Chronique du crime et de l'innocence, tome 2/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
EXTRAIT DES FASTES
DU GIBET DE MONTFAUCON.
Montfaucon, éminence patibulaire très-renommée, est situé au-delà des faubourgs du Temple et Saint-Martin. Cette petite colline avait été choisie pour les exécutions, parce que autrefois l'usage était de les consommer sur des lieux élevés, pour que l'exemple fût vu de loin, et que la terreur du supplice détournât du crime ceux qui avaient du penchant à le commettre. De l'empressement que montre la populace à voir exécuter des criminels, beaucoup de personnes concluent qu'elle prend plaisir à voir répandre le sang. Peut-être est-ce calomnier l'espèce humaine. Saint-Foix donne une autre raison de cet empressement. «La populace, dit-il, est curieuse de voir comment sont faits ces hommes dont la sentence et les crimes deviennent pour elle la nouvelle du jour et le sujet de sa conversation. Il n'y en a peut-être pas quatre, parmi les spectateurs, qui ne détournent la vue, et dont l'âme ne se sente attristée au moment où le supplice commence.» Cela est si vrai, que souvent on a vu la même multitude, après avoir demandé à grands cris la mort d'un malheureux, fondre en larmes pendant toute la durée de son supplice.
Montfaucon, suivant toutes les apparences, a pris le nom qu'il porte encore aujourd'hui d'un seigneur nommé Falco ou Faucon, qui en était propriétaire, ainsi que des terres des environs. L'opinion commune est que ce fut Pierre de La Brosse, favori de Philippe-le-Hardi, qui fit élever ce gibet; d'autres l'attribuent à Enguerraud de Marigny ou à Pierre Remy. Quoi qu'il en soit, on y voyait encore du temps de la ligue une masse de pierres, accompagnée de seize piliers, où conduisait une rampe aussi de pierres, assez large, et qui se fermait avec une bonne porte. Cette masse était un parallélogramme haut de deux à trois toises, long de six à sept, large de cinq ou six, et composé de dix ou douze assises de gros quartiers de pierre, bien liés et bien cimentés. Les piliers étaient gros, carrés et chacun de trente-deux ou trente-trois pieds de hauteur. Pour joindre ensemble ces piliers, et pour y attacher les corps des suppliciés, on avait enclavé dans leur chaperon deux gros liens de bois qui traversaient de l'un à l'autre et avaient des chaînes de fer d'espace en espace. Au milieu était une cave pour recevoir les corps des suppliciés, lorsqu'ils tombaient en pièces ou que toutes les chaînes et les places étaient remplies.
Des noms célèbres ou fameux figurent parmi les victimes nombreuses qui vinrent finir leur existence à ce gibet.
Pierre de La Brosse, barbier et chirurgien de Saint-Louis, fut pendu à ce gibet en 1227. Il était accusé d'avoir empoisonné Louis de France, fils aîné du roi et d'Isabelle d'Aragon.
On a vu à l'article de Marie de Brabant tous les détails relatifs à cette affaire. Le chroniqueur parisien pense que La Brosse était innocent, et qu'il mourut victime de la haine des princes qui ne pouvaient supporter à la cour un riche vilain comme l'était ce favori. Les ducs de Bourgogne et de Brabant, et Robert, comte d'Artois, assistèrent à son supplice.
Enguerrand de Marigny, dont nous avons raconté l'histoire, périt victime des intrigues du comte de Valois. Jean d'Asnières, fameux avocat de ce temps-là, proposa contre lui quarante-un chefs d'accusation. L'accusé demanda du temps et quelqu'un pour le défendre; mais on lui en refusa tous les moyens, et, sans formalité ni justice, il fut condamné à être pendu; et l'exécution eut lieu en 1315. On dit qu'il avait été un des restaurateurs du gibet de Montfaucon, où il fut attaché.
Henri Taperet, prevôt de Paris, fut pendu au même lieu en 1320, comme nous l'avons vu, pour avoir fait mourir un innocent qu'il substitua à un riche coupable, qui, pour ses crimes, avait été condamné au dernier supplice.
