Les comédiens hors la loi
XXIII
RÈGNE DE LOUIS XVI (SUITE ET FIN)
Sommaire : Duels de comédiens. — Voltaire et les Comédiens français. — Le tripot comique. — Le tripot lyrique. — Rousseau, Lays et Chéron. — Les Comédiens à la Force. — Fuite de Lays, de Nivelon. — Arrestation de Mlle Théodore. — Les comédiens et le clergé.
Plus encore que sous le règne précédent, les comédiens se montrèrent friands de la lame, et on les vit souvent régler leurs différends l’épée à la main.
Fleury, à la suite de querelles de théâtre, se battit plusieurs fois avec Dugazon. En 1781, une rencontre eut lieu aux Champs-Élysées entre Larive et Florence. L’année suivante, Dugazon et Dazincourt allèrent sur le terrain et furent blessés tous deux. « Voilà peut-être, dit Grimm, de quoi dégoûter beaucoup d’honnêtes gens du plus barbare, du plus ridicule, et cependant du plus respecté de tous nos usages. »
Nous ne saurions passer sous silence le duel fameux de Dugazon et de Desessart[476]. Ce dernier remplissait à la Comédie française les rôles de financier. Il était « gros comme un muids », dit Laharpe, et cette corpulence lui avait valu de la part de ses camarades le surnom de « l’Éléphant ». Lorsque l’éléphant de la ménagerie du roi mourut, Dugazon, qui se plaisait aux mystifications, alla trouver son camarade et le pria de venir avec lui chez le ministre pour l’aider dans un petit proverbe qu’il y devait représenter. « Quel costume dois-je prendre », demande Desessart ? « Mets-toi en grand deuil, lui répond son camarade, tu représenteras un héritier. » Desessart se conforme scrupuleusement au programme. Il passe un habit noir avec des crêpes, des pleureuses, etc., et l’on se rend chez le ministre, où se trouvait réunie nombreuse compagnie. « Monseigneur, dit Dugazon, la Comédie française a été on ne peut plus affligée de la mort du bel animal qui faisait l’ornement de la ménagerie du roi et je viens, au nom de mon théâtre, vous demander pour notre camarade la survivance de l’éléphant. » On peut se figurer la joie de l’assistance en entendant ce discours et en voyant le pauvre Desessart qui ne savait quelle contenance garder. Furieux de cette plaisanterie, il provoque son camarade et l’on part pour le bois de Boulogne en compagnie des témoins obligatoires dans ces sortes de rencontres. Au moment où l’on allait croiser le fer, Dugazon demande la parole : « J’ai trop d’avantages, dit-il, laissez-moi égaliser les chances. » Puis il tire un morceau de craie de sa poche, et, avec le plus grand sang-froid, trace un rond sur l’énorme ventre de son adversaire. « Tout ce qui sera hors du rond ne comptera pas », dit-il, et il se remet en garde. L’hilarité des témoins gagna Desessart lui-même, qui renonça à ses projets homicides ; le duel fut remplacé par un joyeux déjeuner.
[476] Desessart (Denis Dechanet dit) (1740-1793), comédien français.
Les comédiennes elles-mêmes ne voulurent pas laisser à leurs camarades du sexe fort, le monopole de ces rencontres d’un genre si aristocratique. Mlle Beaumesnil, chanteuse de l’Opéra, s’étant prise de querelle avec une danseuse du même théâtre, Mlle Théodore, à propos d’une rivalité d’amour, les deux actrices résolurent d’en appeler au sort des armes. Elles se rendirent à la porte Maillot accompagnées de leurs témoins. Le duel devait avoir lieu au pistolet. Heureusement Rey, basse-taille de l’Opéra, passa par là. En voyant les préparatifs du combat, il intervint et chercha à détourner ses camarades de leur dessein ; elles ne voulurent rien entendre. Mais pendant la harangue il avait déposé les pistolets sur l’herbe humide, et, quand on en fit usage, tous deux ratèrent. Il ne restait plus qu’à s’embrasser et à aller déjeuner ; c’est ce que l’on fit.
Jusqu’en 1789 les comédiens continuent à témoigner le plus parfait mépris aux écrivains qui alimentent leur répertoire. Quand Voltaire vint à Paris en 1778 pour triompher et mourir dans une apothéose, il eut à subir les plus détestables procédés de la part du « tripot comique », comme il le désignait toujours. Ni son âge, ni son génie, ni les bienfaits dont il avait comblé la compagnie ne purent lui concilier la déférence à laquelle il avait tant de droits. Lekain, qui lui devait tout, refusa nettement de jouer dans Irène le rôle de l’ermite Léonce. Outré d’un tel procédé, le marquis de Thibouville écrivit au comédien une lettre publique où il lui reprochait amèrement « son ingratitude et son impudence ». Lekain finit par céder ; mais sa bonne volonté tardive n’eut pas lieu d’être mise à l’épreuve, il mourut la veille même du jour où Voltaire arrivait à Paris.
