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Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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JEAN MAILLARD,
OU LA FEMME AUX DEUX MARIS.

La vie de Jean Maillard, notre héros, est des plus variées et des plus bizarres. Il était né à Toul en 1600, et tout jeune encore il avait été conduit par son père à Dourlac en Allemagne. Il y entra au service des trois messieurs de Bade, fils du marquis de Dourlac. Après huit années de service, ses maîtres lui firent apprendre le métier de tailleur. Étant venu à Paris en 1621 avec les trois princes, il s'enrôla dans les soldats aux gardes, et suivit son régiment. Revenu dans la capitale, après la prise de Montauban, il se mit à vendre du vin en détail; et enfin, le 14 août 1625, étant âgé de vingt-cinq ans, il épousa, à Saint-Eustache, Marie de La Tour, fille d'un archer du guet. Cette fille était très-belle, mais d'une conduite très-déréglée; car elle avait eu précédemment avec un abbé une liaison, de laquelle il était résulté trois enfans.

Jean Maillard et Marie de La Tour ne se convinrent pas long-temps: leurs caractères ne sympathisaient nullement. Marie de La Tour forma sans succès une demande en séparation d'habitation; mais Jean Maillard lui aplanit toutes les difficultés à cet égard; ennuyé d'avoir toujours l'enfer dans son ménage, il quitta sa femme, et entra, en qualité de valet de chambre chez le baron de Pletemberg, qu'il servit jusqu'en 1638, travaillant toujours de son métier de tailleur.

Vers ce temps, trois fondeurs de cloches, très-habiles, ayant eu à travailler chez le baron, Jean Maillard se lia avec eux, apprit leur métier, y devint très-habile, et suivit cette profession ambulante pendant quelque temps, au bout duquel, se sentant sur le retour, il songea à se retirer. Pour exécuter son dessein, il entra comme frère lai dans le couvent des Bernardins de l'abbaye de Reinfelstein, au pays de Hesse.

Cependant sa femme, voulant se remarier à Paris, comme veuve, mais n'en ayant aucune preuve, trouva moyen de tirer un certificat du comte de Lignon, capitaine d'une compagnie de chevau-légers, portant que le nommé Jean Maillard était mort du flux de sang en Italie, dans le quartier de Saluces, le 10 mars 1630. Marie de La Tour vivait alors avec un sieur de Boessière, dont elle avait déjà deux enfans, et qu'elle épousa le 28 avril 1646. Outre les deux enfans nés avant le mariage, elle en eut encore deux autres; mais tous moururent, excepté l'aîné de tous, qui avait été baptisé sous le nom de Pierre Forain.

M. de Boessière mourut au bout de vingt années de ce mariage; et son fils, qui, depuis le mariage, se nommait Pierre Thibaut, seigneur de Villiers, lui succéda dans tous ses biens.

Cependant il circulait un bruit sourd que Jean Maillard n'était point mort: ses collatéraux ne demeurèrent pas oisifs. On fit des recherches: on trouva Jean Maillard dans son couvent; on l'engagea, par l'espoir d'une grande succession à partager, et par l'annonce fausse de la mort de sa femme, à revenir en France.

Lorsqu'il fut arrivé à Paris, il découvrit la vérité, et, déterminé par les avis des collatéraux, il rendit plainte contre sa femme en crime d'adultère. Marie de La Tour fut décrétée de prise de corps et conduite en prison. Elle refusa de reconnaître son mari lors de la confrontation. Cette affaire donna lieu à plusieurs procédures, pendant lesquelles Maillard tomba malade, et mourut âgé de soixante-dix ans, après avoir déclaré qu'il était le véritable Jean Maillard.

L'instance fut reprise par Jacqueline Maillard, sœur du défunt, et la cause fut recommencée le 27 avril 1672.

Après plus de quarante audiences, où il fut discuté sur les moyens qui tendaient à prouver que Jean Maillard avait été le mari véritable, les juges rendirent un arrêt définitif qui déclarait abusif le second mariage de Marie de La Tour, et mit la sœur de Jean Maillard en possession des biens de son frère. Cet arrêt fut rendu le 15 mars 1675.


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