Les amours du temps passé
XXVIII
LA GALERIE DES FEMMES
Collection incomplète de huit tableaux recueillis par un amateur. Épigraphe: «L'amour est le roman du cœur, et le plaisir en est l'histoire. Beaumarchais, Folle Journée.» A Hambourg. 1790. 2 vol in-12, le premier de cent soixante-dix pages, et le second de cent cinquante-quatre.
Ces tableaux ont pour titres: Adèle, ou l'Innocente; Elisa, ou la Femme sensible; Eulalie, ou la Coquette; Déidamie, ou la Femme savante; etc. Ils sont écrits avec une finesse incomparable. Que si vous y trouvez trop de mythologie, prenez-vous-en au Directoire et à ses modes transparentes. Le quatrième tableau s'annonce ainsi:
«Lettre de Zulmé au chevalier d'Arnance.—J'irai ce soir incognito voir Armide et le ballet de Psyché. Ma loge sera fermée à tout le monde si le chevalier d'Arnance ne se compte pour personne.»
«Réponse.—Quelque opinion modeste qu'on ait de soi, il faut bien se compter pour quelque chose lorsqu'on a le bonheur d'être aperçu de vous. J'irai voir Armide et Psyché.»
C'est très-dégagé, n'est-ce pas? Plus loin, le portrait de cette Zulmé offre de jolis traits: «Elle ne faisait rien comme les autres: une autre le faisait mieux et plaisait moins. Penchait-elle la tête, levait-elle un bras, avançait-elle le pied, on était ému. Il suffisait qu'elle regardât pour qu'on se crût aimé. Dans la poursuite du plaisir, Zulmé n'oubliait rien de ce qui peut le rendre plus vif et plus durable. C'est ainsi qu'elle ménageait avec soin sa réputation, pour avoir toujours ce sacrifice à faire.» J'ai noté, en outre, quelques détails d'ameublements et de costumes: «Déidamie était vêtue d'une légère simarre de crêpe bleu de ciel, nouée d'une ceinture de pourpre, le cou et le bras nus, sa belle chevelure emprisonnée dans des bandelettes et rassemblée avec une grâce antique sur le sommet de la tête.»
Étonnerons-nous beaucoup de monde en disant que la Galerie des Femmes est le début anonyme de M. de Jouy, alors jeune et fringant incroyable? Plus tard, le diable devait se faire ermite; plus tard aussi, il devait faire rechercher et détruire avec le plus grand soin les exemplaires de cette érotique fantaisie. Ah! mais, nous étions là!—Quérard n'a pas mentionné la Galerie des Femmes dans la France littéraire; on ne la trouve signalée, sans nom d'auteur, que dans le catalogue de Marc, libraire à Paris (1819).