Ce n’est pas seulement avec Lekain que la représentation d’Irène souleva des difficultés : le maréchal de Richelieu voulait que le rôle de Zoé fût donné à Mme Molé ; Voltaire préférait Mlle Sainval cadette ; ce n’est que grâce à l’intervention de Sophie Arnould qu’il put obtenir l’interprète qu’il désirait. Mais il faut voir dans quels termes le poète, alors au comble de la gloire, écrit aux époux Molé pour leur témoigner sa gratitude[477] : « Le vieux malade de Ferney n’a point de termes pour exprimer la reconnaissance qu’il doit à l’amitié que M. Molé veut bien lui témoigner, et aux extrêmes bontés de Mme Molé. Elle lui sacrifie ce qui n’était pas digne d’elle et ce qu’elle embellira lorsqu’elle daignera le reprendre ; il est pénétré de ce qu’il doit à sa complaisance ; il espère l’être de ses talents quand il aura le plaisir de l’entendre. Il lui présente ses respectueux remerciements[478]. »
[477] 20 février 1778.
[478] Avant de mourir, Voltaire donna encore aux Comédiens une preuve du vif intérêt qu’il leur portait. Il eut l’idée de les soustraire au bon plaisir royal en leur enlevant le titre de Comédiens du roi. « Un mourant qui aime passionnément sa patrie, écrivait-il à Molé, vous consulte pour savoir s’il ne conviendrait pas de mettre sur les affiches : « Le théâtre français donnera tel jour, etc. » N’est-il pas honteux que le premier théâtre de l’Europe et le seul qui fasse honneur à la France, soit au-dessous du spectacle bizarre et étranger de l’Opéra ?… » Molé répondit que ce changement ne dépendait pas des Comédiens. Voltaire s’adressa aussitôt à M. Amelot :
« Monseigneur,
« Voici la requête que vous m’avez permis de vous présenter au nom de Corneille, de Racine et de Molière. Je ne vous présente au mien que le profond respect et la reconnaissance avec lesquels je serai jusqu’au dernier moment de ma vie, etc. » (Lettre inéd., 2 avril 1778, Bibl. nat.)
A la lettre était jointe cette note de la main de Wagnière :
« Monseigneur Amelot, secrétaire d’État, ayant le département de Paris, est supplié de vouloir bien observer :
« Que le nom de Comédiens du roi fut donné indistinctement par le public, quoique le théâtre ait commencé par représenter des tragédies ;
« Que ce fut pour représenter des tragédies que le cardinal de Richelieu fit bâtir la salle du Palais-Royal ;
« Que le théâtre de France, depuis le grand Corneille, est représenté comme le premier de l’Europe, et que c’est la partie de la littérature qui fait le plus d’honneur à la nation.
« Ne conviendrait-il pas que l’on affichât :
Le théâtre français
« Ordinaire du Roi »
Représentera un tel jour, etc ?« Si Monseigneur approuve cette affiche, il est supplié d’en donner la permission à la police. »
Le 18 avril, Amelot répondait au philosophe :
« J’ai, monsieur, mis sous les yeux du roi le mémoire par lequel on demande que les affiches de la Comédie française soient réformées, qu’au lieu du titre de Comédiens du roi elles portent à l’avenir la dénomination de Théâtre français, ordinaire du Roi. S. M. n’a pas cru devoir adopter ce changement. Elle n’a vu aucune nécessité à ne pas laisser subsister un usage très ancien et auquel le public est accoutumé, sans que cela donne atteinte ni à la gloire des auteurs ni aux talents des acteurs, ni à l’honneur que les uns et les autres font à la nation. Je suis bien fâché de n’avoir pu dans cette occasion, vous donner des preuves de l’empressement que j’aurai toujours pour ce qui pourra vous être agréable, etc. » (Lettre inéd., Bibl. nat.)
En cette circonstance comme en tant d’autres, Voltaire se trouvait en avance sur son siècle ; la modification qu’il proposait ne fut adoptée que quelques années plus tard.
Les auteurs cependant commençaient à se montrer moins patients que par le passé et plus d’un cherchait à secouer le joug que les comédiens faisaient peser sur eux. A propos des honoraires de leurs pièces, quelques écrivains se prétendirent gravement et arbitrairement lésés. En 1775 le sieur Mercier fit même un procès à la Comédie et porta l’affaire devant le Parlement, mais les Gentilshommes de la chambre intervinrent aussitôt et obtinrent un arrêt par lequel l’affaire fut évoquée au Conseil, les Comédiens français appartenant à la maison du Roi. Les Gentilshommes furent nommés arbitres et naturellement donnèrent raison à leurs subordonnés. Beaumarchais rouvrit le débat quelques années plus tard et finit par avoir raison de la résistance des Comédiens.
