Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
INFANTICIDE
ÉCHAPPÉE AU SUPPLICE.
Long-temps avant que la tendre charité de saint Vincent de Paule n'eût fondé l'hospice des Enfans-Trouvés, on avait déjà travaillé, mais avec moins de bonheur que cet homme évangélique, à prévenir le crime monstrueux qu'on nomme infanticide, crime que toute bonne mère doit regarder comme incroyable, et dont les exemples ne sont que trop nombreux, même encore aujourd'hui.
Un édit de Henri II ordonnait que toutes femmes qui se trouveraient dûment atteintes et convaincues d'avoir célé et caché tant leur grossesse que leur enfantement, sans avoir déclaré ni l'un ni l'autre, et sans avoir pris de l'un ou de l'autre témoignage suffisant, même de la mort lors de l'issue de leur ventre, et qu'après se trouve l'enfant avoir été privé, tant du sacrement de baptême, que de la sépulture accoutumée, «soient telles femmes tenues pour avoir homicidé leurs enfans; et pour réparation publique, punies de mort et du dernier supplice, de telle rigueur que la qualité particulière le méritera.»
Cet édit punissait le crime, mais ne le prévenait pas. Ce n'est pas le bourreau qui peut réformer les mœurs des hommes. Le remède est ailleurs.
En octobre 1624, Hélène Gillet, âgée de vingt-deux ans, fille du châtelain de Bourg-en-Bresse, fut soupçonnée d'être enceinte, mais tout-à-coup les symptômes qui avaient donné lieu à ce soupçon ayant disparu, il était conséquent d'en concevoir un autre. Bientôt cet événement devint le sujet de toutes les conversations de la ville. Enfin le lieutenant particulier, prenant les bruits publics pour une dénonciation, ordonna qu'Hélène Gillet serait visitée par des matrones.
Le résultat du procès-verbal de visite fut qu'elle avait été délivrée d'un enfant depuis quinze jours. L'accusée fut décrétée et constituée prisonnière. Elle convint, lors de son interrogatoire, qu'un jeune homme qui demeurait dans le voisinage de Bourg, et qui venait enseigner à lire et à écrire à ses frères, était devenu amoureux d'elle; qu'elle avait toujours résisté à ses sollicitations pressantes; mais qu'enfin, ayant sû gagner une des servantes de sa mère, celle-ci l'avait renfermée dans une chambre où elle avait été violée par le jeune homme, et que le trouble où cet attentat l'avait plongée ne lui avait laissé ni la force ni la liberté d'appeler à son secours.
Quant à l'enfantement, Hélène Gillet le nia positivement; et ce qui vraisemblement l'obligeait à se tenir sur la négative, c'est qu'elle ne pouvait rendre compte de l'enfant qu'elle avait mis au monde.
Hélène Gillet était donc sous le poids d'une présomption grave; mais une présomption ne suffisait pas pour opérer une condamnation au dernier supplice.
Le juge était dans cette perplexité, quand un soldat, en se promenant, aperçut un corbeau qui faisait des efforts pour arracher un linge d'un creux pratiqué au pied d'un mur voisin du jardin du père de l'accusée. Il approche, et trouve dans ce linge le cadavre d'un petit enfant. Il va sur-le-champ faire sa déclaration en justice. On fit la levée du cadavre et du linge qui l'enveloppait.
On reconnut que ce linge était une chemise qui, par sa grandeur et par la qualité de la toile, était pareille à celle de l'accusée, et marquée, comme elle, des deux lettres H G, Hélène Gillet.
Le juge crut trouver dans la réunion de ces circonstances un motif suffisant pour le déterminer, et prit sur lui de la condamner, par sentence du 6 février 1625, à avoir la tête tranchée. La sentence fut confirmée le 12 mai suivant par le parlement de Dijon, qui ordonna que l'exécution aurait lieu dans cette ville.
Le bourreau fut averti de se préparer pour le lendemain. Suivant l'usage de ce temps, il se confessa et communia. Arrivé au lieu du supplice avec la malheureuse qu'il devait exécuter, il donna en public toutes les marques de la plus vive inquiétude; il chancela, se tordit les bras, les leva vers le ciel, se mit à genoux, se releva, se rejeta à terre, demanda pardon à la patiente, et aux prêtres qui l'assistaient leur bénédiction.
Tous les assistans étaient frappés d'étonnement. Enfin le bourreau, après avoir dit qu'il préférerait mourir à la place de la patiente, plutôt que de remplir les fonctions de son ministère, paraît se décider à frapper, lève le coutelas, et atteint la jeune fille à l'épaule gauche. Hélène Gillet tombe sur le côté droit. Le bourreau repousse son fer, se présente au peuple, et demande la mort. Le peuple se soulève et fait voler une grêle de pierres sur ce malheureux.
La femme du bourreau qui avait été témoin de la répugnance manifestée par son mari, lorsqu'on l'avait chargé de cette exécution, était présente et cherchait à le stimuler par ses paroles. Elle relève la patiente qui s'avança d'elle-même vers le poteau, se remit à genoux et présenta sa tête. Le bourreau reprend le glaive des mains de sa femme, en décharge un second coup sur la victime et la manque encore. La fureur du peuple redouble: le bourreau se sauve dans une chapelle qui était au pied de l'échafaud. Sa femme reste seule avec la patiente tombée sous le coutelas, prend la corde qui avait servi à lier la malheureuse Hélène Gillet, et la lui passe au cou. Cette fille se défend; l'autre lui donne des coups sur l'estomac et sur les mains, la secoue cinq à six fois pour l'étrangler. Se sentant frappée de coups de pierres, elle tire par la tête cette infortunée à demi-morte, vers les marches de l'échafaud, prend des ciseaux longs d'un demi-pied, veut lui couper la gorge, et lui fait ainsi jusqu'à dix plaies, tant au visage qu'au cou ou à l'estomac. Enfin le peuple, ne pouvant plus supporter un spectacle aussi horrible, arrache le corps de la patiente des mains de cette forcenée, et par un de ces retours de barbarie qui ne se voient que trop fréquemment dans les masses ignorantes, il massacre sans pitié le bourreau et sa femme. On emporte la malheureuse Hélène Gillet chez un chirurgien dont les secours la rappellent à la vie. Elle s'écrie alors: Je savais bien que Dieu m'assisterait. Le parlement la mit sous la garde d'un huissier, jusqu'à ce qu'il en fut autrement ordonné.
On n'a pu savoir quel était le motif du trouble dont le bourreau était agité, de la répugnance qu'il témoigna pour cette exécution et de l'acharnement féroce de sa femme contre la malheureuse victime qu'elle voulait immoler. Peut-être cet homme n'exerçait-il que malgré lui cet infâme métier, que des circonstances l'avait obligé d'embrasser, et que sa femme qui y était habituée dès sa naissance, et qui voulait le forcer à l'exercer, ne l'y excitait si vivement, ne s'offrait même à lui servir de substitut, que pour ne pas perdre la rétribution attachée à cette horrible fonction.
Quoiqu'il en soit un concours d'heureuses circonstances sauva Hélène Gillet. Des personnes qui s'intéressaient à cette malheureuse et à sa famille, sollicitèrent sa grâce auprès du roi qui l'accorda par des lettres d'abolition, datées de Paris, du mois de mai 1625, lesquelles furent entérinées purement et simplement par le parlement de Dijon, le 5 juin suivant.