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Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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ASSASSINAT DE M. DE RIANCOURT.

Le 5 octobre 1697, entre sept et huit heures du soir, le sieur de Riancourt, retiré depuis quelques jours dans sa maison de campagne, étant à table avec sa femme dans sa cuisine, fut atteint d'un coup d'arme à feu chargé de trois balles, qui avait été tiré par une fenêtre dont quatre vitres cassées étaient couvertes d'un morceau de tapisserie fendu de manière à donner passage au canon de l'arme.

Ce coup de feu jeta l'effroi dans la maison. Deux domestiques, épouvantés, s'enfuirent. La servante se mit en devoir d'assister sa maîtresse pour donner du secours à M. de Riancourt, pensant qu'il n'était tombé qu'en faiblesse. Cependant le sang qui sortait en abondance de sa bouche et de ses blessures était d'un sinistre présage. En effet, il ne prononça que ces mots: «Ah! mon Dieu, qu'est ceci? Nous sommes perdus!» et il rendit le dernier soupir.

Le lendemain du crime, le bailli de Jouars se transporta sur les lieux, dressa procès-verbal, apposa le scellé, interrogea les domestiques et d'autres témoins, et quelques jours après reçut la plainte de la veuve, sur laquelle il décréta de prise de corps deux quidams dont on désignait le visage, la taille et les habits.

Le 20 novembre, le sieur de Riancourt-Duplessis, frère du défunt, prévenu qu'il était soupçonné d'être l'auteur de l'assassinat, se pourvut devant le parlement de Paris, et rejeta l'accusation dirigée contre lui sur la veuve de son frère et sur le chevalier de Mouchy, qui furent décrétés de prise de corps. La veuve se constitua prisonnière, et, après diverses procédures devant plusieurs tribunaux, elle fut déclarée accusatrice et mise en liberté. En sa qualité d'accusatrice, elle continua l'instruction contre son beau-frère et les autres accusés. Mais au bout de quelque temps, plusieurs officiers de la ville de Montmédy ayant présenté au roi un placet dans lequel ils attestaient que le 5 octobre, jour de l'assassinat, le sieur de Riancourt-Duplessis n'était point sorti de la ville, et qu'ainsi il était injustement accusé d'avoir commis un crime à cinquante lieues de Montmédy, le grand conseil renvoya absous le sieur de Riancourt-Duplessis, et ordonna un plus ample informé contre Mouchy.

Depuis cet arrêt, rendu le 25 septembre 1700, la veuve Riancourt, qui était restée accusatrice, ne fit aucune diligence.

Justement offensé du long silence de la veuve, le sieur de Riancourt se porta accusateur contre Mouchy et ses complices, et se fit autoriser à informer contre eux.

Quel pouvait être l'auteur du meurtre de M. de Riancourt? Ce ne pouvait être son frère, le fait était bien constaté. On ne connaissait à M. de Riancourt qu'un seul ennemi personnel, et cet ennemi était l'intime ami, l'amant de sa femme; enfin c'était ce Mouchy qui avait été décrété de prise de corps avec la veuve, mais qui avait pris la fuite. M. de Riancourt, offensé de la liaison trop familière qui s'était établie entre sa femme et lui, lui avait interdit la porte de sa maison. Des témoins ont attesté la conduite scandaleuse de la dame de Riancourt avec ce Mouchy, et l'autorité dont celui-ci s'était emparé dans la maison. D'autres circonstances venaient encore accuser cet homme. On avait vu Mouchy rôder, quelques jours avant l'assassinat, aux environs de la maison de M. de Riancourt; une gâche avait été enlevée dans l'intérieur de la maison; une porte laissée ouverte ou mal fermée pour faciliter l'entrée ou la sortie de l'assassin.

Ce qui donnait aussi quelque force aux soupçons de complicité qui planaient sur la veuve, c'était le lieu de la cuisine, où le défunt n'avait jamais mangé depuis trois ans; c'était aussi un souper de cérémonie qui devait avoir lieu ce soir-là, et qui avait été contremandé. C'était encore son silence à l'égard de Mouchy, depuis qu'elle était restée accusatrice.

On pouvait encore puiser dans la vie antérieure de Mouchy de bien fortes preuves contre lui. Il avait déjà été condamné à être rompu vif pour vols et pour assassinat. Tel était l'homme que madame de Riancourt avait choisi pour son favori.

Après plusieurs plaidoiries contradictoires, le grand conseil ordonna que la dame de Riancourt, qui venait de se marier en secondes noces, serait tenue de faire de nouvelles poursuites contre Mouchy, et d'en rendre compte au procureur-général. Du reste, le beau-frère et la belle-sœur furent mis hors de cour.

Plus de quinze ans après cet arrêt, il ne s'était présenté aucun incident, soit que Mouchy fût mort, soit qu'il fût resté dans les pays étrangers. Il est probable qu'alors on abandonna l'accusation.

On a lieu d'être surpris que le grand-conseil eût confié la poursuite à la veuve. Dès que le meurtrier indiqué était accusé d'être son amant, pouvait-on croire qu'elle poursuivrait le coupable avec toute la vigueur d'une femme vertueuse?

Cette affaire criminelle, extrêmement singulière, fut aussi singulièrement jugée. Elle est propre néanmoins à donner une grande leçon. Sans ses liaisons adultères avec Mouchy, madame de Riancourt n'aurait pas été accusée de complicité avec l'assassin, et peut-être le meurtre n'eût-il pas eu lieu. La conclusion morale est facile à tirer.


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