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Les comédiens hors la loi

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XVI
RÈGNE DE LOUIS XV (SUITE)

Sommaire : Peu de sympathie du public pour les comédiens. — Attaque de J.-J. Rousseau. — Réponse de d’Alembert. — Intervention de Voltaire. — Son opinion sur les comédiens et le théâtre.

Les traitements rigoureux, presque barbares, que l’Église et la société civile infligeaient aux comédiens pendant le dix-huitième siècle, ne paraissent pas avoir soulevé l’indignation publique. Le préjugé contre eux avait poussé de si profondes racines, on s’était depuis longtemps si bien habitué à les considérer comme hors la loi, qu’on ne s’inquiétait guère de ce qui leur advenait et qu’à leur égard tout paraissait naturel et légitime. On trouvait fort bon, il est vrai, de jouir de leurs talents, on les encourageait par des applaudissements unanimes, mais quant à modifier leur situation sociale, quant à faire disparaître le ridicule anathème qui pesait sur eux, nul n’y songeait et ne s’en souciait. Sur ce point l’opinion leur était manifestement hostile, et loin de les soutenir dans leurs revendications, elle s’y montrait toujours défavorable.

La bourgeoisie qu’irritaient leurs succès à la cour et à la ville, les décriait volontiers et si les grands les entouraient d’excessives adulations, ils trouvaient en même temps fort avantageux de les maintenir dans un véritable état d’ilotisme. Seule la petite secte philosophique leur montrait quelque sympathie et paraissait ne pas vouloir les oublier dans la campagne qu’elle venait d’entreprendre contre les injustices et les préjugés de l’époque.

Les témoignages contemporains montrent à quel point était poussé le mauvais vouloir à l’égard des gens de théâtre.

« Quant au rang que tient dans l’ordre de la société un comédien, dit Collé, j’avoue que le préjugé l’a réglé et qu’il lui a assigné sa place au-dessus de celle du bourreau, en la jugeant pourtant moins nécessaire. Cependant, sans adopter un préjugé aveugle qui pousse les choses au delà du but, il faut convenir néanmoins que le mépris que l’on a pour un histrion est assez bien fondé sur la bassesse d’une profession ou plutôt d’un métier dans lequel l’homme qui l’exerce est obligé de me faire rire pour mon argent.

« Les mœurs de toute cette race-là ont d’ailleurs augmenté infiniment ce mépris de préjugé que l’on a pour leur art et il a passé à leurs personnes. Je sais bien que nos petits philosophes ont des raisonnements tout faits, dans leurs manufactures métaphysiques, pour saper par le fondement ce préjugé-là et beaucoup d’autres, qui, même comme préjugés, sont fort utiles ; mais en donnant des preuves convaincantes aux hommes, on ne les amène pas à avoir de la considération pour des gens auxquels on a voué un mépris né avec nous. Pour déraciner en nous ce mépris, il faudroit imaginer une abstraction métaphysique par laquelle nous verrions un comédien parfaitement honnête homme, et qui n’auroit d’autre tare que de s’être fait comédien, et c’est ce qui ne s’est point encore rencontré parmi nous. »

Cette question du théâtre, et de la situation sociale qui devait être faite à ses interprètes, est une de celles qui ont le plus vivement passionné les deux derniers siècles. Au dix-septième, la discussion était restée entre théologiens ; au dix-huitième, les philosophes interviennent et c’est entre eux que se poursuit une querelle qui, pour l’Église, n’a plus de raison d’être puisque sa doctrine fait loi.

La société civile et la société religieuse allaient trouver un auxiliaire inattendu dans un philosophe qui jusqu’alors n’avait pas passé pour un ennemi déclaré des spectacles, bien au contraire. Après avoir fait représenter des opéras, des ballets, des comédies, J.-J. Rousseau, fidèle à son goût pour la contradiction, fut saisi tout à coup de la plus vertueuse indignation contre l’art dramatique. Non content de se tenir désormais à l’écart de cet art funeste, il voulut en détourner son prochain, et c’est ainsi qu’il fut amené à écrire la Lettre sur les spectacles. Cette lettre répondait à l’article Genève de d’Alembert, dans lequel l’encyclopédiste avait émis le vœu de voir un théâtre s’élever dans la cité de Calvin.

