Les comédiens hors la loi
XV
RÈGNE DE LOUIS XV (SUITE)
Sommaire : Autorité des Gentilshommes de la chambre sur la Comédie française. — Conséquences de cette autorité. — Le duc d’Aumont et M. de Cury. — La Comédie italienne. — L’Opéra.
Il nous reste à voir comment les pouvoirs des Gentilshommes de la chambre s’exerçaient sur les comédiens en tant que comédiens.
Commençons par la Comédie française : à tout seigneur tout honneur[288].
[288] Napoléon Ier a dit un jour : « Le Théâtre-Français est la gloire de la France, l’Opéra n’en est que la vanité. »
Par son institution même, la Comédie faisait partie de la maison du roi et elle se trouvait placée sous la direction des quatre Gentilshommes de la chambre. Leur autorité ne s’exerça d’abord que dans les occasions importantes et lorsqu’il s’agissait de modifier les règlements. Peu à peu, par suite d’empiètements successifs, ils accrurent leurs pouvoirs, et ils en arrivèrent à s’occuper des moindres détails de l’administration du théâtre. Rien n’échappait à leur autorité et la Comédie se trouvait sous leur dépendance absolue ; ils y régnaient en maîtres, on peut même dire en tyrans redoutables et redoutés.
Non seulement ils ordonnaient les spectacles, mais ils donnaient les ordres de début, recevaient les acteurs, fixaient les parts ou fractions de part qui devaient leur être accordées ; non seulement ils désignaient les emplois que chacun devait tenir, les uns de paysans, de financiers, les autres de rois, de reines, etc., mais ils infligeaient les amendes, renvoyaient les artistes qui n’avaient pas le don de leur plaire, gardaient ceux, au contraire, qui leur agréaient, sans que le talent ou le mérite guidassent leurs décisions[289].
[289] Lekain eut toutes les peines du monde à se faire admettre à la Comédie et il ne reçut tout d’abord qu’une part dérisoire. « J’ai connu des acteurs, lui écrivait Voltaire, qui étaient excellents pour moucher les chandelles, et qui furent reçus à une part entière dès qu’ils parurent. Pour vous, vous vous êtes borné à faire les délices du public, il faudra bien que les grâces de la cour viennent ensuite ; mais il y a plus d’un métier dans lequel on travaille pour des ingrats. » (Potsdam, 5 mars 1752.)
Augmentations, gratifications, retraites, pensions, tout dépendait d’eux, rien ne pouvait se décider sans leur ordre[290]. La Comédie était livrée à l’arbitraire le plus complet.
[290] Voici un spécimen des ordres envoyés par les Gentilshommes :
« Nous, duc de Gesvres, pair de France, premier gentilhomme de la chambre du roi,
« Ordonnons à la troupe des Comédiens français de Sa Majesté de faire incessamment débuter sur son théâtre la demoiselle Clairon dans les rôles qu’elle aura choisis, et ce, à fin que nous puissions juger de ses talents pour la comédie, etc.
« Mandons à M. de Bonneval, intendant des menus plaisirs en exercice, de tenir la main à l’exécution du présent ordre.
« Fait à Versailles, ce 10 septembre 1743.
« Le duc de Gesvres. »
Il faut bien reconnaître que la troupe comique, par sa mauvaise gestion et ses dissensions intestines, avait provoqué et légitimé les envahissements successifs des Gentilshommes. Tant qu’on l’avait laissée s’administrer elle-même, il ne se passait pas de jour où l’on ne vît quelque scandale. Les Comédiens se querellaient sans cesse et leurs réunions dégénéraient presque toujours en scènes violentes. Ce fut à ce point que le duc de Tresmes dut les menacer de châtiments sévères, s’ils n’apportaient pas plus de décence dans leurs délibérations.
