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Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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SIMON MORIN,
OU LE FOU BRULÉ COMME SORCIER.

Ce fut à l'époque la plus brillante du règne de Louis XIV, au moment où les chefs-d'œuvre dans tous les genres, naissaient à la voix du grand roi, au milieu des fêtes magiques de Versailles, dans un temps où la galanterie et le désir de plaire inspiraient les plus belles actions; où la politesse s'infiltrait de toutes parts dans nos mœurs; où la guerre elle-même perdait son ancienne rudesse, qu'eut lieu la catastrophe tragique de ce malheureux insensé. Simon Morin s'imaginait avoir eu des visions, et poussait la démence jusqu'à se croire envoyé de Dieu, et à se dire incorporé à Jésus-Christ. De semblables propos ne devaient laisser aucun doute sur la situation de son esprit. Le parlement de Paris, persuadé de la folie de cet homme, le fit renfermer aux Petites-Maisons, seule punition que la justice eut dû lui infliger, même par humanité.

Il se trouva dans le même hôpital un autre fou qui se disait le Père éternel, de qui même la folie a passé en proverbe. La démence de ce maniaque fit tant d'impression sur Simon Morin, qu'il sembla reconnaître la sienne. Il parut pour quelque temps recouvrer sa raison. Interrogé par les magistrats, il leur témoigna tout le repentir qu'il éprouvait; et ceux-ci, pour son malheur, le firent remettre en liberté.

Il ne tarda pas à retomber dans ses premiers accès. Il chercha à propager les idées de son imagination délirante, qu'il appelait sa doctrine. S'étant lié avec Saint-Sorlin Desmarets, autre visionnaire, celui-ci lui prodigua d'abord toutes les démonstrations de la plus vive amitié, mais il devint bientôt, par jalousie de métier, le plus ardent persécuteur de Simon Morin.

Ce Desmarets avait commencé par être auteur; mais ses productions attestaient le dérangement de son cerveau. Tantôt c'étaient des tragi-comédies imprimées avec une traduction des psaumes, tantôt un roman d'Ariane, et un poème de Clovis, à côté de l'office de la Vierge mis en vers. Plût à Dieu, cependant, que ses folies eussent toujours été innocentes! Mais d'abord il déclara la guerre à Port-Royal, et eut l'honneur d'être réfuté par l'illustre Racine; puis il se mit en tête d'être prophète, prétendant que Dieu lui avait donné de sa main la clef du trésor de l'Apocalypse; qu'avec cette clef, il ferait la réforme du genre humain, et qu'il allait commander une armée de cent quarante mille hommes contre les jansénistes.

De semblables assertions, débitées avec toute l'assurance de la vérité, auraient dû, sans difficulté, faire ouvrir les portes des Petites-Maisons pour Desmarets; mais point du tout, il se fit au contraire des partisans et des protecteurs parmi des hommes que l'on aurait dû supposer sages et éclairés. Il trouva beaucoup de crédit auprès du jésuite Annat, confesseur du roi, qui l'appuya en haine des jansénistes. Il lui persuada que ce pauvre Simon Morin voulait établir une secte presque aussi dangereuse que le jansénisme même. Enfin (et sa folie peut seule l'excuser de ce crime), il porta l'infamie jusqu'à se faire délateur, et obtint du lieutenant-criminel, un décret de prise de corps contre son malheureux rival.

Simon Morin fut condamné à être brûlé vif. Au moment de le conduire au supplice, on trouva dans un de ses bas un papier dans lequel il demandait pardon à Dieu de toutes ses erreurs. Cette circonstance pouvait lui faire obtenir sa grâce; mais la sentence était confirmée. Il fut exécuté sans miséricorde, en 1663. Cette date seule pourrait faire révoquer en doute la véracité de ce récit, si malheureusement la même époque ne fournissait pas d'autres faits qui, comme celui-ci, font dresser les cheveux d'horreur.


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