L’opinion de Rousseau n’admet pas d’ambiguïté : « L’effet du théâtre, dit-il, est de donner une nouvelle énergie à toutes les passions… Tout est mauvais et pernicieux dans la comédie. Plus elle est agréable, plus son effet est funeste aux mœurs. Qui peut disconvenir que le théâtre de Molière ne soit une école de vices et de mauvaises mœurs, plus dangereuse que les livres mêmes où l’on fait profession de les enseigner ? » Les écrivains religieux les plus austères ne parlaient pas autrement.

Le philosophe ne se borna pas à publier une diatribe contre les spectacles ; il s’attaqua avec violence aux interprètes tragiques et comiques. Pour lui la profession de comédien est infâme et la conduite de ceux qui l’exercent ne l’explique que trop. « En commençant par observer les faits, avant de raisonner sur les causes, dit-il, je vois en général que l’état de comédien est un état de licence et de mauvaises mœurs ; que les hommes y sont livrés au désordre ; que les femmes y mènent une vie scandaleuse ; que les uns et les autres, avares et prodigues tout à la fois, toujours accablés de dettes, et toujours versant l’argent à pleines mains, sont aussi peu retenus sur leurs dissipations que peu scrupuleux sur les moyens d’y pourvoir. Je vois encore que par tout pays leur profession est déshonorante ; que ceux qui l’exercent, excommuniés ou non, sont partout méprisés, et qu’à Paris même, où ils ont plus de considération et une meilleure conduite que partout ailleurs, un bourgeois craindrait de fréquenter ces mêmes comédiens qu’on voit tous les jours à la table des grands. »

Voilà des faits incontestables. Il est possible, poursuit le philosophe, que ce ne soient là que des préjugés, mais ces préjugés sont universels.

Avant de s’élever contre ce préjugé, il faut premièrement s’assurer « si ce n’est qu’un préjugé, et si la profession de comédien n’est pas en effet déshonorante en elle-même. Qu’est-ce que le talent du comédien ? L’art de se contrefaire, de revêtir un autre caractère que le sien, de paraître différent de ce qu’on est, de se passionner de sang-froid, etc… Qu’est-ce que la profession du comédien ? Un métier, par lequel il se donne en représentation pour de l’argent, se soumet à l’ignominie et aux affronts qu’on achète le droit de lui faire, et met publiquement sa personne en vente. J’adjure tout homme sincère de dire s’il ne sent pas au fond de son âme qu’il y a dans ce trafic de soi-même quelque chose de servile et de bas. »

Rousseau en conclut que l’esprit que le comédien reçoit de son état est « un mélange de bassesse, de fausseté, de ridicule orgueil et d’indigne avilissement, qui le rend propre à toutes sortes de personnages, hors le plus noble de tous, celui d’homme, qu’il abandonne. »

Mais ce n’est pas tout. De ce que le comédien représente des passions qu’il n’éprouve pas en réalité, de ce qu’il cultive un art où l’imitation joue le plus grand rôle, le philosophe genevois tire des conclusions réellement stupéfiantes. Il se demande avec anxiété : « Ces hommes si bien parés, si bien exercés au ton de la galanterie et aux accents de la passion, n’abuseront-ils jamais de cet art pour séduire de jeunes personnes ? Ces valets filous, si subtils de la langue et de la main sur la scène, dans les besoins d’un métier plus dispendieux que lucratif, n’auront-ils jamais de distractions utiles ? Ne prendront-ils jamais la bourse d’un fils prodigue ou d’un père avare pour celle de Léandre ou d’Argan ? Partout la tentation de mal faire augmente avec la facilité, et il faut que les comédiens soient plus vertueux que les autres hommes s’ils ne sont pas plus corrompus. »

Jean-Jacques n’admet même pas que la morale puisse exister dans un état aussi dangereux : forcément, fatalement, la comédienne est condamnée au vice ; « celle qui se met à prix en représentation s’y mettra bientôt en personne. »

