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Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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VANINI,
BRULÉ VIF, A TOULOUSE, COMME ATHÉE.

Il serait difficile d'établir exactement le nombre des victimes de la sottise et de la superstition. Le plus souvent ces deux fléaux, agissant contre des masses, ont poursuivi par le fer et par le feu l'extermination des sectes qui leur étaient contraires; d'autres fois elles se sont attachées à des opinions individuelles, et les ont persécutées avec autant de zèle et de furie, en les revêtant des noms de magie, de sorcellerie et d'athéisme. Pauvre humanité!

Vanini, né dans le pays d'Otrante, en 1585, s'appliqua avec ardeur à la philosophie, à la médecine, et à l'astrologie judiciaire. Après avoir achevé ses études à Padoue, il fut ordonné prêtre et se livra à la prédication, puis le désir de s'instruire lui fit entreprendre plusieurs voyages. Il alla successivement en Hollande, à Genève, à Lyon, à Londres, et se fit partout des ennemis, en argumentant violemment contre les docteurs de ces divers pays. Il subit même à Londres une détention de quarante-neuf jours, et on le relâcha comme un homme dont le cerveau était malade. La publication d'un de ses ouvrages sur les merveilleux secrets de la nature, publication qu'il fit à Paris en 1616, lui attira de la part de la Sorbonne une censure si sévère, qu'il crut prudent de quitter la capitale. Après avoir promené son inconstance de ville en ville, il s'arrêta à Toulouse, où il prit des écoliers pour la médecine, la philosophie et la théologie; il sut même s'introduire chez le président Mazuyer, qui le chargea de donner des leçons de philosophie à ses enfans.

Le professeur profita de la confiance qu'on avait en lui pour propager ses idées. Ayant séduit plusieurs jeunes gens qui venaient l'entendre, on cria aussitôt à l'impiété, à l'athéisme! On l'arrêta et il fut procédé contre lui. Les opinions sont très-diverses au sujet de cette étrange et cruelle procédure. On prétend qu'au premier interrogatoire qu'il subit, un juge lui ayant demandé s'il croyait à l'existence d'un Dieu, il se baissa, et, levant de terre un brin de paille, il répondit: «Je n'ai besoin que de ce fétu pour me prouver l'existence d'un être créateur.» Le président Gramond, qui était à Toulouse, lors de ce jugement, ose dire qu'il fit cette réponse plutôt par crainte que par persuasion. «Je le vis dans le tombereau, ajoute cet historien, lorsqu'on le menait au supplice, se moquant du cordelier qu'on lui avait donné pour l'exhorter à la repentance, et insultant à notre Sauveur par ces paroles impies: Il sua de crainte et de faiblesse, et moi je meurs intrépide

Ce malheureux insensé fut condamné à être brûlé vif par le parlement de Toulouse. Il fut jeté dans les flammes le 19 février 1619, après avoir eu la langue coupée; «ce qu'il souffrit avec une feinte constance,» dit le bénédictin Vaissette, comme si dans les flammes d'un bûcher, la constance d'un patient pouvait être feinte. Cette exécution de Vanini eut lieu presque en même temps que les fêtes brillantes que la ville de Toulouse donna pour célébrer l'arrivée dans ses murs de la duchesse de Montmorency.

On raconte que, lorsque l'on ordonna à Vanini de demander pardon à Dieu, au roi et à la justice, il répondit: «Qu'il ne croyait point en Dieu; qu'il n'avait jamais offensé le roi, et qu'il donnait la justice au diable.» Si cette réponse est bien de Vanini, elle semblerait prouver qu'il y avait beaucoup plus de folie dans son fait que d'athéisme; et, dans ce cas, mieux eût valu, pour l'humanité comme pour la religion, l'enfermer et le traiter que de le brûler.

Il paraît d'ailleurs que la procédure de Vanini fut dirigée avec acharnement et partialité par le parlement de Toulouse, dont beaucoup de membres étaient des fanatiques. Le prétendu athée fut condamné sur la déposition d'un seul témoin, nommé Francon. Ce qui montre qu'il n'y avait rien de positif contre lui, c'est que plusieurs des juges balancèrent, pensant n'avoir pas de preuves suffisantes; que le prévenu fut condamné à la pluralité des voix, et que l'instruction du procès ne fit pas mention de ses livres.

En vertu de quel article de loi des juges pouvaient-ils condamner un homme, leur semblable, pour crime d'athéisme? O honte de notre espèce! ces crimes juridiques se faisaient toujours par le droit du plus fort, comme pour les accusations de magie, de sortilége, d'hérésie, etc.


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