joues et au menton; couleurs d'une extrême vivacité; joli méplat au bout d'un petit nez en l'air. Dents courtes, merveilleusement rangées et de l'émail le plus sain. Légère dose d'embonpoint. Petons et menottes du plus agréable modèle.»

Il y a dans les Aphrodites quelques parties dramatiques et même fantasmagoriques:—l'histoire d'un baronnet qui se fait suivre partout de l'image de sa défunte maîtresse, en cire, de grandeur naturelle;—les jalousies, les fureurs sentimentales et la mort d'un comte de Schimpfreich;—mais ce sont des parties faibles et hors de leur place. En outre, M. de Nercyat ne perd jamais l'occasion de donner son coup de griffe aux événements et aux hommes de la Révolution.

Reliés, les Aphrodites forment deux beaux volumes grand in-8o, très-soignés d'impression, avec des errata à la suite de chaque cahier. Les gravures sont d'une exécution supérieure.

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