« Quoi ! dit-il, malgré mille timides précautions, une femme honnête et sage, exposée au moindre danger, a bien de la peine encore à se conserver un cœur à l’épreuve ; et ces jeunes personnes audacieuses, sans autre éducation qu’un système de coquetterie et des rôles amoureux, dans une parure très peu modeste, sans cesse entourées d’une jeunesse ardente et téméraire, au milieu des douces voix de l’amour et du plaisir, résisteront-elles à leur âge, à leur cœur, aux objets qui les environnent, aux discours qu’on leur tient, aux occasions toujours renaissantes et à l’or auquel elles sont d’avance à demi vendues ? »

Dans de pareilles conditions Rousseau estime que la résistance est impossible. Que penser d’une profession qui par son essence même ne vous permet pas de rester vertueux ?

Mais il ne s’agit ici que des comédiennes. Les comédiens trouvent-ils grâce auprès du philosophe ? Pas davantage, et à ses yeux leur vertu n’est pas plus en sûreté que celle de leurs camarades : « Je n’ai pas besoin, je crois, d’expliquer comment le désordre des actrices entraîne celui des acteurs… Je n’ai pas besoin de montrer comment d’un état déshonorant naissent des sentiments déshonnêtes, ni comment des vices divisent ceux que l’intérêt commun devrait réunir. »

Quel remède porter à tant de maux ? Ne pourrait-on par des lois sévères réformer le théâtre et les mœurs des comédiens ? Ce serait peine perdue. « Quand les maux de l’homme lui viennent de sa nature ou d’une manière de vivre qu’il ne peut changer, les médecins les préviennent-ils ? Défendre au comédien d’être vicieux, c’est défendre à l’homme d’être malade. »

C’est à cette conclusion consolante que s’arrête le philosophe genevois. Pour lui, le seul moyen efficace de moraliser la scène est de faire disparaître la cause, c’est-à-dire de supprimer le théâtre.

D’Alembert prit la peine de répliquer et de réfuter les singulières théories de Jean-Jacques : « La plupart des orateurs chrétiens en attaquant la comédie, riposta-t-il malicieusement, condamnent ce qu’ils ne connaissent pas. Vous avez au contraire étudié, analysé, composé vous-même, pour en mieux juger les effets, le poison dangereux dont vous cherchez à nous préserver ; et vous décriez nos pièces de théâtre avec l’avantage non seulement d’en avoir vu, mais d’en avoir fait. »

Sans vouloir suivre l’encyclopédiste dans son argumentation, nous citerons cependant le curieux passage qu’il consacre aux femmes de théâtre. Ne gardant pas plus de mesure dans sa défense que Jean-Jacques dans son attaque, d’Alembert croit pouvoir se porter garant de la vertu des comédiennes avec une assurance qui frise le ridicule.

« La chasteté des comédiennes, j’en conviens avec vous, dit-il, est plus exposée que celle des femmes du monde, mais aussi la gloire de vaincre en sera plus grande : il n’est pas rare d’en voir qui résistent longtemps, et il serait plus commun d’en trouver qui résistassent toujours, si elles n’étaient découragées de la continence par le peu de considération qu’elles en retirent… Qu’on accorde des distinctions aux comédiennes sages, et ce sera, j’ose le prédire l’ordre de l’État le plus sévère dans ses mœurs. »

D’Alembert ne fut pas le seul à relever les singulières imputations de Jean-Jacques. La Lettre sur les spectacles avait soulevé dans le monde des théâtres une émotion indescriptible ; les extraits que l’on vient de lire ne l’expliquent que trop aisément. L’indignation était générale et plusieurs comédiens prirent la plume pour réfuter des articulations calomnieuses. Un certain Laval, entre autres, publia, pour réhabiliter sa profession, une brochure dont les arguments ne manquaient ni de justesse ni de valeur[312].

[312] L’ouvrage de Rousseau provoqua une foule de réfutations, dont on peut trouver la liste dans les Lettres sur les spectacles par M. Desprez de Boissy. Paris, 1773.

