Les comédiens hors la loi
XXII
RÈGNE DE LOUIS XVI
Sommaire : Débuts du règne. — Passion de la reine pour le théâtre. — La comédie à Trianon. — Le clergé et les spectacles. — Succès des comédiens dans le monde. — Enthousiasme qu’ils excitent à Paris et en province.
L’engouement pour les spectacles, déjà si excessif sous le règne de Louis XV, devient sous celui de son successeur une passion effrénée, le goût pour les comédiens devient de la folie pure.
Se rendre au théâtre est devenu un des devoirs essentiels de la journée. « Il y a vingt-cinq ans, dit Mlle Clairon en 1786, qu’une femme qui auroit paru plus de deux ou trois fois par mois au spectacle, se seroit affichée de la manière du monde la plus indécente. Grâce à l’invention des petites loges, elles y vont impunément tous les jours, et ce n’est qu’à l’instant du souper qu’on les trouve chez elles[452]. »
[452] Grimm, Correspondance littéraire, mai 1786.
L’exemple part de haut, et la reine elle-même éprouve pour l’art dramatique un irrésistible penchant. N’étant encore que dauphine, elle jouait la comédie en cachette du vieux roi et elle prenait de Dugazon des leçons de déclamation ; dans son aveugle frivolité, elle usait de tout son crédit pour faire autoriser les représentations du Barbier ; mais Mme Du Barry, plus avisée, s’y opposait. Dès qu’elle fut sur le trône, Marie-Antoinette fit lever l’interdit et la pièce fut jouée au mois de janvier 1775. En même temps, elle cherchait à organiser des représentations à Versailles ; longtemps elle eut à lutter contre les répugnances du roi qui détestait le théâtre au point de jeter au feu, lorsqu’on la lui présenta, la liste du nouveau répertoire en s’écriant : « Voilà le cas que je fais de ces choses-là. » La reine cependant finit par vaincre les scrupules de Louis XVI, et elle put s’adonner à son goût en toute liberté.
La Comédie française et la Comédie italienne sont appelées très fréquemment à la cour. Leurs représentations paraissant encore insuffisantes, la reine fait donner à la Montausier[453] l’autorisation de s’installer avec sa troupe à Versailles et le privilège de suivre le roi dans toutes ses résidences : « Il y avait souvent, dans les petits voyages de Choisy, spectacle deux fois dans la même journée : grand opéra, comédie française ou italienne à l’heure ordinaire, et, à onze heures du soir, on rentrait dans la salle de spectacle pour assister à des représentations de parodies, où les premiers acteurs de l’Opéra se montraient dans les rôles et sous les costumes les plus bizarres[454]. »
[453] Montausier (Marguerite Brunet dite la) (1730-1820). Elle débuta au théâtre, mais sans grand succès ; sa véritable vocation était de diriger des troupes de comédiens. Ses relations avec la cour la rendirent suspecte pendant la Révolution, et en 1792, pour faire acte de civisme, elle équipa une compagnie franche de trente hommes.
[454] Mémoires de Mme Campan, chap. VII.
On donnait les parodies d’Ermelinde et d’Iphigénie. Ermelinde avait d’abord été représentée à Paris, chez la Guimard, et l’on sait combien les pièces de ces théâtres particuliers étaient souvent licencieuses. Celle-ci se conformait à l’usage ; elle eut cependant le plus grand succès, et le roi parut s’en amuser beaucoup. On en conclut à tort que Louis XVI avait un goût marqué pour la grivoiserie, et on lui servit sans plus tarder d’autres pièces du même genre. La Princesse a, e, i, o, u, fut jouée à Choisy en présence du roi, avec des applaudissements unanimes : « Cette parade est des plus équivoques et des plus dégoûtantes, disent les Mémoires secrets, pour quelqu’un qui ne porteroit pas à ce genre de spectacle une certaine bonhomie… Du reste, on n’y trouve rien contre les bonnes mœurs, mais une gaieté polissonne et des propos si poissards qu’on a été obligé d’avoir recours aux poissardes les plus consommées pour exercer et styler les acteurs. Les hommes étoient habillés en femmes et les femmes en hommes : c’étoit une déraison, une farce générale. »
Partout où la reine se trouvait, il lui fallait un théâtre ; en juin 1778, étant à Marly, où il n’y avait pas de salle de comédie, elle en fit installer une à la hâte dans une grange et on appela la Montausier avec sa troupe. Enfin en 1780 on organisa le théâtre de Trianon ; la reine voulait elle-même monter sur la scène, le roi s’y opposa d’abord, puis, comme toujours, finit par céder. Les principaux acteurs étaient : la reine, le comte d’Artois, la comtesse Diane de Polignac, la duchesse de Guiche, Mme Élisabeth, la duchesse de Polignac, Mme de Polastron, le comte d’Adhémar, le comte de Vaudreuil, le duc de Guiche, etc. Caillot[455] et Dazincourt furent chargés de diriger les répétitions.
