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Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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MEURTRE DE PHILIPPE DE GUEYDON,
A AIX.

En 1647, la cour de France voulant abaisser la puissance du parlement de Provence, et se procurer en même temps les sommes considérables dont elle avait besoin pour ses entreprises contre la maison d'Autriche, créa, sous le nom de Semestre, un nouveau parlement qui devait partager avec l'ancien les fonctions de la justice, de manière qu'ils seraient alternativement six mois en exercice chacun. Le ministre n'avait qu'à composer le Semestre de magistrats qui lui fussent dévoués, et alors il n'y avait rien qu'il ne pût entreprendre sur les droits du pays.

Les anciens magistrats firent tous leurs efforts pour exciter un soulèvement à cette occasion. Le comte d'Alais, alors gouverneur de la province, réprima ces mouvemens par sa sagesse et sa fermeté.

La protection ouverte qu'il accordait au Semestre releva le courage de ceux qui, désirant y prendre un office de conseiller, n'avaient point encore osé se montrer, de peur de se faire des ennemis puissans.

Philippe de Gueydon, avocat du roi en la sénéchaussée de Marseille, se mit des premiers sur les rangs. Il éprouva d'abord des difficultés pour remplir quelques formalités préliminaires dont il ne pouvait se dispenser. Les esprits, pendant ce temps-là, s'échauffaient de plus en plus; et comme, dans ces momens de désordre, les esprits les plus modérés sont souvent emportés hors des limites du devoir, il se trouva des hommes que leur zèle aveugle pour l'ancien parlement anima de toute la fureur de la haine. Ils résolurent de se défaire de Gueydon, afin d'intimider par cet exemple ceux qui seraient tentés de l'imiter. Ils délibérèrent d'abord s'ils l'attaqueraient en plein jour, sous prétexte de venger une querelle particulière, ou bien s'ils afficheraient le motif qui les déterminait à l'immoler à ce qu'ils appelaient la cause publique. Ce dernier avis l'emporta, parce qu'il remplissait mieux le dessein qu'ils avaient d'écarter tous ceux qui aspiraient à remplir une place au Semestre.

Il fut décidé qu'on exécuterait le complot pendant la nuit. Gueydon logeait dans la même auberge que le commandant de Castellane-Montmeyan, colonel du régiment de Provence, et plusieurs autres officiers. Il y avait un corps-de-garde à la porte de cette maison. Il semble que la présence de tant de militaires aurait dû intimider des hommes peu accoutumés à des coups aussi hardis; mais l'esprit de parti l'emporta sur toute autre considération.

Les complices, à l'heure convenue, s'assemblent dans une maison voisine de l'auberge. Douze d'entre eux se masquent; ils devaient entrer dans la salle à manger pendant qu'on serait à table; les autres, armés de pistolets et de mousquetons, devaient se tenir dans la rue pour donner du secours en cas de besoin. Le souper étant servi et la place de Gueydon ayant été exactement désignée, les douze masques entrent dans la salle. L'un d'eux, en s'arrêtant à la porte, couche en joue les convives, et dit d'une voix ferme: Le premier qui bouge est mort. Dans le même instant, deux autres masques s'avancent vers Gueydon; l'un le perce de sa baïonnette, l'autre lui tire un coup de pistolet. Ce malheureux se trouvait entre le commandant de Montmeyan et un officier nommé Latour; il tombe mourant sous la table. Un gentilhomme de la compagnie, effrayé de cet attentat, demande son épée; les autres se lèvent en désordre, toutes les personnes de l'auberge accourent.

Alors la frayeur s'empare des masques; ils tremblent d'être reconnus; ils fuient précipitamment, excepté un qui était en sentinelle à la porte, et qui, dans le trouble dont il était agité, avait perdu l'usage de ses sens. Ses complices, craignant d'être découverts s'ils le laissaient là, résolurent de le jeter dans un puits du voisinage. Les crimes ne coûtent plus rien quand on a commencé à en commettre. Mais le mouvement qu'ils firent en le portant le rappela à la vie, et il se trouva en état de les suivre dans une maison voisine. Les auteurs de cet assassinat, dans le désordre inséparable de ce tragique événement, laissèrent tomber deux pistolets et une épée: l'armurier désigna la personne pour qui il avait fait l'un des deux pistolets, et déclara qu'il avait nettoyé l'autre pour un particulier qu'il nomma aussi. Cette déposition, dénuée de toute autre preuve, resta sans effet.

Gueydon, qui n'était pas mort sous les coups de ses meurtriers, ne porta plainte contre personne; il raconta, sans aucun sentiment de vengeance, de quelle manière l'assassinat avait été commis, et déclara qu'il pardonnait à son assassin, qu'il ne connaissait pas. Il mourut peu de jours après.


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