Ce débat sur la considération que méritaient les gens de théâtre n’était pas nouveau ; il avait déjà soulevé des discussions passionnées. Quelques années auparavant, les comédiens, violemment attaqués par l’abbé Desfontaines[313], étaient eux-même entrés dans la lice et avaient fait composer en leur honneur un petit opuscule[314] destiné à mettre en relief leurs mérites et leurs vertus ; mais leurs arguments, quelque excellents qu’ils pussent être, avaient le tort de venir de la partie intéressée et se trouvaient par conséquent d’avance frappés de nullité. Heureusement pour eux les acteurs avaient trouvé des défenseurs dans le parti encyclopédique, et, à leur tête, le plus puissant de tous, l’homme le plus capable d’abattre un préjugé et de faire triompher la vérité.

[313] L’abbé Desfontaines avait d’abord été au mieux avec les comédiens, qui l’avaient même chargé de répondre à une attaque de Riccoboni ; il écrivit dans ce but les Lettres d’un Garçon de café, où il réhabilitait la profession du théâtre. Pour reconnaître ce service, les Comédiens français « donnèrent à l’auteur une somme d’argent, le régalèrent et lui accordèrent ses entrées gratuites. » Mais Desfontaines se brouilla avec Voltaire et l’irascible philosophe exigea des comédiens une rupture complète avec l’abbé. Le 9 août 1742, à la première représentation de Mahomet, Desfontaines fut consigné à la porte du théâtre. Furieux de cette injure, il publia des Observations sur les écrits modernes où il couvrait d’injures les comédiens. Mme de Vaudreuil disait un jour à l’abbé : « Vous ne craignez donc pas les ennemis ? » « Dieu m’en garde, répondit-il, c’est toute ma fortune. » (Tablettes d’un gentilhomme sous Louis XV.)

[314] Il portait le titre de Lettre d’un comédien de Paris à un de ses camarades en province. Bruxelles, 1742. L’auteur était M. Janvier de Flinville.

Depuis les vers indignés que lui avait inspirés le traitement barbare infligé aux restes de Mlle Lecouvreur, Voltaire, en toute occasion, s’était efforcé de lutter contre le préjugé qui mettait hors la loi les gens de théâtre. Il était doublement dans son rôle en agissant ainsi : lui qui ne pouvait supporter l’injustice, qui toujours prit parti pour l’opprimé, ne devait pas voir de sang-froid l’indignité dont étaient frappés, au mépris de toute équité, des hommes respectables qu’il estimait et qu’il regardait comme ses amis.

Mais il y avait encore une autre raison pour qu’il cherchât à faire revenir son siècle sur d’absurdes préventions. N’était-il pas le premier auteur dramatique de l’époque et ces hommes si maltraités, si avilis, n’étaient-ils pas chaque jour ses interprètes ? Cette seule raison eût été suffisante pour motiver son intervention active, pressante, incessante.

Dès 1738, répondant à Mlle Quinault qui l’engageait à composer de nouvelles tragédies, il lui parlait du dégoût qu’il éprouvait et de son désir de se dérober aux fureurs de l’envie et aux jugements inconsidérés des hommes.

« Personne n’était plus capable que vous, lui écrivait-il, de donner quelque considération à l’état charmant que vous ennoblissez tous les jours. Mais ce bel état en est-il moins décrié par les bigots, moins indifférent aux personnes de la cour ? Et répand-on moins d’opprobre sur un état qui demande des lumières, de l’éducation, des talents, sur une étude et sur un art qui n’enseigne que la morale, les bienséances et les vertus ?

« J’ai toujours été indigné[315] pour vous et pour moi que des travaux si difficiles et si utiles fussent payés de tant d’ingratitude, mais à présent mon indignation est changée en découragement. Je ne réformerai point les abus du monde ; il vaut mieux y renoncer. Le public est une bête féroce : il faut l’enchaîner ou la fuir. Je n’ai point de chaînes pour elle, mais j’ai le secret de la retraite… »

[315] A Mlle Quinault. Cirey, 16 août 1738.