[455] Caillot (1732-1816), comédien français.
On pense bien que de pareils exemples ne firent que donner une nouvelle recrudescence aux théâtres particuliers. Plus encore que pendant le dernier règne, Paris en était inondé. Mais le genre, loin de s’épurer, devenait de plus en plus licencieux. Monsieur, en particulier, donna à son château de Brunoy une représentation qui fit scandale et où plusieurs femmes du monde, révoltées enfin des grivoiseries qu’on leur présentait, se levèrent et se retirèrent.
Le genre léger avait gagné les théâtres publics eux-mêmes ; ils n’en étaient que plus fréquentés : « La troupe du sieur Lécluse, intitulée aujourd’hui le spectacle des Variétés amusantes, dit Bachaumont, est devenue à la mode : c’est la fureur du moment. Malgré les grossièretés dont ce théâtre est infecté, les femmes les plus qualifiées, les plus sages, en raffolent[456]. »
[456] 13 juillet 1779.
Le clergé suivait l’exemple général et ne se montrait pas plus réservé que la cour elle-même. L’archevêque de Paris écrivait cependant au ministre Malesherbes pour se plaindre que la Montausier, fière de son privilège, donnât des représentations les jours de fêtes solennelles et qu’elle affectât de choisir les époques où les spectacles étaient prohibés à Paris pour donner le sien à Versailles, dans l’espérance d’y avoir plus de monde : « Les honnêtes gens, disait le prélat, gémissent sur un usage aussi abusif, aussi contraire à la décence, et que le Roi, étant Dauphin, désapprouvoit fort, à ce qu’on m’a assuré. J’espère donc, monsieur, de votre amour pour la religion et de votre zèle pour le bon ordre, que vous vous porterez à faire cesser un pareil scandale[457]. »
[457] Adolphe Jullien, la Comédie à la cour.
Mais s’il y avait scandale à donner des spectacles les jours de fête religieuse, il était encore bien plus fâcheux de voir des prélats se montrer aux représentations les moins réservées.
En mars 1778 on représenta chez Mme de Montesson l’Amant romanesque et le Jugement de Midas[458]. « Outre beaucoup d’abbés qui y ont assisté, il y avoit, suivant la coutume, des archevêques et des évêques au nombre de douze. Ces prélats y sont venus avec la même aisance, la même impudence que s’ils fussent entrés dans le sanctuaire pour y officier. Ils entouroient M. le duc d’Orléans et l’un d’eux a prêté son manteau pour Midas. Quoiqu’il y ait quelques gravelures dans la deuxième pièce, Nos Seigneurs ont fait bonne contenance et n’ont point été déconcertés[459]. »
[458] Opéra comique en trois actes, musique de Grétry.
[459] Bachaumont, 30 mars 1778.
Il y avait cependant une excommunication spéciale portée par le concile d’Elvire contre ceux qui prêtaient leurs habits aux comédiens ; ils étaient privés pendant trois ans de la communion. Mais si l’on observait scrupuleusement les canons des conciles quand il s’agissait de chasser de l’église les comédiens, on s’empressait de n’en tenir aucun compte quand ils excluaient du théâtre les hommes d’église.
