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Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose

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CHAPITRE XXV
Évènement fatal.

C'en était fait sans doute, et l'occasion, sa rage, la résistance de sa maîtresse allaient porter Dolsans à consommer un crime affreux, si dans ce moment la gouvernante ne fût revenue. Elle apelle sa chère fille. «Ah! ma bonne! s'écrie Fanchette, à mon secours!» Hors d'elle-même, Néné fait retentir la maison de ses cris. Deux jeunes gens qui cherchaient l'occasion de voir la belle Florangis, accourent en même tems: l'un était le comte d'A***, l'autre, l'amoureux Satinbourg. La porte ne put résister à leurs efforts; elle s'enfonce: mais Dolsans, l'épée à la main, forme une seconde barrière, plus difficile à forcer: la foule environne la maison: le comte d'A*** s'avance, Dolsans recule; il veut périr; mais il ne peut suporter l'idée que Fanchette vivra pour un autre. L'aimable fille, mourante, éperdue, tend les bras vers sa bonne, qui bravant les menaces d'un forcené, s'élance, parvient à sa pupille, et la presse contre son cœur. Le courage de la vieille Néné sauva Fanchette: Dolsans, par un crîme (involontaire sans doute) l'aurait peut-être immolée; puisqu'ayant frapé la gouvernante, il s'offrit ensuite aux coups du comte d'A***, de la main duquel il reçut une blessure mortelle.

Fanchette, couverte du sang de sa bonne, était évanouie; Satinbourg, effrayé, les secourait toutes deux: le comte d'A*** exposait les raisons de sa conduite au commandant de la garde à cheval; et la marchande, suivie d'Agathe, arrivait chez elle. Lorsque Fanchette refusa de les accompagner, elle avait remarqué de l'altération sur le visage de son neveu. A la promenade, elle le perdit de vue quelques momens: on se divertissait: de jeunes filles, vives et folâtres, longtems renfermées, bondissent comme des agneaux, qu'on envoie broûter l'herbe fleurie dans un beau jour de printems. Ce spectacle d'une joie naïve, le plus charmant de tous, occupait agréablement la marchande: Agathe seule, qui n'avait pas son amie, paraissait triste, et s'écarta: elle aperçut Dolsans, qui retournait à paris. Elle en avertit sa mère. En aprenant l'éloignement de son neveu, la marchande fut surprise; elle ressentit des mouvemens de crainte: son cœur se serra: elle voulut le suivre. Comment peindre quel fut son desespoir, en rentrant dans la maison! Elle voit son neveu, et sur son front la pâleur de la mort... Elle pousse un cri perçant: ses regards se détournent et vont tomber sur Fanchette. «Tous deux! s'écrie-t-elle...» Et ses forces l'abandonnent: elle tombait: le comte d'A*** la soutint. Et la jeune Agathe, plus morte que vive, se précipite sur son amie.

Cependant les disciples d'esculape accouraient par les soins du jeune Satinbourg. Leurs secours sont inutiles à Dolsans; ce malheureux jeune homme vient de terminer une carrière, que son dernier jour seul avait souillée. La bonne était blessée légèrement au bras; Fanchette rouvre ses beaux yeux et répond aux touchantes caresses de la jeune Agathe; la marchande revient à elle. Toutes se regardent en soupirant. «O! ma fille! dit la gouvernante, comment donc faire, pour être vertueuse!—Ma bonne, répondait Fanchette, quelle fatale journée!—Vous vivez, chère Fanchette!... s'écria la marchande, ah! ma chère fille! on vous avait confiée à ma vigilance!... celui que j'aimais, qui devait me tenir lieu de fils... on m'aprend que par le plus odieux des forfaits... Il mérite son sort funeste: mais moi, avais-je donc mérité le malheur qui m'accable! Ah! cruel Dolsans! vous étiez perdu pour moi, avant de recevoir le coup mortel!...»

Le comte d'A*** et Satinbourg paraissaient également ravis de voir Fanchette et sa bonne hors de danger: Le jeune marchand sentait au fond de son cœur la joie d'avoir servi l'objet de sa tendresse: On enlève Dolsans: Satinbourg et la bonne elle-même rassurent l'aimable Florangis. Qu'elle était touchante dans ce désordre, où venait de la mettre l'attentat du peintre, et que sa douleur la rendait intéressante! Le comte d'A*** jura de tout entreprendre pour s'assurer de la possession d'une fille si belle et si sage; Satinbourg se promit de l'aimer éternellement. «Heureux! se disaient-ils en eux-mêmes, celui qui tarira ces larmes! qui fera reparaître sur ce minois séduisant les ris et les amours!...» La gouvernante ne pouvait se résoudre à quitter Fanchette: cependant l'heure la rapelait. «Allez, ma bonne, lui dit l'aimable fille; et pour me consoler, répétez-moi mille fois, que bientôt je le verrai.» Néné seule entendit ce que sa pupille voulait lui dire. Elles se quittèrent: Le comte d'A*** sortit, et Satinbourg remena la gouvernante.

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