En toute occasion il faisait le panégyrique des comédiens ; il ne cessait de s’élever contre les rigueurs dont ils étaient victimes, rigueurs souvent même contradictoires et qui nous couvraient de ridicule aux yeux des étrangers.

« Lorsque les Italiens et les Anglais, disait-il[316], apprennent que l’on excommunie des personnes gagées par le roi…, qu’on déclare œuvres du démon des pièces revues par les magistrats les plus sévères et représentées devant une reine vertueuse, que voulez-vous qu’ils pensent de notre nation, et comment peuvent-ils concevoir, ou que nos lois autorisent un art déclaré si infâme, ou qu’on ose marquer de tant d’infamie un art autorisé par les lois, récompensé par les souverains, cultivé par les plus grands hommes[317] ? »

[316] Lettres philosophiques.

[317] L’abbé de Latour, qui n’est jamais à bout d’arguments quand il s’agit des comédiens, prévoit cette objection et y répond : « Il n’y a pas inconséquence, dit-il, à déshonorer des gens qu’on protège, qu’on paye, qu’on pensionne, car il est à propos quelquefois que l’État encourage et protège des professions déshonorantes mais utiles, sans que ceux qui les exercent en doivent être plus considérés pour cela. »

Le châtelain de Ferney défendait le théâtre avec non moins d’énergie que ses interprètes ; et il ne pouvait concevoir comment des hommes étaient assez insensés pour attaquer un art qui ne pouvait produire que de bons et salutaires effets. « Il vaut mieux voir l’Œdipe de Sophocle, mandait-il au marquis Albergati Capacelli, que de perdre au jeu la nourriture de ses enfants, son temps dans un café, sa raison dans un cabaret, sa santé dans des réduits de débauche, et toute la douceur de sa vie dans le besoin et dans la privation des plaisirs de l’esprit[318]. »

[318] 23 décembre 1760.

Voltaire depuis plusieurs années habitait près de Genève ; il avait vainement tenté d’acclimater l’art dramatique dans la Rome protestante. Furieux de sa déconvenue et des tracasseries que le clergé calviniste ne cessait de lui susciter à propos de ses représentations de Tournay et de Ferney, il accusait volontiers les réformateurs des infortunes du théâtre et des comédiens.

« Ce sont les hérétiques, il le faut avouer, s’écriait-il, qui ont commencé à se déchaîner contre le plus beau de tous les arts. Léon X ressuscitait la scène tragique ; il n’en fallait pas davantage aux prétendus réformateurs pour crier : A l’œuvre de Satan ! Aussi la ville de Genève et plusieurs illustres bourgades de Suisse ont été cent cinquante ans sans souffrir chez elles un violon. Quelques catholiques un peu visigoths, de deçà les monts, craignirent les reproches des réformateurs et crièrent aussi haut qu’eux. Ainsi peu à peu s’établit dans notre France la mode de diffamer César et Pompée, et de refuser certaines cérémonies à certaines personnes gagées par le roi et travaillant sous les yeux du magistrat[319]. »

[319] Police des spectacles.

Le philosophe de Ferney n’avait garde de laisser dans l’oubli la contradiction si choquante qui existait entre Paris et Rome :

« Rome, de qui nous avons appris notre catéchisme, n’en use point comme nous, disait-il ; elle a su toujours tempérer les lois selon les temps et selon les besoins ; elle a su distinguer les bateleurs effrontés, qu’on censurait autrefois avec raison, d’avec les pièces de théâtre de Trissin et de plusieurs évêques et cardinaux qui ont aidé à ressusciter la tragédie. Aujourd’hui même on représente à Rome publiquement des comédies dans des maisons religieuses. Les dames y vont sans scandale ; on ne croit point que des dialogues récités sur des planches soient une infamie diabolique. On a vu jusqu’à la pièce de Georges Dandin exécutée à Rome par des religieuses, en présence d’une foule d’ecclésiastiques et de dames. Les sages Romains se gardent bien surtout d’excommunier ces messieurs qui chantent le dessus dans les opéras italiens ; car, en vérité, c’est bien assez d’être châtré dans ce monde, sans être encore damné dans l’autre. »

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