L’hostilité constante qui régnait entre les gens de lettres et les acteurs amena souvent les discussions les plus acrimonieuses. En 1781, le jeune Fréron, dans ses feuilles, parlant de Desessart, l’appela ventriloque, par allusion à son ventre énorme. Desessart se plaignit au maréchal de Duras en demandant une réparation. Le garde des sceaux exigea des excuses de Fréron, sous menace de perdre son privilège. « On ne peut concevoir à quel excès d’avilissement on réduit ainsi les gens de lettres, dit Bachaumont, par complaisance pour un grand, engoué d’un méprisable histrion. » Fréron se refusa à ce qu’on exigeait de lui.
L’insolence et la morgue des comédiens croissaient avec les égards qu’on leur témoignait et ils en étaient arrivés à se permettre d’incroyables impertinences. Ils pensaient que tout leur était dû, mais ils étaient persuadés en revanche qu’ils ne devaient rien à personne.
Un jour, la Guimard fit changer le spectacle parce qu’elle devait, disait-elle, se purger. La purge consistait à se rendre à la campagne, en nombreuse et joyeuse société.
Bachaumont rapporte une anecdote stupéfiante dont le héros fut, paraît-il, Dugazon. Pendant la nuit du jeudi gras 1778, au bal de l’Opéra, on remarquait « un masque vêtu comme une poissarde, avec une coiffure déchirée sur la tête, et le reste de l’habillement à proportion. Dès que la reine a paru, ce masque est venu au bas de sa loge et l’a entreprise avec une familiarité singulière, l’appelant Antoinette et la gourmandant de n’être pas couchée auprès de son mari qui ronfloit en ce moment. Il a soutenu la conversation, que tout le monde entendoit, sur ce ton de liberté ; il y a mis tant de gaieté et d’intérêt, que S. M., pour mieux causer avec lui, se baissoit vers lui et lui faisoit presque toucher sa gorge. Après plus d’une demi-heure de propos, elle l’a quitté en convenant qu’elle ne s’étoit jamais tant amusée, et sur ce qu’il lui reprochoit de s’en aller, elle lui a promis de revenir ; ce qu’elle a fait. Le second entretien a été aussi long et aussi public et cette farce a fini par l’honneur qu’a eu l’inconnu de baiser la main de la reine ; familiarité qu’il a prise sans qu’elle s’en soit offensée. Le bruit général est que ce masque étoit le sieur Dugazon, de la Comédie française ; mais on a peine à se le persuader[479]. »
[479] Bachaumont, 4 mars 1778.
Un soir, à la Comédie italienne, Narbonne[480], dans le rôle de Damis de l’opéra des Dettes, imita si parfaitement la figure, le costume et la démarche du maréchal de Richelieu, que tout le monde reconnut le vieux courtisan. L’insolence de Narbonne reçut la punition qu’il méritait et il fut envoyé au For l’Évêque[481].
[480] Narbonne (1745-1802).
[481] Cet incident eut lieu en 1787.
Jusqu’aux comédiens des boulevards qui montraient une morgue incroyable. Volange, surnommé Jeannot, acteur de la foire, excitait un tel enthousiasme qu’il fut engagé à la Comédie italienne[482]. Le marquis de Brancas ayant voulu en régaler ses convives à un grand souper, l’avait invité à venir. Quand il arriva : « Mesdames, dit le marquis, voilà M. Jeannot que j’ai l’honneur de vous présenter. » « Monsieur le marquis, dit l’histrion en se rengorgeant, j’étais Jeannot aux boulevards, mais je suis à présent M. Volange. » « Soit, répondit M. de Brancas, mais comme nous ne voulions que Jeannot, qu’on mette à la porte M. Volange. »
[482] Il n’y eut aucun succès.
Grâce à la faiblesse des Gentilshommes, les acteurs et les actrices devenaient chaque jour plus indisciplinés. Ils ne jouaient que quand cela leur faisait plaisir. La présence même du roi ou de la reine ne les rappelait pas au sentiment de leurs devoirs. En 1776, les premiers Comédiens furent mis chacun à 200 livres d’amende, pour avoir fait jouer une pièce par les doubles, un jour où Marie-Antoinette assistait au spectacle.
Quand Mme Vestris eut ses démêlés célèbres avec Mlle Sainval, elle fut un soir insultée au théâtre même par plusieurs de ses camarades. Furieux de l’outrage fait à sa protégée, le duc de Duras écrivit au semainier une lettre qui montre bien quel était alors l’état de trouble du « tripot comique ».
« La licence des Comédiens, dit-il, tient à une révolution funeste que je vois avec chagrin se faire insensiblement dans cette société ; il y existe un esprit d’anarchie et d’indépendance qui me forcera tôt ou tard à agir avec une sévérité que j’aurois voulu ne jamais employer. On refuse des rôles, on refuse de jouer ; on est obligé de changer éternellement le répertoire, parce que chacun veut faire sa volonté, parce que les chefs d’emploi ne sont plus respectés, parce que les anciens ne jouissent plus de la considération qui devroit leur appartenir. Et pour justifier les torts qu’on se donne, on menace de quitter la Comédie. Les Comédiens oublient donc que leurs engagements sont inviolables.