Gérard Guecte, Auvergnat de basse naissance, avait été employé dans les finances sous le règne de Philippe-le-Long; mais dès que Charles-le-Bel fut parvenu à la couronne, ce prince le fit enfermer dans la tour du Louvre, comme ayant détourné les finances du trésor royal. Il n'aurait pu éviter le dernier supplice, mais on lui donna si violemment la question qu'il expira au milieu des tortures. Son corps fut traîné par les rues, et ensuite pendu à Montfaucon en 1322.
Jourdain de Lisle, l'un des plus grands seigneurs de Gascogne, et, de son propre aveu, l'un des plus grands scélérats, vint y prendre place en 1323. On a vu plus haut son histoire.
Pierre Remi, seigneur de Montigny, fut accusé de malversations après la mort de Charles-le-Bel, dont il avait été le principal trésorier. Son procès lui fut fait, et il fut condamné à être pendu par arrêt du parlement du 25 avril 1328; ce qui fut exécuté au gibet de Montfaucon, qu'il avait fait réparer peu de temps auparavant. Ainsi fut réalisée la prédiction qu'on avait, dit-on, gravée sur le principal pilier, et contenue en ces deux vers:
En ce gibet ici emmi
Sera pendu Pierre Remi.
Macé de Maches, trésorier changeur du trésor du roi, y fut aussi pendu en 1331, ainsi que Réné de Siran, maître des monnaies, en 1333.
Alain de Hourderie, chevalier, conseiller au parlement, fut pendu et étranglé au gibet de Montfaucon, en 1348, pour avoir enregistré une fausse déposition qu'il n'avait jamais ouïe, et avoir falsifié et corrompu celles des témoins que véritablement il avait entendus, pour favoriser l'une des parties.
Jean de Montagu, déclaré coupable de lèse-majesté en 1409, fut condamné à être décapité dans les halles de Paris. Son corps fut porté à Montfaucon, et sa tête mise au bout d'une lance sous les piliers des halles.
Pierre des Essarts, prevôt de Paris sous le même règne, avait été auparavant grand-bouteiller en France, et avait eu la souveraine administration des finances. Personne, plus que lui, n'avait eu part aux bonnes grâces du duc de Bourgogne; mais il les perdit tout-à-coup, et devint même l'objet de sa fureur. On l'accusa de tous les malheurs de ce temps-là, et il fut condamné à perdre la tête; ce qui fut exécuté aux halles le 1er juillet 1413. Son corps fut porté à Montfaucon, où quatre ans auparavant il avait fait mettre celui de Montagu. Ainsi se réalisa la prédiction du duc de Brabant, qui deux ans auparavant, lui avait dit: «Prevôt de Paris, Jehan de Montagu a mis vingt-deux ans à soy faire couper la tête, mais vrayement vous n'y en mettrez pas trois.»
Olivier Ledain et Jean Doyac, qui avaient été favoris de Louis XI, furent, après la mort de ce prince, immolés à la vengeance publique. Olivier fut pendu à Montfaucon, Doyac fut fustigé par tous les carrefours de Paris, eut une oreille coupée, la langue percée avec un fer chaud aux halles, et fut conduit à Montferrand en Auvergne, où il eut le fouet et l'autre oreille coupée.
Jacques de Beaune, seigneur de Samblançay, surintendant des finances sous François Ier, fut pendu à Montfaucon le 14 août 1527; nos lecteurs connaissent son procès.
Le corps de l'illustre amiral de Coligny fut attaché au même gibet, après son assassinat, lors du massacre de la Saint-Barthélemy.
En 1476, Laurent Garnier de Provins, après avoir demeuré un an et demi attaché à Montfaucon, où, nonobstant sa grâce, il avait été pendu par arrêt du parlement, pour avoir tué un collecteur de tailles, fut dépendu à la sollicitation de son frère, mis dans un cercueil, et porté, avec tout l'appareil des pompes funèbres, par la rue Saint-Denis, jusqu'à la porte Saint-Antoine. De chaque côté marchaient douze hommes vêtus de deuil, les uns une torche à la main, les autres un cierge. Devant étaient quatre crieurs, faisant sonner leurs clochettes, portant toutes les armoiries du défunt: celui qui marchait à la tête du cortége criait à haute voix: «Bonnes gens, dites vos patenôtres pour l'âme de feu Laurent Garnier, en son vivant demeurant à Provins, qu'on a trouvé mort nouvellement sous un chêne: dites-en vos patenôtres: que Dieu bonne merci lui fasse.»