« Comme Sa Majesté a été informée, écrivait-il, que dans les assemblées qui se tiennent, tant ordinaires qu’extraordinaires, il y arrive souvent des désordres, et qu’au lieu d’employer le temps à décider sur les pièces qu’on doit jouer pendant la semaine ou sur les choses convenables au plaisir du public et au bien de la troupe, on l’emploie à se quereller et à se dire des choses piquantes et souvent outrageantes…, il est défendu aux Comédiens, pendant ces assemblées, de parler d’autres choses que de celles pour lesquelles l’assemblée aura été convoquée et de se servir d’autres termes que de ceux qui sont usités et permis parmi les honnêtes gens pour dire les motifs de leur avis et leurs raisons de décider, sans qu’il soit permis à aucun desdits comédiens ou comédiennes d’interrompre sous quelque prétexte que ce soit, à peine contre celui qui interrompra, ou qui, en opinant, se sera servi de termes piquants ou injurieux contre quelqu’un de ses camarades, de cinquante livres d’amende, applicables aux pauvres, et de plus grande punition si le cas y échoit[291]… »
[291] 27 octobre 1712. Inédit. Arch. nat., O1844. On peut donner une idée du ton qui régnait dans ces réunions en racontant l’altercation qui s’éleva un jour entre Mlle Dancourt et Ponteuil. Ce dernier décriait sans cesse les pièces de Dancourt. Indignée de ce mauvais procédé, Mlle Dancourt fit à son camarade, en pleine assemblée, une sortie des plus violentes ; elle l’appela traître à sa compagnie et le couvrit littéralement d’injures. Quand elle eut épuisé les épithètes les plus malsonnantes, Ponteuil lui répondit avec grand sang-froid : « Eh bien, mademoiselle, est-ce là tout ? vous avez beau chercher à me dire toutes les horreurs du monde, vous avez beau faire, vous ne m’appellerez jamais p… »
En dépit de toutes les menaces, la situation ne se modifia pas, et du temps de Clairon[292] on se querellait plus que jamais. « L’assemblée générale de la Comédie, dit la tragédienne, ne peut être mieux peinte que par ces vers de Mme Pernelle :
[292] Clairon (Claire-Joseph Léris) (1723-1802). C’est à elle et à Lekain que l’on dut la réforme du costume tréâtral. Jusqu’alors les acteurs paraissaient sur la scène avec les habits qu’on portait à la cour : « Les hommes avaient généralement la fraise plate, les hauts-de-chausse à bouts de dentelles, le justaucorps à petites basques, la longue épée, les souliers à nœuds énormes ; et les femmes, le corsage court et rond, le sein découvert, la grande, ample et solide jupe à queue, les talons hauts, les cheveux crêpés et bouffants ou retombant en boucles. Les Grecs et les Romains paraissaient avec des chapeaux à plumes, des gants blancs à franges d’or, une épée suspendue à un large baudrier. » (Fournel, Curiosités théâtrales). Clairon osa la première, dans le rôle de Roxane, paraître sans paniers et les bras nus ; dans l’Électre de Crébillon, on la vit en simple habit d’esclave, échevelée et les mains chargées de chaînes. Elle poussa même un jour la vérité du costume jusqu’à se montrer en chemise au Ve acte de Didon, où un songe l’arrache de son lit. Cette dernière innovation parut exagérée, et on pria l’actrice de ne pas renouveler son expérience.
[293] Mémoires de Clairon.
« Le théâtre, dit Grimm en 1769, grâce aux intrigues et aux tracasseries intérieures des acteurs et des actrices, et à l’autorité des Gentilshommes brochant sur le tout, s’achemine de plus en plus vers sa ruine. Il suffit que Molé ait un rôle intéressant dans une pièce pour que Préville ne veuille plus jouer, les inimitiés particulières décident du sort de tout et les auteurs sont victimes des caprices du foyer. »
La distribution des rôles provoquait des contestations incessantes dont les échos arrivaient jusqu’au public. Aussi se plaignait-on souvent qu’on laissât encore aux acteurs trop de liberté et qu’ils ne fussent pas contenus par une main plus énergique et plus sévère. « On ne devroit pas laisser les comédiens maîtres de refuser un rôle, surtout dans les pièces nouvelles, dit Collé ; les gentilshommes de la chambre devroient les leur faire jouer malgré eux, et les punir quand ils y manquent : c’est la cause pour laquelle le public est souvent si mal servi. »
Les Gentilshommes, voyant leurs empiétements acceptés sans discussion, voulurent bientôt s’arroger d’autres droits. Non contents de leur autorité sur les Comédiens, ils prétendirent étendre leur juridiction jusqu’aux auteurs.
Bien que l’aréopage comique fût demeuré jusqu’alors juge souverain pour la réception ou le refus des pièces, les Gentilshommes trouvaient encore moyen de s’immiscer dans une question à laquelle ils auraient dû rester complètement étrangers : tantôt ils arrêtaient indéfiniment la représentation d’une pièce dont l’auteur n’avait point trouvé grâce devant eux, tantôt, au contraire, ils en faisaient jouer une de leur propre autorité et contre l’avis des artistes.