« Désabusez-les, monsieur, et annoncez bien formellement à la Comédie entière que je ne céderai sur ce point au premier ni au dernier talent. Quiconque quittera la Comédie sans mon congé, ou me forcera à le renvoyer, ne pourra jouer sur aucun théâtre du royaume, ni hors du royaume : c’est la loi de tous les temps ; on l’oublie. Je saurai la rappeler et la maintenir dans toute sa rigueur[483]. »
[483] Lettre inéd., 7 septembre, Arch. nat., O1844.
Si le tripot comique était difficile à diriger, ce n’était rien encore auprès du tripot lyrique ou Académie royale de musique. Les infortunés chargés de conduire cette troupe rebelle et indisciplinée en perdaient le boire et le manger. Sans cesse ils sont accablés de demandes de gratifications, d’augmentations, de pensions ; pas un sujet n’est satisfait de sa situation, pas un qui n’aspire à remplacer celui qui le précède. Chanteurs et chanteuses, danseurs et danseuses, rivalisent à l’envi de caprices et d’exigences ridicules ; à peine sont-elles satisfaites que de nouvelles surgissent, plus impérieuses encore. Il n’y a pas de jour où les pensionnaires de l’Académie de musique ne demandent des exceptions au règlement, des passe-droits, des prix exceptionnels. Ils font intervenir toutes les influences, même les plus étrangères à l’art lyrique. Grâce à la protection de son amant, le comte de Mercy-Argenteau, Mlle Rosalie Levasseur obtient des appointements plus élevés ; il est entendu que cette faveur restera secrète, pour ne pas exciter de jalousies. Mais Mlle Guimard soupçonne l’intrigue, découvre la vérité et, saisie d’indignation, elle refuse tout service tant qu’on ne lui aura pas donné les mêmes avantages[484]. Il faut s’incliner, mais comme pour sa camarade on lui demande un secret absolu. Il n’est pas si bien gardé que Mlle Saint-Huberty, Vestris, d’autres encore, ne s’en soient doutés et on doit leur accorder un traitement analogue[485].
[484] « A l’Opéra, les volontés de Mlle Guimard sont suivies avec autant de respect que si elle en étoit directrice. » (Arch. nat., O1630.)
[485] Quand les artistes élevaient ces prétentions et qu’on ne cédait point à leurs désirs, ils refusaient le service et aimaient mieux se laisser conduire au For l’Évêque que de rien abandonner de leurs exigences. Ils savaient bien qu’ils finissaient toujours par triompher. Voici une lettre de Mlle Dupré, danseuse à l’Opéra, et que protégeait l’ambassadeur de Sardaigne, qui montre bien comment les comédiens savaient jouer du For l’Évêque :
« A M. Morel, rue du Sentier, no 19. 5 septembre 1783. J’ai l’honneur de vous informer, monsieur que le tout a été on ne peut pas mieux. Je n’ai d’autres regrets que celui de n’avoir resté enfermée que vingt-quatre heures. Le raclement des barreaux et le train des verrous étoient très amusants, et faisoient une harmonie délicieuse. J’y avois déjà fait porter bien des paquets et des provisions, comptant faire un plus long séjour dans ces lieux charmants, où néanmoins j’aurois beaucoup souffert d’ennui et de tristesse, comme vous pouvez bien vous l’imaginer. Enfin voilà la pièce jouée au parfait. Il ne me reste qu’à m’occuper de l’état de mes affaires. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien engager M. de la Ferté à me donner un mot d’écrit, au moyen duquel on puisse commencer à me payer les appointements du mois échu sur le nouveau pied convenu ; bien entendu que je continuerai à signer sur l’état comme ci-devant. Le secret sera toujours gardé soigneusement et j’attendrai votre réponse avec impatience, vous priant de me marquer par la même occasion le jour que je pourrai aller remercier M. de la Ferté de toutes les bontés qu’il a pour moi. » (Lettre inéd., Arch. nat., O1629.)
Les demandes de congé sont incessantes ; les acteurs s’absentent, même sans prendre la peine de prévenir leur directeur ; il faut les remplacer au pied levé. Chaque jour, ce sont des refus de service sous les prétextes les plus futiles ; pour faire jouer les artistes, on est obligé de recourir à de véritables supplications.
