Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
LA VOISIN ET LA VIGOUREUX,
EMPOISONNEUSES.
On s'aperçut, à Paris, en 1680, que les empoisonnemens devenaient extrêmement fréquens. La terreur s'empara des esprits avec d'autant plus de rapidité, qu'à cette époque les idées d'empoisonnement et de sortilége étaient presque inséparables. Le roi donna, le 11 janvier de cette année, une déclaration concernant les empoisonnemens et les sorciers, dans laquelle on lisait: «Voulant pourvoir aux impiétés, sacriléges, empoisonnemens et autres crimes énormes que commettent certaines personnes qui faisaient profession de magie, qui passaient pour devins, et qui, sous ce prétexte, surprenaient la crédulité de beaucoup de gens, par la fausseté de leurs impostures et de leurs enchantemens, Sa Majesté ordonne, que tous les devins et devineresses sortiront incessamment de son royaume, à peine de punition corporelle, et que tous ceux qui auront employé des termes de l'Écriture sainte ou des prières, en faisant des choses qui n'ont aucun rapport aux causes naturelles, seront punis exemplairement.» La même déclaration défendait l'usage des poisons à tous autres qu'à ceux qui sont d'un art ou d'une profession qui les autorise à les employer dans leurs remèdes et leurs antidotes.
Il y avait déjà quelques années que la marquise de Brinvilliers avait donné le spectacle de son juste châtiment. Son supplice n'empêcha pas plusieurs scélérats de renouveler ses crimes. La veuve d'un sieur de Montvoisin, plus connue sous le nom de la Voisin, s'était unie, vers 1677, avec une autre femme nommée la Vigoureux, pour trafiquer des poisons de l'Italien Exili, qui avait fait de tristes découvertes en ce genre. Elles cachaient leur infâme commerce par des prédictions et de prétendues apparitions d'esprits, dont elles amusaient les âmes crédules et faibles.
Plusieurs morts subites et extraordinaires ayant fait soupçonner des crimes secrets, une chambre ardente fut établie à l'Arsenal. La Voisin et la Vigoureux, arrêtées et traduites devant ce tribunal, furent convaincues de plusieurs empoisonnemens, et brûlées vives le 22 juillet.
Ces misérables, dans leurs interrogatoires, nommèrent comme leurs complices des personnages d'un grand nom et faisant figure à la cour, entre autres la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons et le duc de Luxembourg. La duchesse de Bouillon brava les juges dans son interrogatoire, et ne fut pas mise en prison; mais on l'obligea de s'absenter pendant quelque temps. La comtesse de Soissons, décrétée de prise de corps, aima mieux sortir de France que de s'exposer aux efforts de la haine des ennemis qu'elle avait à la cour. Quant au duc de Luxembourg, accusé de commerce avec le démon et les magiciens, il fut envoyé à la Bastille, mais élargi bientôt après, et déclaré absous. On dit qu'il s'était attiré cette disgrâce pour s'être brouillé avec le ministre Louvois.
Remarquons en finissant que c'était l'envie de faire une grande dépense qui avait porté la Voisin à tous ces attentats. Un beau carrosse, un suisse à sa porte, et un appartement superbe qu'elle occupa pendant quelque temps, exigeaient beaucoup d'argent; elle s'en procura en disant la bonne aventure, en promettant de faire voir le diable, enfin en vendant chèrement des poisons.