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Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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LA MÈRE LOUISE,
OU LES RELIGIEUSES DE LOUVIERS.

En 1647, les religieuses d'un monastère situé à Louviers, en Normandie, voulurent, dit-on, se procurer la même réputation que les Ursulines de Loudun, en faisant, comme elles, les possédées. Le bruit s'en répandit aux environs, et le parlement de Rouen trouva l'affaire si grave, qu'il s'en attribua la connaissance, à l'exclusion des juges subalternes. Il reconnut la fourberie de ces religieuses, mais il en reconnut aussi les impiétés; et les informations ayant été faites, on s'occupa de cette étrange procédure.

La supérieure, que l'on nommait la mère Louise, se trouvait principalement chargée; et parce qu'elle avait gagné l'affection de la reine par les apparences trompeuses que cette misérable affectait, jusqu'à faire l'inspirée, et par des prédictions qu'elle lui avait faites et qui avaient reçu leur accomplissement, le parlement députa à cette princesse pour l'informer de l'état du procès. Les magistrats n'eurent pas de peine à obtenir la permission d'instruire l'affaire à fond et de punir les coupables.

Ces religieuses de Louviers devaient la fondation de leur couvent à la veuve d'un procureur de la chambre des comptes de Rouen, dont le mari, convaincu d'une friponnerie, avait été condamné à la peine de mort. Sa veuve, ne pouvant demeurer dans une ville où il lui semblait voir à tous momens son mari à la potence, se retira à Louviers, et s'adressa à un prêtre qui lui conseilla, pour mettre son esprit en repos, de fonder un couvent dont elle serait la supérieure. Elle fit en effet bâtir la maison où elle se cloîtra avec les religieuses qui voulurent bien s'y renfermer avec elle. Bientôt la fondatrice mourut; une jeune religieuse qu'elle s'était associée lui succéda dans la charge de supérieure. C'est elle qui s'est fait connaître sous le nom de mère Louise. On l'appelait auparavant la petite bergère, parce qu'elle était fille d'un berger; et le prêtre qui était son protecteur auprès de la fondatrice l'avait trouvée si à son gré, qu'il vivait, disait-on, plus familièrement avec elle que ne le permettait leur condition respective. Ce prêtre mourut peu de jours après l'installation de sa petite bergère ou de sa jeune religieuse dans la dignité de supérieure, et se désigna, en mourant, le curé de Louviers pour successeur.

Le curé de Louviers, nommé pour prendre soin des religieuses, introduisit dans le couvent une fille de sa connaissance pour en être tourière. C'était afin d'y pouvoir entrer lui-même plus commodément toutes les fois qu'il le souhaiterait. Le commerce qu'il entretint avec la tourière passait, à ce qu'on dit, les horreurs les plus détestables et les plus diaboliques. On sait aussi qu'après avoir nommé un successeur qui lui ressemblait, il ordonna, en mourant, que son corps fût enterré entre l'autel et la grille par où les religieuses entendent la messe; mais il n'y eut pas été plus tôt mis, que toutes, sans en excepter une seule, devinrent comme enragées ou possédées du diable, prononçant incessamment des blasphèmes contre Dieu et contre ce qu'il y a de plus saint en la religion.

L'évêque d'Évreux, ayant pris connaissance de ces désordres, ordonna que le corps fût exhumé, et le fit jeter dans une marnière. Les parens intentèrent procès à l'évêque, et ce fut ce qui donna lieu au parlement de Rouen de connaître non seulement de cet accident, qui n'était qu'un accessoire, mais encore de ce qui concernait la conduite de ce curé, de son prédécesseur et de tout le couvent, et d'examiner d'où pouvaient venir tant d'impuretés et tant de sacriléges qui s'y étaient commis.

Dans le premier moment, la reine avait manifesté le désir que la mère Louise ne fût pas comprise dans la procédure, ne pouvant croire qu'une religieuse qui jouissait d'une aussi haute réputation de sainteté fût coupable de crimes tels que ceux que l'on articulait; mais, ayant été détrompée, elle laissa liberté entière au parlement.

Pendant que les juges examinaient cette affaire dans ce qu'elle avait de criminel, les médecins l'approfondissaient dans ses rapports avec la physique, comme un de ces phénomènes avec lesquels la nature se plaît à tourmenter la curiosité humaine; et d'un autre côté, les exorcistes voulaient savoir si le mal n'avait pas un principe surnaturel, et si les religieuses n'étaient pas possédées. Ainsi la jurisprudence, la médecine et la théologie travaillaient à découvrir ou le crime, ou la maladie, ou la malice et la fourberie de ces religieuses. Les exorcismes ne servirent qu'à faire connaître qu'il n'y avait que de la malice dans la plupart des prétendus possédées, et de la faiblesse d'imagination dans les autres. Les médecins furent partagés dans leur opinion; quelques-uns croyant les religieuses obsédées, tant il y avait de merveilleux et de surnaturel dans ce qu'elles faisaient; et les autres, que ce n'était qu'une maladie de femme.

Le parlement ne fut pas embarrassé sur les preuves des impiétés et des sacriléges; elles n'étaient que trop nombreuses; mais il crut devoir faire une distinction entre les religieuses hypocondriaques dont l'imagination était malade, et celles qui étaient véritablement et sciemment coupables. Il regarda comme de pures rêveries tout ce que déposaient les religieuses, qui s'accusaient l'une l'autre d'avoir été au sabbat, et d'avoir souffert la compagnie du diable; mais il considéra comme des abominations et des saletés impies, dignes du dernier supplice, les infâmes prostitutions de la tourière et de la mère Louise, et ce que les prêtres qui avaient eu la direction du couvent avaient persuadé aux religieuses dont ils avaient séduit la simplicité, en leur ordonnant de communier toutes nues, étant eux-mêmes tout nus avec elles, pour se mettre, disaient-ils, en l'état d'innocence de nos premiers parens.

Le parlement, après avoir mûrement tout examiné, tout pesé, rendit un arrêt par lequel les deux prêtres Boulai et Picard furent condamnés, le premier à être brûlé vif, le second à être étranglé et son corps réduit en cendres; ce qui fut exécuté. La tourière subit le même supplice; mais celui de la mère Louise fut différé jusqu'après de plus amples informations, et elle mourut en prison.

Par le même arrêt, le parlement ordonna que toutes les pièces du procès seraient brûlées, afin d'anéantir toutes les traces de tant d'horreurs.


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