Au mois d’avril on donna encore chez Mme de Montesson la Belle Arsène, opéra comique où il y avait des ballets « extrêmement voluptueux ». « Les prélats y sont venus comme à l’ordinaire, mais en moindre nombre ; ils n’étoient que huit ; on y remarquoit entres autres l’archevêque de Narbonne et l’évêque de Saint-Omer. Mme de Montesson remplissoit le rôle de la belle Arsène, M. de Caumartin celui d’Alcindor, et différentes femmes et seigneurs de cette cour faisoient les autres. Mais les danses étoient exécutées par ce que l’Opéra a de meilleur en élèves de Terpsichore. Le coup d’œil le plus curieux pour un philosophe étoit celui des évêques, tous la lorgnette à la main, savourant avec un plaisir qui se manifestoit sur leur physionomie les mouvements les plus lascifs, les attitudes les plus lubriques des danseuses et ils n’en perdoient rien[460]. »
[460] Bachaumont, 9 avril 1778.
S’il ne faut accepter qu’avec réserve les détails égrillards où se complaît le chroniqueur, on peut, quant au fait en lui-même, s’en rapporter à son récit.
Plus peut-être qu’à aucune époque, le goût pour les gens de théâtre était devenu une véritable monomanie. Marie-Antoinette appelait la Guimard à ses conseils de toilette, et la danseuse n’ignorait pas le prix que la reine attachait à ses avis. Un jour, pour une escapade, on la menait au For l’Évêque : « Ne pleure pas, dit-elle à sa suivante, je viens d’écrire à la reine que j’ai trouvé une nouvelle manière d’échafauder les cheveux, je serai libre avant ce soir. » Et ce fut comme elle avait dit. Mlle Raucourt jouissait au plus haut degré de la protection de la reine : « Sa Majesté assiste à toutes ses représentations, écrit Mme d’Oberkirch, et l’encourage par les éloges les plus flatteurs[461]. »
[461] Mémoires de Mme d’Oberkirch.
Toutes les élégantes copiaient les costumes des actrices. La lévite de Mlle Saint-Val dans le rôle de la comtesse Almaviva, fut adoptée avec fureur et on lui donna le nom de la comédienne. Mlle Contat[462], jouant le rôle de Suzanne, portait un bonnet fort élégant ; la mode s’en empara sous le nom de « bonnet soufflé à la Suzanne ». Mlle Raucourt faisait scandale par ses folles dépenses, on imagina aussitôt un chapeau à la Raucourt, figurant un panier percé ; les plus honnêtes femmes n’hésitèrent pas à s’en parer.
[462] Contat (Louise) (1760-1813), de la Comédie française.
On jouait la comédie chez Mlle Guimard devant la plus auguste assemblée : princes du sang, ministres, grands seigneurs s’y trouvaient confondus. La danseuse dépensait plus de 100 000 livres par an[463] ; elle avait un hôtel superbe où elle déployait un luxe inouï[464]. Son théâtre lui coûtait des sommes considérables. Un jour, après une représentation à la cour, le roi lui accorda une pension de 1500 livres. « Je l’accepte, dit-elle dédaigneusement, à cause de la main dont elle vient, car c’est une goutte d’eau dans la mer ; c’est à peine de quoi payer le moucheur de chandelles de mon théâtre. »
[463] Elle passait pour fort charitable, donnait beaucoup à la paroisse et ses gens avaient ordre de ne jamais renvoyer un pauvre : « Je donne l’exemple, disait-elle, afin qu’on ne me refuse pas plus tard. » Pendant l’hiver de 1768, on raconta qu’elle montait elle-même dans les galetas secourir les indigents ; la nouvelle fit grand bruit ; Marmontel composa une ode sur ce spectacle touchant ; un curé loua en chaire la bienfaisance de la danseuse, tout le monde était attendri : « J’ai envie, dit Grimm, en racontant l’anecdote, de faire ici le rôle de ce bon curé de village, qui, ayant prêché à ses paysans la Passion de Notre-Seigneur, et les voyant tous pleurer de l’excès de ses souffrances, eut quelque pitié de les renvoyer chez eux si affligés, et leur dit : « Mes enfants, ne pleurez pourtant pas tant, car tout cela n’est peut-être pas vrai. »
[464] En 1786, Mlle Guimard vendit sa maison de la rue de la Chaussée-d’Antin au moyen d’une loterie de 2500 billets à 120 livres l’un. Un officier public assista au tirage. Ce fut le numéro 2175 qui gagna ; il appartenait à la comtesse du Lau, qui revendit l’hôtel 500 000 livres au banquier Perregaux.