En 1759, ils voulurent faire consacrer cet excès de pouvoir et, au grand émoi des auteurs, le duc d’Aumont fit distribuer un nouveau règlement portant « que les pièces, auparavant d’être reçues, seraient communiquées d’abord à MM. les Gentilshommes de la chambre. » « On auroit dû ajouter, dit Collé : « qui ne savent ni lire ni écrire. » Un autre article portait que « MM. les auteurs n’entreroient plus dans l’orchestre, mais à l’amphithéâtre seulement. » C’était les reléguer avec les perruquiers des comédiens.
Les auteurs furieux protestèrent ; on reconnut qu’il y avait malentendu quant aux places qu’ils pourraient occuper, mais on ne céda pas sur la présentation préalable des pièces. Les écrivains qui appartenaient à l’Académie trouvèrent ce règlement impertinent, et réclamèrent ; le duc de Nivernais leur assura, de la part du duc d’Aumont, que cela ne regardait point les auteurs dignitaires, c’est le terme qu’il employa pour désigner ceux qui faisaient partie de l’Académie[294]. Les dignitaires, satisfaits, n’eurent rien de plus pressé que d’abandonner leurs confrères qui furent obligés de se soumettre.
[294] On peut rappeler que les Comédiens français étaient en excellents termes avec l’Académie et qu’il y avait même entre eux échange de bons procédés. En 1732, Quinault-Dufresne se rendit à l’Académie, escorté de sept de ses camarades, et il offrit à la docte compagnie ses entrées à la Comédie. La proposition fut acceptée avec reconnaissance, et les Immortels, par réciprocité, invitèrent les Comédiens à assister désormais à leurs séances.
On peut aisément supposer les abus qu’entraînait l’autorité des Gentilshommes de la chambre. Des pouvoirs aussi considérables, s’exerçant sans contrôle, et sous le seul régime du bon plaisir, sur une troupe comme celle de la Comédie française, devaient fatalement amener des injustices, des passe-droits et provoquer des querelles incessantes.
Collé, qui se plaignait si amèrement de la faiblesse des Gentilshommes et leur reprochait de ne pas savoir user de leurs pouvoirs, ne pouvait s’empêcher cependant de protester contre une tyrannie dont le public était la première victime. « Je ne plains point les comédiens, écrit-il ; il faudroit avoir de la pitié de reste pour en conserver pour de pareils hommes, mais le public souffre du cruel despotisme des Gentilshommes. Ce sont ces grands messieurs qui, pour en jouir avec plus de sûreté, ont établi une garde tyrannique qui gêne les suffrages et la liberté publique ; ils font, moyennant cela, recevoir les acteurs et les actrices qui leur plaisent[295]. » Pour maintenir les spectateurs en effet et étouffer plus facilement les protestations, on avait remplacé les archers de robe courte, qui autrefois gardaient le théâtre, par des gardes françaises[296] ; il y avait une file de militaires de chaque côté du parterre, lieu ordinaire des réclamations tumultueuses[297].
[295] Février 1764.
[296] La garde fut établie aux deux comédies à la rentrée de 1751. Elle avait toujours existé à l’Opéra.
[297] Le parterre était debout ; ce ne fut qu’en 1782, dans la nouvelle salle du faubourg Saint-Germain (l’Odéon), qu’on installa des bancs pour les spectateurs.
Dans une administration où tout dépendait des Gentilshommes, c’était à qui chercherait à conquérir leurs bonnes grâces ; on peut facilement s’imaginer le rôle que jouaient les actrices : « Quand donc, s’écrie Collé indigné, sera-t-on délivré de la tyrannie de MM. les Gentilshommes, et de leur despotisme sur la comédie, et de leur mauvais goût, et de leur ignorance, et de leur libertinage avec les comédiennes, qui leur fait accorder tout à ces femmes, ou pour ces femmes, ou à cause de ces femmes[298] ? »
[298] 1770. — Clairon dit dans ses Mémoires : « il faut réduire MM. les Gentilshommes à la simple autorité qu’ils avoient autrefois ; qu’une place à la Comédie, une part, un emploi, ne soient plus la récompense de la séduction et de la débauche, que le public soit seul juge des talents, etc. »
Les mauvais propos, vrais ou faux, que provoquaient ces relations, et le scandale qui en résultait, faisaient dire à Dazincourt[299] : « Nos grands seigneurs prennent la Comédie française pour leurs écuries ; ils y mettent leurs juments[300]. »
[299] Dazincourt (Joseph-Jean-Baptiste Albouy, dit) (1747-1809). Il débuta à Paris le 26 mars 1777 avec un grand succès. C’est lui que Marie-Antoinette choisit comme professeur de déclamation. Sous Napoléon, il eut la direction des spectacles particuliers. Il mourut en 1809 après de longues souffrances. « Qu’est-ce que la vie ? s’écriait-il dans ses moments de tristesse. « Le fouet, l’indigestion et l’apoplexie. »
[300] 1785, Charles Maurice.