En 1778, la direction de l’Opéra fut enlevée aux intendants des Menus, et confiée à un particulier, M. de Vismes ; ce dernier, plein de zèle, voulut faire tant de réformes qu’on le surnomma le Turgot de l’Opéra ; mais il souleva par ses projets une véritable émeute dans la troupe « chantante et cabriolante ». Il fallut sévir et on fit arrêter plusieurs danseurs, entre autres Dauberval et Vestris, à la table même de Mlle Guimard[486]. Celle-ci, offensée d’une telle licence, déclara qu’elle ne reparaîtrait plus sur la scène, et son exemple fut suivi par plusieurs de ses camarades : « Prenez garde, monseigneur, disait Sophie Arnould à Amelot, on ne vient pas à bout de l’Opéra aussi facilement que d’un Parlement[487]. »
[486] En l’honneur de « l’ouverture du ventre de la reine », les artistes du chant et de la danse, à l’Opéra, avaient décidé de doter une fille pauvre et de la marier avec de grandes réjouissances. La fête devait avoir lieu au Wauxhall d’hiver, mais elle fut interdite sous prétexte que c’était parodier le cour. Le banquet fut alors transporté chez Mlle Guimard, et c’est pendant le repas qu’on vint signifier à Dauberval et à Vestris la lettre de cachet qui les envoyait au For l’Évêque à cause de leur résistance aux ordres de leur directeur. (Bachaumont.)
[487] Amelot était intendant de Bourgogne, lors des modifications apportées au Parlement par le chancelier Maupeou ; il avait dissous l’ancien parlement de Dijon et recomposé le nouveau ; c’est ce qui donnait tant d’à-propos au mot de Sophie Arnould.
Poursuivant cette comparaison, qui à défaut de justesse, flattait du moins sa vanité, Mlle Guimard disait à ses camarades avec cette superbe qui ne l’abandonnait jamais : « Mesdames et messieurs, point de démissions combinées, c’est ce qui a perdu le Parlement. »
M. de Vismes, ne pouvant venir à bout de ses pensionnaires récalcitrants, se retira, et M. de la Ferté[488] le remplaça sous le titre de commissaire du roi près de l’Académie de musique. Il n’y fut pas sur un lit de roses. Accablé de réclamations continuelles, ne sachant auquel entendre, le malheureux directeur se plaint sans cesse à Amelot des bontés excessives que la reine témoigne aux Comédiens, et qui les rendent chaque jour plus orgueilleux, plus insupportables et plus difficiles à conduire[489]. »
[488] M. Papillon de la Ferté, intendant des Menus. Poinsinet lui dédia une comédie en un acte intitulée le Cercle, et dans l’épître dédicatoire lui prodigua les louanges les plus outrées ; à cette occasion, M. de la Ferté reçut le couplet suivant :
(Journal de Favart.)
[489] Amelot à la Ferté. Lettre inéd., Arch. nat., O1626.
Abreuvé de dégoûts, désespérant d’amener enfin la paix dans cette troupe ingouvernable, la Ferté, à plusieurs reprises, offrit sa démission, mais Amelot, qui savait bien qu’un nouvel administrateur ne serait pas plus heureux, la refusait toujours et cherchait à remonter le moral de son infortuné collaborateur. « En vérité, lui écrivait-il, je sens qu’il faut une patience plus qu’humaine pour conduire l’indécrottable machine de l’Opéra, mais ne perdez pas courage et aidez-moi à le faire aller au moins de notre mieux[490]. »
[490] Amelot à la Ferté, 6 avril 1782. Arch. nat., O1629.
Les cartons de l’Opéra, aux Archives nationales, sont bourrés de notices, de comptes rendus sur les comédiens, sur leurs rébellions, sur les propos indécents qu’ils tiennent, etc. En général, ils ne montraient tant d’insolence que parce qu’ils ne se croyaient pas payés selon leur mérite et qu’ils savaient pouvoir facilement gagner davantage à l’étranger.
Il y avait à l’Académie de musique trois chanteurs en particulier, Chéron, Lays et Rousseau, dont le mauvais vouloir cause au malheureux la Ferté d’incessants déboires. Leur nom revient sans cesse dans les piteuses doléances du directeur.
Quand il s’agissait de paraître, ces trois chanteurs opposaient toujours des fins de non-recevoir : « On ne croit point devoir laisser ignorer à Mgr le baron de Breteuil, écrit la Ferté, la conduite étrange des sieurs Rousseau et Lays, qui ne semblent occupés que des moyens de compromettre les intérêts de l’Académie royale de musique et conséquemment ceux des finances du roi, puisque ce spectacle est à la charge de S. M. Ce n’est qu’avec la plus grande peine qu’on est parvenu quelquefois à les faire jouer l’un et l’autre depuis la rentrée du théâtre. Ils trouvent continuellement des prétextes de rhume pour se dispenser de jouer… Le mal est encore aggravé par l’absence du sieur Chéron qui, sous prétexte d’indisposition, n’a pas paru au théâtre depuis Pâques[491]. »
[491] Lettre inéd., mars 1786, Arch. nat., O1626.
