Les amours du temps passé
XV
LE SOUPÉ DES PETITS-MAITRES
Ouvrage moral en deux parties, à Londres.
Cela commence ravissamment: «Il est onze heures du matin; un abbé, assez semblable à une poupée de quatre pieds de haut, sourit aux dernières épreuves d'une brochure de sa composition. Il s'applaudit d'avoir fait une épître en vers, et se promet de la faire servir pour toutes les femmes. Il la relit avec complaisance, ordonne à son laquais de voler chez son imprimeur, de faire tirer vite quelques exemplaires et de les lui apporter au Palais-Royal. Il se met à sa toilette, cache artistement sa petite bosse dans les plis d'un manteau de soie, est content de lui, et se trouve en état de figurer au lever de quelque jolie femme.
»Déjà il traverse la rue de Richelieu, quand un déluge d'eau de senteur, dont tout le quartier est parfumé, lui fait lever la tête; il voit avec surprise qu'il est jour chez la comtesse de ***. Il monte chez elle, on l'annonce; Vénus lui sourit, il se croit Adonis.»
Le Soupé des Petits-Maîtres, on le devine par le titre, est une partie fine où chacun raconte son histoire. Les personnages s'appellent Persac, Saint-Val, le Président, la Bouquetière, la Marchande, la Danseuse, etc. Tout cela est gai et mené vivement.
«Vous connaissez la belle Sophie? Quelques personnes la placent au rang des beautés vaporeuses; pour moi, je sais qu'en femme sensée elle ne satisfait ses goûts et ses caprices que lorsqu'elle est tranquille du côté de l'intérêt. Un tableau qui est dans son boudoir, et que le peintre a malignement imaginé d'après le caractère et les aventures de la dame, va vous la peindre entièrement. Sophie est représentée devant son pupitre, pinçant de la guitare; un militaire est à sa droite, donnant du cor; un petit abbé occupe la gauche avec sa flûte, et un financier est vis-à-vis, jouant de la poche[3]. On lit sur le haut du papier de musique: Concert à trois. Le lourd Midas, qui avait demandé à l'Apelle moderne un tableau de fantaisie, a payé fort chèrement celui-ci, sans en avoir jamais deviné l'allégorie; le militaire, l'abbé et la belle n'ont eu garde de l'en instruire.»
[3] Pochette, petit violon. L'auteur aura voulu jouer sur les mots.
Nous regrettons de ne pouvoir mettre sous les yeux du lecteur quelques-unes de ces peintures couleur de rose, que l'on dirait touchées par Baudouin; mais on comprendra l'impossibilité où nous sommes par les titres seuls des chapitres: La Petite maison.—Le Bain.—Les Vers à soie.—Deux bonnes fortunes manquées; comment?—L'Actrice de province raconte son histoire.—Attrapez-moi toujours de même!—L'Amour est un futé matois, etc., etc.
Vers le commencement de l'Empire, le Soupé des Petits-Maîtres a été réimprimé chez Didot en très-jolie petite édition, dont quelques exemplaires sur beau papier de Hollande ont paru dans les ventes.