Mlle Laguerre en mourant laissa plus de 1 800 000 livres. Le duc de Bourbon eut un enfant d’une actrice, Mlle Michelot ; l’enfant fut baptisé sous le nom du duc et tenu par procuration au nom de Mlle de Condé, sa sœur, et du prince de Soubise[465]. Le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur de l’empereur et de l’impératrice reine, comblait de biens Mlle Levasseur[466] de l’Opéra ; il lui fit don d’une terre titrée et en 1790, complètement subjugué, il épousa la comédienne[467]. Mlle Saint-Huberty devint comtesse d’Entraigues[468] et elle reçut du comte de Provence le cordon de l’ordre de Saint-Michel[469], pour le courage dont elle fit preuve en faisant évader son mari. Mlle Lolotte Gaucher[470], fille d’un comédien, fut déclarée comtesse d’Hérouville. Personne ne murmura de cette alliance. La maison du comte devint le rendez-vous du goût, de l’esprit, de la politesse, des talents et de tout ce qu’il y avait de plus recommandable à la cour et à la ville[471].
[465] L’enfant mourut.
[466] Mlle Levasseur se montra en toutes choses d’une extrême précocité ; on assure qu’elle fut mère à neuf ans.
[467] Le comte de Clermont avait épousé Mlle Leduc. Mlle Rem était devenue la seconde femme de M. Le Normant d’Étiolles ; on écrivit sur cette union :
[468] (1756-1812).
[469] Elle était la seconde femme honorée de cet ordre ; la première fut Mlle Quinault.
[470] Elle avait inspiré la plus violente passion à mylord d’Albermale, ambassadeur d’Angleterre.
[471] Mémoires de Dufort de Cheverny.
Grisés par la place de plus en plus grande qu’on leur laissait prendre dans la société, flattés d’occuper à un si haut point l’opinion, les comédiens ne se faisaient pas faute d’entretenir ce beau zèle et à chaque instant on les voyait prendre le public pour juge dans les moindres querelles qui survenaient entre eux.
Une dispute éclate à la Comédie à propos de quelques rôles entre Mme Vestris qui a l’emploi des premières princesses et Mlle Sainval l’aînée, reçue pour l’emploi des reines. Les Gentilshommes tranchent le différend en faveur de Mme Vestris que protège le duc de Duras. L’actrice satisfaite cède alors à sa rivale les rôles qui faisaient l’objet du litige et propose modestement de la doubler. Elle a soin de faire insérer dans le Journal de Paris une note où son bon procédé est exalté.
Mlle Sainval, outrée de voir son ennemie faire un étalage public de beaux sentiments, voulut répondre, mais on refusa sa lettre. Elle fit alors imprimer un mémoire, et le répandit à profusion. Le maréchal de Duras furieux la fit exiler par lettre de cachet à Clermont en Beauvaisis. C’était une punition réservée jusqu’alors aux personnes illustres et qu’on n’avait point exercée encore envers une comédienne. Cette querelle devint un des événements du dix-huitième siècle, la cour et la ville étaient divisées en deux partis : lettres, libelles, mémoires, épigrammes, se succédaient sans interruption.
En 1784, nouvelle querelle entre Mme Vestris et Sainval cadette ; le public est encore mis dans la confidence. Nouvelles discussions, nouveaux mémoires, rédigés par les plus fameux avocats.