Il est évident que bien des actrices jouissaient d’une situation hors de proportion avec leur mérite, et que, au grand détriment de la Comédie, la faveur régnait en souveraine au lieu et place de la justice[301].
[301] Favart raconte un assez joli mot de Mlle Collet, lors de ses débuts à la comédie italienne. M. de la Ferté, intendant des Menus, protégeait hautement Mlle Lafond. Piquée de la préférence accordée à sa camarade, Mlle Collet alla le trouver et lui dit en pleurant : « Je sais, monsieur, que vous avez des bontés pour Mlle Lafond, parce qu’elle en a pour vous. Tout le monde dit que vous voulez me nuire, parce que je n’ai pas voulu, mais ce sont de vilains propos. Vous savez bien, monsieur, que cela n’est pas vrai, et que, si vous m’aviez fait l’honneur de me demander quelque chose, je suis trop attachée à mes devoirs et trop honnête fille pour avoir osé prendre la liberté de vous refuser. »
Le despotisme des Gentilshommes s’exerçait du reste de toutes manières, et ils ne ménageaient pas plus les intérêts pécuniaires de la Comédie que ses intérêts moraux. Même aux époques où la situation du théâtre était la plus précaire[302], ils élevaient la prétention de faire entrer gratuitement leur famille, leurs parents, leurs amis ; si on les eût écoutés, la cour entière aurait toujours assisté gratis au spectacle, le peuple seul eût payé ses places[303]. C’est ce qui faisait écrire à Voltaire : « Notre ami Lekain nous dit que le tripot ne va pas mieux que le reste de la France ; que les quatre premiers Gentilshommes ont la grandeur d’âme d’entrer à la Comédie pour rien, eux, leurs parents, leurs laquais et les commères de leurs laquais. Cela est tout à fait noble[304]. »
[302] A plusieurs reprises dans le cours du dix-huitième siècle, la situation de la Comédie fut des plus critiques ; le public désertait la salle et les acteurs jouaient devant des banquettes vides. En 1753, les Comédiens imaginèrent d’ajouter aux pièces du répertoire des ballets et des pantomimes, dans l’espoir que « les sauts et les gargouillades » des danseurs ramèneraient la vogue dans leur salle. « C’est en faveur de ces ballets, écrit Grimm, que le public semble souffrir encore qu’on lui représente les chefs-d’œuvre de Corneille, de Racine et de Molière, et c’est pour l’empêcher d’abandonner entièrement le spectacle de la Nation que les Comédiens français ont été forcés d’avoir recours à un expédient si humiliant pour notre goût. » (Corresp. littér., 15 juillet 1753.) L’Opéra protesta contre une innovation qui, disait-il, empiétait sur son privilège, et il fut interdit à la Comédie de continuer ses ballets. La Comédie s’inclina, mais elle cessa toutes représentations. En même temps, Mlle Gaussin, à la tête d’une députation, se rendait à la cour et suppliait le roi de lever l’interdiction. Louis XV se laissa toucher et autorisa formellement les Comédiens à posséder une troupe « cabriolante ».
[303] On avait toutes les peines du monde à obtenir des grands seigneurs et des militaires de payer leurs places ; c’est un des abus contre lequel il fut le plus difficile de réagir.
[304] Voltaire à d’Argental, 4 avril 1762.
Cette intervention constante des premiers Gentilshommes amena souvent des retraites fâcheuses. Bien des acteurs, blessés d’un mauvais procédé ou d’une impertinence qu’ils étaient obligés de supporter, quittèrent la scène. C’est ainsi qu’on perdit Grandval, qui, mécontent de quelques mots déplacés du duc de Fronsac, se retira prématurément au grand détriment du théâtre. Ce fut pis encore quand le duc d’Aumont s’empara de la direction de la Comédie, à l’exclusion de ses trois collègues qui consentirent à cette usurpation.