En 1788, la situation ne s’était pas modifiée, et nous voyons Dauvergne, sous-intendant de la musique du roi, écrire à la Ferté : « J’ai envoyé hier chez le sieur Chéron pour l’engager à chanter son rôle dans Armide ; il a fait dire qu’il ne seroit pas en état de chanter de toute la semaine, ce qui, ajouté aux douze ou treize jours qu’il y a qu’il ne chante point, font trois semaines de vacances. Le sieur Lays chez qui j’ai envoyé, a fait dire qu’il venoit de suer quatorze chemises… il a toujours une maladie en poche… cet homme est fourbe et méchant[492]. »
[492] D’Auvergne à la Ferté, sept. 1788, lettre inéd., Arch. nat., O1629.
La troupe cabriolante de l’Académie royale ne se montrait ni plus accommodante, ni moins vaniteuse que la troupe chantante.
En 1784, le jeune Vestris[493] revint de Londres avec une extension de nerf au pied droit. La reine se trouvant à l’Opéra avec le comte de Haga[494], auquel elle désirait montrer le célèbre danseur, envoya dire trois fois à Vestris qu’elle le priait de danser comme il pourrait, ne fut-ce qu’une seule entrée. Il s’y refusa : « Soit que ses réponses, dit Grimm, aient passé en effet les bornes de la bêtise ou de l’impertinence permises à un danseur, soit que l’envie et la malignité de ses camarades se soient chargées de les empoisonner », le baron de Breteuil[495] envoya Vestris à l’hôtel de la Force[496].
[493] Vestris était le fils naturel du danseur Vestris et de Mlle Allard ; on l’avait surnommé Vestrallard en raison de cette origine. Le danseur Dauberval, qui avait eu également les bonnes grâces de Mlle Allard, dit un jour un mot assez plaisant. Des coulisses, il assistait aux débuts du jeune Vestris, et émerveillé il s’écria : « Quel malheur ! C’est le fils de Vestris et ce n’est pas le mien ! Hélas, je ne l’ai manqué que d’un quart d’heure ! »
[494] C’était le titre que portait le roi de Suède pendant son voyage en France.
[495] Sur les réclamations de la Ferté, M. de Breteuil lui répondait le 18 juillet 1784 : « Indépendamment des plaintes que vous me portez de l’insolence inouïe du sieur Vestris, j’en reçois encore par la voie de la police, dont je vous envoie ci-joint le rapport. Vous voudrez bien voir sur-le-champ M. Lenoir et vous concerter avec lui pour faire conduire sans différer le sieur Vestris en prison, d’où on le tirera lorsqu’on aura besoin de lui pour danser, et où on le ramènera ensuite. Ma lettre, que vous communiquerez à M. Lenoir, suffira à ce magistrat pour ordonner l’emprisonnement de cet histrion. » (Inéd., Archiv. nat. O1626).
[496] L’hôtel de la Force était situé au Marais, rue Pavée et rue du Roi-de-Sicile. Cette demeure avait appartenu à la famille de la Force. Sous Louis XVI, elle fut transformée en prison, lorsqu’on supprima le For l’Évêque et le Petit-Châtelet, qu’on trouvait trop malsains.
A cette nouvelle tout Paris s’émeut et prend parti pour ou contre l’histrion. Son père va le voir en prison : « Tou te f… de moi, je crois, lui dit-il ; tou as oune difficulté avec la reine. Ne sais-tou pas que jamais la maison Vestris n’a ou de démêlé avec la maison de Bourbon ! Je te défends de brouiller les deux familles[497]. » Chansons, pamphlets, épigrammes, pleuvent de toutes parts. Enfin la reine ordonne à M. de Breteuil de mettre le danseur en liberté.
[497] Grimm raconte que Vestris le père, informé des dépenses exagérées de son fils, lui aurait dit : « Souvenez-vous, Auguste, que je ne veux pas de Guéménée dans ma famille. »
« Le jour où il reparut pour la première fois, dit Grimm, est un jour à jamais mémorable dans les fastes de l’Opéra. Jamais assemblée ne fut plus nombreuse ni plus agitée. C’était tout le trouble, toute la confusion d’une guerre civile. Au moment où il entra sur la scène avec Mlle Guimard, les uns d’applaudir, les autres de siffler et de crier comme des furieux : « A genoux ! à genoux ! » Vestris ne se laissa pas troubler et dansa divinement[498]. » Le parterre désarmé lui fit une ovation enthousiaste.
[498] Grimm, Corresp. littér., 1784.
Le public ne savait pas garder rancune aux gens de théâtre et la faiblesse qu’il leur témoignait contribuait encore à augmenter leur sans-gêne et leur insolence.
Quand Mlle Vanhove[499] débuta dans Phèdre[500], elle fut si mal accueillie que dans la sixième scène du quatrième acte, au lieu de cette apostrophe à Minos :
[499] Vanhove (1771-1860), de la Comédie française.
[500] En 1780.
il lui échappa de dire :
Le public fut charmé de l’incartade et prodigua dès ce moment à Mlle Vanhove beaucoup d’applaudissements.