Quand on représenta à Fontainebleau la Didon de Piccini, Mlle Saint-Huberty excita des transports incroyables[472]. Louis XVI lui-même applaudissait à tout rompre ; sur l’heure il accorda à la cantatrice une pension de 1500 livres, et il envoya le maréchal de Duras lui exprimer toute sa satisfaction. « Ce fut, écrit un des assistants, la plus belle scène de la soirée. Lorsque M. le maréchal de Duras entra dans les coulisses, suivi d’une foule de courtisans en habit de gala, Mme Saint-Huberty n’avait pas encore eu le temps de changer de costume. Elle était debout, sa couronne sur la tête, drapée dans le manteau de pourpre de la reine de Carthage. Marmontel et Piccini, ivres de bonheur, s’étaient jetés à ses genoux et lui embrassaient les mains. On aurait dit deux coupables à qui elle faisait grâce de la vie. Ils ne se relevèrent pas quand M. de Duras s’approcha pour répéter les paroles du roi. L’actrice écoutait le maréchal, et son visage, encore animé par l’inspiration, s’illuminait de la joie du triomphe, le rouge de l’orgueil montait à son front. C’était un spectacle admirable. Elle avait tant de grandeur, de noblesse, de majesté avec ces hommes à ses pieds, que mieux encore que sur le théâtre elle donnait l’idée de la reine de Carthage ; tous les grands seigneurs présents avaient l’air de ses courtisans[473]. »
[472] Elle parut costumée à l’antique. Déjà précédemment dans une pièce qui se passait en Thessalie, elle s’était montrée revêtue d’une longue tunique de lin, les jambes nues et chaussée de brodequins. Le lendemain il lui fut interdit de reparaître en scène dans ce costume.
[473] M. de Duras, étant allé lui rendre visite quelques jours plus tard, « trouva la sublime Didon enveloppée dans un mauvais jupon ; elle faisait une partie de piquet avec son petit jockey, sur un coin de table recouvert d’un vieux torchon en guise de tapis. » (Gaboriau, les Comédiennes adorées.)
Quand Didon fut représentée à Paris, l’enthousiasme ne fut pas moindre. Le public en délire ne savait comment témoigner à l’actrice son admiration ; la salle entière sanglotait et n’interrompait ses larmes que pour éclater en applaudissements frénétiques.
La province ne se montrait pas moins idolâtre de tout ce qui touchait à la comédie. Les acteurs de Paris qui parcouraient les grandes villes de France, étaient l’objet d’ovations incessantes.
Lorsque Mlle Sainval l’aînée fut exilée de Paris, pour occuper ses loisirs elle se rendit à Bordeaux, où elle joua avec le plus grand succès ; jamais actrice n’avait fait une pareille sensation. « Quoiqu’on fût dans le temps le plus pressant des vendanges, on a tout quitté pour elle, et le dernier jour, comme elle finissait Mérope, deux Amours sortant d’un nuage sont venus poser une couronne sur sa tête aux acclamations du public, qui lui a jeté à son tour d’autres couronnes et des pièces de vers, en demandant à grands cris une représentation à son profit. »
Larive donna également des représentations à Bordeaux ; il y excita de tels transports qu’à la sortie du spectacle il trouvait les avenues de sa demeure toutes parsemées de lauriers[474].
[474] Histoire des Théâtres de Bordeaux, par Detchevery.
Quand Mme Saint-Huberty se rendit en province, elle souleva un enthousiasme incroyable ; les ovations que reçoivent certaines actrices de nos jours, et qui nous paraissent si excessives, n’en sont que de pâles imitations. A Marseille, on donna à la cantatrice une fête digne d’une souveraine. On ne pourrait y croire, si un témoin digne de foi n’en attestait tous les détails.
« Mme Saint-Huberty, écrit M. Campion[475], vêtue ce jour-là à la grecque, est arrivée par mer sur une très belle gondole, portant pavillon de Marseille, armée de huit rameurs, vêtus de même à la grecque ; elle étoit suivie de 200 chaloupes chargées de ceux qui vouloient voir la fête et encore plus celle qui en étoit l’objet. Elle a débarqué sur le rivage, au bruit d’une décharge de boîtes, et des acclamations du peuple. Un moment après, elle a remis en mer pour jouir du spectacle d’une joute. Le vainqueur lui a apporté la couronne et l’a reçue de nouveau de ses mains avec le prix de son triomphe. »
[475] 15 août 1785.
Une fois descendue de la gondole, la cantatrice s’étendit sur une espèce de divan et elle reçut en souveraine les hommages des spectateurs. Puis dans une petite pièce allégorique, on la proclama la dixième Muse et Apollon, détachant sa propre couronne, la lui remit au bruit de l’artillerie et des applaudissements. A Toulouse, à Lyon, à Strasbourg, même délire, même enthousiasme.