Les amours du temps passé
II
MÉMOIRES TURCS
Avec l'histoire galante des principaux personnages qui composaient la suite de Saïd-Effendi, ambassadeur extraordinaire du Grand Seigneur, pendant leur séjour en France, par Achmet-Dely-Azet, bacha à trois queues. Deux parties; à Paris, lus et approuvés par l'approbateur général du Grand Seigneur, et réimprimés par ordre de Sa Hautesse; 1743, titre noir et rouge.
La première moitié de ces mémoires se passe en Turquie, la seconde en France; cette seconde moitié est la plus piquante, en ce qu'elle traite de nos usages et qu'elle raille assez agréablement notre frivolité. Citons cette sortie contre les paniers:
«Zulime ne pouvait se résoudre à mettre un panier, malgré toute la bonne grâce qu'on prétend que cela donne au beau sexe. Comme nous étions à disputer à ce sujet, un jeune abbé frisé par les mains des Grâces entra; cet homme divin nous fut d'un grand secours. Il commença par faire le panégyrique des paniers en des termes qui engagèrent Zulime à se laisser enfin emprisonner dans ce triple cercle.—Mais il me semble que je ne pourrai passer nulle part, disait-elle.—Vous vous tournerez de côté, madame, reprenait l'abbé, ou, embrassant votre panier comme une idole, vous le ferez passer le premier et vous entrerez ensuite. Quand vous serez obligée de vous asseoir en compagnie, si ce sont des messieurs qui se trouvent à vos côtés, vous jetterez sans façon votre panier sur leurs genoux, en sorte qu'on ne voie que trois têtes et leur buste sortir d'un même corps. Si ce sont des dames et que l'appartement soit petit, pour lors les paniers se croisent et l'on est environ un quart d'heure à les arranger: la duchesse couvre la comtesse, la comtesse éclipse la marquise, et ainsi de suite. Voilà l'usage.»
Malgré quelques passages dans ce ton, je ne me rends pas compte de l'engouement dont les Mémoires turcs furent longtemps l'objet. Le nombre des éditions s'est élevé à plus de douze. Je serais tenté d'attribuer cette vogue à une Épître dédicatoire à mademoiselle Duthé, que l'auteur ajouta sur les éditions suivantes, et qui est effectivement un joli morceau de persiflage.
Un des épisodes de la première partie a fourni à Dumaniant le sujet d'une comédie en un acte et en vers, représentée en 1787 sur le théâtre du Palais-Royal, et intitulée La Loi de Jatab, ou le Turc à Paris. Cette pièce était jouée par Michelot, Bordier, Saint-Clair, mademoiselle Forest et Dumaniant lui-même.
L'auteur des Mémoires turcs est Godard d'Aucour, fermier général.