En 1778, Mme Molé, sans motif plausible, fit attendre la reine plus de trois quarts d’heure à Marly. Le duc de Villequier, gentilhomme de service, l’envoya en prison, et la fit mettre au secret. La Comédienne furieuse déclara qu’elle quittait la scène, et son mari suivit son exemple. Ils refusèrent de jouer pendant assez longtemps ; à la fin ils se ravisèrent. La première fois qu’ils reparurent « au lieu de recevoir, dit Bachaumont, les huées ou du moins la correction qu’ils méritoient, le benêt parterre les applaudit à tout rompre. Il n’est pas étonnant que l’insolence des histrions augmente journellement, lorsqu’on les gâte à ce point-là[501]. » Mais ce n’est pas tout, Mme Molé reçut bientôt une pension du roi comme dédommagement de l’humiliation qu’elle avait soufferte.
[501] 16 novembre 1778.
Malgré l’engouement dont les acteurs étaient l’objet, malgré les honneurs excessifs qu’on leur rendait, malgré leur morgue et leur outrecuidance, la législation qu’on leur avait appliquée sous le règne de Louis XV subsistait plus que jamais.
L’habitude d’attenter à leur liberté était complètement passée dans les mœurs, et on les envoyait au For l’Évêque pour la plus légère incartade, souvent pour des peccadilles. Il y avait même un inspecteur de police spécialement affecté à leur service et dont l’emploi consistait à les conduire en prison avec les formes les plus galantes. C’est un nommé Quidor[502] qui remplissait ces délicates fonctions ; on le voit figurer dans toutes les arrestations de ce genre.
[502] Quidor avait également la surveillance des prostituées.
En 1777, Monvel[503], par suite d’une erreur avec le semainier, ne vint pas à la comédie un jour où il devait jouer dans les Horaces. On dut donner une autre pièce. Monvel fut arrêté et jeté en prison ; le semainier lui-même, Dauberval, subit le même sort.
[503] Monvel (1745-1811), de la Comédie française.
Un soir, Mlle Dorival se présenta pour danser dans un état complet d’ébriété. La Ferté la fit conduire à la Force, et il se plaignit au baron de Breteuil qui lui répondit : « 16 janvier 1784. Vous avez fort bien fait de prendre les mesures nécessaires pour faire punir la demoiselle Dorival de sa crapule et de son manquement à ses devoirs ; je la ferai retenir au moins huit jours en prison, et je chargerai M. Lenoir[504] de lui faire sentir tout le mécontentement que j’ai de sa conduite[505]. » Mlle Dorival fut mise au secret et on l’empêcha de « se divertir avec des étrangers », ce qui, comme nous le savons, était assez l’habitude des acteurs sous les verrous.
[504] Lieutenant de police.
[505] Arch. nat., O1626 et 634.
La tyrannie des ministres et des Gentilshommes s’exerçait souvent, il faut le dire, de la manière la plus odieuse et la plus vexatoire ; le libre arbitre des comédiens se trouvait complètement annihilé.
Un artiste de province paraissait-il digne de figurer sur une des scènes royales, une lettre de cachet le mandait à Paris et, quelles que pussent être ses convenances personnelles, il lui fallait obéir. En 1784, un certain Martin jouait à Marseille avec succès ; le ministre décide qu’il viendra à Paris et il envoie au gouverneur de la province l’ordre suivant, si éloquent dans sa concision :
« Versailles, 27 mars 1784.
« Le service du Roi exigeant, monsieur, que le sieur Martin, qui est actuellement à la comédie de Marseille, se rende à Paris, S. M. a donné l’ordre que vous trouverez ci-joint, pour le faire venir. Je vous prie de le lui faire remettre et de tenir la main à ce qu’il obéisse sans délai. Vous voudrez bien aussi prévenir le directeur. Le sieur Martin, à son arrivée à Paris, s’adressera à M. de La Ferté, commissaire général de la maison du Roi au département des Menus[506]. »
[506] Lettre inéd., Archiv. nat., O1626.
Cet ordre était accompagné d’une lettre de cachet.
Les exemples d’arbitraire qui nous restent à signaler, sont plus curieux encore.
Le 8 juin 1781, le théâtre du Palais-Royal, qui depuis la mort de Molière était resté affecté à l’Opéra, fut détruit par un incendie. Ce fâcheux événement exposait les pensionnaires à une assez longue inaction. Craignant d’être lésés dans leurs intérêts, Rousseau, Lays et Chéron, les trois chanteurs dont nous avons déjà signalé les hauts faits, prirent le parti d’aller à l’étranger chercher fortune ; mais Rousseau n’attendit pas ses camarades et il se sauva à Bruxelles, où il parvint sans encombre. Cette évasion, qui n’était pas prévue, plongea M. de La Ferté dans la stupeur, et il supplia le ministre de faire étroitement surveiller Lays et Chéron pour qu’ils ne pussent imiter la conduite de leur camarade, « ce qui, disait-il, ruineroit l’Opéra. »
« J’ai vu la semaine dernière, répond le ministre, les sieurs Lays et Chéron, et ils m’ont bien assuré qu’ils ne songeoient pas à s’en aller. Cependant, je viens d’écrire à M. Lenoir, pour le prier de les faire surveiller de très près sans qu’ils s’en doutent, et de les faire arrêter dans le cas où il seroit assuré qu’ils se disposeroient à partir, en m’en donnant avis sur-le-champ[507]. »
[507] Lettre inéd., 28 juillet 1751. Arch. nat., O1629.
