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Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose

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CHAPITRE XII
Nouvelle conquête: S'en réjouira-t-on?

«Franchette est disparue!... On ne l'a pas vu sortir!... On ne sait ce qu'elle est devenue!... Ah scélérats! vous me la rendrez!... Mais que la foudre m'écrase, si... Je veux qu'on me la trouve, ou, je jure... Fanchette!... Elle était si mignone, si sage, si... Je perdrai l'esprit, si l'on ne me la ramène... Un galant peut-être me l'enlève! et moi, nigaud! depuis six mois je soupire... Il fallait, morbleu! brusquer l'aventure... Il aurait été si doux de passer dans ses bras... Je l'espérais: je me suis trompé. Ah! si je la retrouve!... Jolie, délicate Fanchette, quel mortel à présent savoure sur tes lèvres de rose, des baisers... des baisers... ah! toutes les délices dans lesquelles je nage ne valent pas un de ces baisers-là!... Elle ne serait pas sortie seule: on me l'enlève: mes gens sont du complot... Hola! traîtres! par la mort! si vous ne m'avouez la vérité, je vous fais tous pendre... Comme elle était modeste!... Mais où donc était Néné!... Lorsque sa jolie main se promenait sur les touches de ce clavessin; que son pied séduisant batait la mesure; que sa voix si douce, si touchante... J'aurais du la croquer mille fois... Maudit déjeûner! sans toi... Imbécile que je suis! je me consolerais du moins aujourd'hui: un autre ne cueillerait pas une rose que j'ai si longtemps couvée des yeux... Ah!...» C'est ainsi que s'exprimait monsieur Apatéon, aprês qu'il se fut aperçu de l'évasion de Fanchette; qu'il eut grondé Néné, à laquelle cependant il n'osa faire de questions sur la vision de la nuit précédente; qu'il eut mis tous ses gens en campagne pour ratraper sa jolie proie: et son monologue finit par un cri de fureur. Tous les mouvemens qu'il se donna furent longtems inutiles: une pauvre femme, une jeune fille trompèrent, avec succês, un tartufe!

Fanchette vivait heureuse et tranquille: dês le premier jour, elle avait oublié l'abondance et la délicatesse; comme dès le premier instant, ces bijoux, ces ajustemens, idoles cruelles auxquelles tant de femmes sacrifient l'honneur et les mœurs, ne lui coûtèrent pas un soupir. Les avis de son père se retracèrent à son souvenir: «Je travaille, se disait-elle; je remplis les vues du cher auteur de mes jours: le ciel me bénira.» Et le ciel la bénissait.

La marchande avait un neveu, nommé Dolsans, jeune-homme qui promettait beaucoup; disciple des Michel-Ange, des Raphaël, des Lebrun; émule des Vanloo, des Vernet. Il revenait de rome; dês la première visite qu'il rendit à sa tante, il vit la belle Florangis. Il était fête: Fanchette avait une robe neuve, peu riche, mais extrêmement parante: c'était un présent de la bonne Néné: la beauté de sa chevelure était relevée par une frisure de gout: son joli bonnet paraissait monté de la main des grâces, c'est-à-dire, par elle-même sous la direction d'Agathe. Un soulier vert orné d'une fleur en or, enfermait son pied mignon. Elle était assise, le dos tourné, et lisait Émile, lorsque le jeune Dolsans entra. Le premier objet qui frapa sa vue fut le joli pied de Fanchette, posé sur un petit tabouret. Son cœur palpita. En embrassant sa tante, il le regardait: en répondant à toutes ses questions, il le regardait encore. «Qu'avez-vous vu de curieux à rome?—Bien des choses, ma tante.—Faites-moi quelque détail.—Ah! que ce que j'en découvre est séduisant!—Vous autres, peintres, vous vous passionnez pour cette ville comme pour une maîtresse: tout vous y paraît merveilleux: ma foi, je n'ai jamais vu votre rome: mais paris est bien aussi séduisant qu'elle—Ma tante!...—Oui, mon cher neveu, ne vous en déplaise; je le soutiendrai contre tous les romains.—C'est une merveille!...—Merveille tant qu'il vous plaira. Elle a son église de saint-pierre, à ce qu'on m'a dit; mais paris a son louvre et ses tuileries: des connaisseurs ont assuré devant moi, qu'aucun édifice dans le monde n'égalerait le louvre, s'il était achevé.—Je ne parle pas d'édifices, ma tante.—Pour les chefs-d'œuvres de la peinture, l'on voit dans le salon...—Eh mon dieu! ni de peinture.—Le caractère de la nation, les mœurs des habitans? ah! pour le coup, mon neveu, tout l'univers doit mettre pavillon bas devant notre patrie. Quelle aménité, quelle élégance dans les nôtres! Je vois le monde, mon cher Dolsans; j'entens dire à des gens de poids, que notre urbanité présente servira de modèle à toutes les races futures.—Je vous accorde tout cela, ma tante, j'enchérirai, s'il le faut: paris renferme des merveilles qui surpassent tout ce que j'ai jamais vu.—Vous voila raisonnable. Nous aurons bientôt de vos ouvrages: vous serez sans doute devenu parfait?... Vous ne me répondez rien! (Il s'avançait pour regarder Fanchette, qui ne s'était pas encore retournée.)—Quelquefois j'embellis la nature; mais ce que je viens de voir est fait pour desespérer, ou pour élever au-dessus de lui-même l'artiste le plus habile.—Mon neveu, reprit la marchande, en lui parlant à l'oreille; restez-en là: vous me connaissez: malgré la tendresse que j'ai pour vous, une imprudence vous excluerait de chez moi.»

Dolsans entendit ce qu'on voulait lui dire: il baissa les yeux: au bout d'un moment, il les leva sur le pied de Fanchette, et dans son cœur il disait: «Ah! fût-elle aussi laide qu'elle m'a paru belle, ce charme inexprimable me la ferait adorer.»

Quelques-unes des compagnes de Fanchette entrèrent: sa lecture fut intérompue: elle se leva: Dolsans, interdit, immobile, la regardait; il s'ennivrait du plaisir de la regarder. Chaque pas de la belle Florangis fesait éclore de nouveaux charmes; tout s'embellissait sous ses pieds: Telle la divine Cypris marche précédée des desirs brûlans, accompagnée des grâces, et suivie des plaisirs. Dolsans voulut lui faire un compliment: il ne trouva rien qui pût exprimer ce qu'il sentait. Il garda le silence; ses yeux seuls parlèrent: et Fanchette peut-être n'entendit que trop ce langage.

Jeunes et touchantes beautés, toutes les conquêtes flatent votre cœur novice encore; vous ne voyez que votre triomphe: mais le piége est caché sous des fleurs; trop souvent hêlas! il en est qui ne devraient exciter que des larmes amères.

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