« Le public a vu avec chagrin, écrit Grimm[305], des retraites forcées, des réceptions de sujets sans talents et sans espérance ; tout a paru se régler suivant le caprice d’un despote sans goût et sans lumière… Si le règne de M. d’Aumont dure, il est à craindre que nous n’ayons bientôt plus de Comédie française. Les anciens acteurs, les sujets les plus agréables au public, révoltés d’une tyrannie à laquelle ils n’étaient point accoutumés, se sont retirés ou vont se retirer incessamment ;… après quoi on n’aura plus qu’à mettre la clef à la porte de la Comédie. »
[305] Corresp. littér., février 1760.
Le règne despotique du duc d’Aumont inspira à M. de Cury, intendant des Menus, qui venait d’être remercié, une parodie assez plaisante de la scène de Cinna, dans laquelle Auguste délibère s’il retiendra ou abdiquera l’empire.
Le duc, fatigué du pouvoir, est sur le point de résigner ses fonctions ; il consulte Lekain et d’Argental :
[306] Le premier janvier 1760, le duc d’Aumont, qui avait enlevé aux officiers des mousquetaires leurs entrées à la Comédie, reçut de ces messieurs une épée dont la lame était collée dans le fourreau, sur lequel on lisait la devise du rideau du théâtre italien : Sublato jure nocendi.
Lekain, « mettant bas » le respect qui pourrait l’empêcher d’oser émettre un avis complètement sincère, supplie le duc de rester dans l’intérêt de la Comédie. « Qu’importent les criailleries du parterre, dit-il, n’avons-nous pas la garde ? »
Le duc d’Aumont persuadé se décide à garder l’empire tragique.
Cette parodie fut attribuée à Marmontel, qui en était fort innocent ; mais M. d’Aumont, exaspéré du persiflage, fit envoyer l’auteur supposé à la Bastille et de plus il obtint qu’on lui enlevât le privilège du Mercure, c’est-à-dire son pain.
Les pouvoirs des Gentilshommes ne devaient d’abord s’étendre que sur ce qui regardait le service de la Comédie française ; mais quand la comédie italienne en s’établissant à Paris, en 1716, eut reçu un privilège, une subvention, et fut devenue troupe royale, elle tomba tout naturellement sous le même joug ; comme au Théâtre français, les Gentilshommes donnaient les ordres de début, et intervenaient sans cesse dans l’administration[307].
[307] Il y avait des parts comme à la Comédie française, et les acteurs se partageaient les bénéfices. La police du théâtre était confiée à trois semainiers, qui veillaient également à l’exécution des règlements. La comédie italienne possédait une troupe de ballets.
L’Académie royale de musique[308] était soumise à l’autorité directe du ministre de la maison du roi ; administrée d’abord par des directeurs privilégiés, elle fut en 1749 confiée à la prévôté des marchands, qui en garda la direction jusqu’en 1776[309].
[308] L’Opéra était établi au théâtre du Palais-Royal depuis 1673 ; il y resta jusqu’en 1763. Brûlé à cette époque, on le transporta aux Tuileries. En 1770, la nouvelle salle, élevée place du Palais-Royal, fut inaugurée. Brûlée encore en 1781, on la reconstruisit à la porte Saint-Martin.
[309] Elle afferma le théâtre de 1757 à 1776. A cette époque on lui enleva l’administration et le privilège ; et jusqu’en 1789 l’Opéra fut dirigé par un comité nommé par le roi. Sa Majesté fut à plusieurs reprises obligée d’intervenir pour combler les déficits.
L’autorité des Gentilshommes ne s’exerçait pas seulement sur les théâtres de Paris ; elle s’étendait encore, dans une certaine mesure, sur le reste de la France ; ils avaient le droit d’enlever aux scènes de province[310] tous les acteurs qu’ils jugeaient en état de figurer sur un des trois théâtres royaux[311].
[310] Les théâtres royaux possédaient également le droit souverain d’enlever aux autres scènes, pour se les approprier, toutes les pièces à leur convenance.
[311] En province les théâtres se trouvaient placés sous la juridiction des magistrats municipaux.
Tous ces pouvoirs extraordinaires étaient admis sans discussion et ils furent exercés journellement jusqu’en 1789.