Quidor fut chargé de filer les deux chanteurs. Comme ils n’ignoraient pas la surveillance dont ils étaient l’objet, ils ne laissaient en rien soupçonner leurs secrets desseins ; mais au bout de quinze jours, Lays, supposant que son apparente docilité avait apaisé toutes les inquiétudes, prit la fuite à son tour. Malheureusement pour lui, Quidor avait trop l’habitude des comédiens pour se laisser jouer si aisément ; le chanteur fut arrêté avant même d’être sorti de Paris, et il fut conduit incontinent au For l’Évêque.
Quant à Rousseau, la conduite qu’il avait tenue pouvant trouver des imitateurs, on ne le laissa pas jouir paisiblement de sa liberté : « Je crois, mandait la Ferté au ministre, qu’il faudroit tout tenter pour avoir, de gré ou de force, le sieur Rousseau qui est à Bruxelles[508]. »
[508] Arch. nat., O1640.
M. de Breteuil s’adressa au comte de Vergennes, son collègue des Affaires étrangères, pour le prier d’obtenir l’arrestation et l’extradition du chanteur. Le comte d’Adhémar, notre représentant à Bruxelles, fut chargé de cette importante négociation diplomatique ; mais il échoua complètement. Le gouvernement des Pays-Bas autrichiens rappela que quelques années auparavant Dazincourt et Beauval, engagés à Bruxelles, s’étaient sauvés à Paris et que le duc de Duras avait refusé de les livrer au gouvernement des Pays-Bas qui les réclamait[509].
[509] Adolphe Julien, l’Opéra secret au dix-huitième siècle.
Quelques mois plus tard, la même aventure se renouvela à propos de Nivelon, le danseur, qui, ne pouvant faire accepter sa démission, s’enfuit et se réfugia à Ostende. Quidor fut envoyé à sa poursuite avec les passeports nécessaires pour requérir le concours du gouvernement des Pays-Bas, mais il échoua encore dans sa mission. Le danseur eut l’imprudence de revenir. Il fut aussitôt arrêté et enfermé à la Force, où on le mit au secret ; il ne put voir que sa mère et sa femme[510].
[510] Arch. nat., O1629.
Au mois de mars 1782, Mlle Théodore, la célèbre danseuse, se rendit à Londres, où elle obtint le plus grand succès. Comme elle y gagnait beaucoup plus d’argent qu’à Paris, elle résolut d’y prolonger son séjour et elle écrivit à M. de la Ferté pour demander son congé. On ne fit aucune difficulté de le lui accorder. A quelque temps de là elle revint en France et se rendit sans méfiance chez Dauberval, dans le château qu’il possédait à Chablis, en Champagne. Dès qu’on connut son retour, Amelot donna l’ordre de la faire arrêter. L’inévitable Quidor fut chargé de la mission. Il se rendit à Chablis et enleva purement et simplement la danseuse. Elle fut déposée à la Force et mise au secret. Sa détention fut de peu de durée ; le 27 juillet on lui rendit sa liberté, mais on l’exila à trente lieues de Paris, et on l’obligea à payer les frais de son arrestation. Ils s’élevaient à 771 livres 10 sols[511].
[511] Arch. nat., O1629. Cet exil ne fut pas maintenu.
Si la législation civile n’avait été nullement modifiée à l’égard des gens de théâtre, la législation religieuse était également restée immuable.
Comme par le passé, tout comédien qui voulait bénéficier des sacrements devait avant toute chose renoncer formellement à sa profession. En 1778, lorsque Lekain fut sur le point de mourir, Tronchin, qui le soignait, l’avertit du danger de son état et l’exhorta à se réconcilier avec l’Église : « Un carme, dit Bachaumont, est venu nettoyer cette conscience sale, le comédien a fait la renonciation ordinaire et il a été administré[512]. » Aussi fut-il porté à l’église et enterré avec pompe dans le cimetière de sa paroisse.
[512] Bachaumont, 11 février 1778.
En 1781, lors de l’incendie de la salle de l’Opéra, plus de trente personnes périrent, et parmi elles quelques danseurs. L’archevêque de Paris décida que ces derniers, étant morts in flagrante delicto, seraient privés de la sépulture chrétienne ; mais le curé de Saint-Eustache s’était montré plus tolérant et plus miséricordieux que le prélat, et lorsque les défenses épiscopales arrivèrent, il avait déjà accordé aux corps de ces infortunés la terre sainte et les prières de l’Église : il n’avait fait du reste que se conformer à l’usage établi pour les pensionnaires de l’Opéra.