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Les amours du temps passé

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IV
THÉMIDORE

La Haye, 1745.

Pimpante fantaisie, que M. Jules Janin nous a rendue un jour dans la Revue de Paris, commentée et abrégée sous le titre de Rosette. Thémidore est écrit avec une plume de véritable gentilhomme, frétillante, parfumée, à demi mythologique, effleurant tout et dépassant le pastiche à force de bel air et d'impertinente individualité. Cela ne se raconte guère; tout au plus peut-on déranger quelques colifichets, quelques brins de cet échafaudage riche et mignon. Essayons d'un portrait:

«Rozette était sans paniers, avec le plus beau linge du monde, une chaussure fine et une jambe dont elle savait tirer mille avantages.—Le président dort, s'écria-t-elle, veillons! Et puisque le dessert a été réservé pour mon arrivée, tâchons qu'il n'en reste rien. Nous suivîmes son avis. Une heure se passa à badiner, à faire partir des bouchons, à casser des verres et quelques porcelaines. C'est le goût de ces femmes. Depuis le départ des officiers pour l'armée, elles se plaisent dans les soupers où l'on fait carillon; elles trouvent un esprit infini à briser un miroir ou une table, à jeter des chaises par les fenêtres. Rozette et Argentine firent l'amusement du repas par une infinité de chansons plus jolies les unes que les autres, qu'elles débitaient à l'envi. Laurette excitait à boire et faisait circuler la joie avec la mousse qu'elle excitait dans les verres.»

Ces petites phrases, dont la plus étendue ne comporte jamais six lignes, brillantes, mesurées, faites de mots choisis et dont aucun ne sort de la situation, ces petites phrases caractérisent on ne peut mieux le genre de littérature érotique et de courte haleine dont nous nous occupons. L'esprit, la volupté, la seconde jeunesse, ne s'expriment effectivement qu'à petits traits délicats et précis; ils fuient la grande période cadencée, le tour abondant et orné d'incidentes.

Le lendemain de ce carillon, Thémidore, qui est un jeune conseiller au parlement, se fait descendre de carrosse à deux pas du Luxembourg, et arrive en chaise à porteurs chez la divine Rozette. Il la trouve coiffée en négligé, avec un désespoir couleur de feu, un corset de satin blanc et une robe brodée des Indes.

Comme il sait qu'elle aime à faire des nœuds, il lui offre une navette garnie d'or; ce cadeau et une cour empressée finissent par fléchir Rozette, qui n'est prude que par accès. La lune de miel de ces deux amants s'éternise pendant quarante-huit heures, au bout desquelles le père de Thémidore, inquiet de ne pas le voir rentrer, se décide à mettre la police en mouvement. On retrouve d'abord le fiacre qui l'a conduit, et, sur les indications qu'on arrache à son ivresse, on arrive après trois jours dans une petite maison à grande porte jaune du quartier de l'Estrapade, où Thémidore et Rozette oubliaient le cours des heures.

«L'Aurore, montée sur son char de pourpre et d'azur, ouvrait dans l'Orient les portes du jour, et les oiseaux commençaient leurs concerts amoureux,» lorsqu'un commissaire et un exempt ébranlent de leurs coups redoublés la grande porte jaune. Thémidore essaye vainement de la résistance; il est ramené par le commissaire à la maison paternelle, pendant que l'exempt, escorté du guet, conduit Rozette à Sainte-Pélagie.

On pourrait croire, d'après cet épisode, que le roman va tout à coup au larmoyant; mais on est bientôt détrompé. Thémidore accorde cependant quelques jours à sa douleur; il fait les choses en conscience et va jusqu'à repousser la nourriture qu'on lui offre. Après quoi, il demande des consolations aux filles de boutique de madame Fanfreluche, cour Dauphine; puis à une noble demoiselle picarde, mademoiselle des Bercailles; ensuite à une jeune veuve, la dévotion même, qui a de l'esprit, du bien, des grâces, et qui répand dans tout le Marais la bonne odeur de sa charité. «Elle avait eu la bonté de me mener aux sermons du père Regnault, à ces sermons qui se prêchent aux extrémités de Paris, et pour lesquels on choisit exprès une petite église, afin d'y faire foule.» Thémidore se laisse conduire partout; mais le lieu qu'il affectionne le plus particulièrement, c'est le boudoir de la dévote. Il y revient sans cesse, et la description qu'il en donne justifie pleinement sa prédilection.

«Un matin, quoique en robe du Palais, j'allai lui rendre visite, excusant mon habillement sur la passion que j'avais de lui faire ma cour. Elle me reçut à sa toilette; les dévotes en ont une moins brillante que celle des coquettes du monde, mais mieux composée. Les odeurs qui remplissaient les boîtes n'étaient pas fortes et en grande quantité, mais elles répandaient un parfum suave qui embaumait légèrement la chambre. Son linge de nuit, garni d'une petite dentelle, était travaillé avec goût; sa robe de perse, son jupon de satin piqué, ses bas extrêmement fins, ainsi que sa chaussure, enfin tout son déshabillé accompagnait bien sa taille et sa figure. Tandis qu'on nous préparait le chocolat, je m'approchai d'elle et cueillis mille baisers sur ses belles mains.»

On ne niera pas le fini et le voluptueux de ces détails. Thémidore est un jeune homme qui entre dans la vie et qui s'imagine souvent que le plaisir est une découverte de son invention. Au milieu de ses occupations, il n'oublie pas la séduisante Rozette; il emprunte à un abbé de ses amis, docteur en Sorbonne, une soutane, un manteau long, un rabat, et, ainsi déguisé, il s'introduit auprès d'elle dans le parloir Saint-Jean. La pauvre fille commençait à faire d'assez tristes réflexions sur les conséquences des lunes de miel illicites. Il finit par obtenir son élargissement, sous promesse de ne plus avoir de relations avec elle. «Depuis ce temps, cher marquis, selon que je l'ai promis à mon père, je ne l'ai point vue d'habitude, excepté les quinze premiers jours. Cette fille est rentrée en elle-même, j'ai contribué à son arrangement. Comme elle avait une douzaine de mille francs, elle s'est établie et a épousé un marchand de la rue Saint-Honoré, riche, sans enfants, qui l'a prise pour compagne. Elle est maintenant attachée à son commerce et heureuse avec son mari. C'est une union de gens qui ont vu le monde. Je la vais visiter quelquefois et je suis avec elle comme avec une amie; je l'estime même assez pour ne plus lui parler de galanterie.»

Ce dénoûment fort tranquille et de la plus naïve immoralité est entièrement dans les mœurs du XVIIIe siècle.

L'auteur est Godard d'Aucour, mieux inspiré que dans les Mémoires turcs. Le président Dubois, s'étant reconnu à quelques traits de Thémidore, fit mettre le libraire (Mérigot) à la Bastille, n'y pouvant mettre l'auteur.

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