Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose
NOTES:
PREMIÈRE PARTIE.
[1] Une montagne en mal d'enfant On ne traduira pas le latin lorsque le texte indiquera le sens.
Jetait une clameur si haute,
Que chacun, au bruit accourant,
Crut qu'elle accoucherait sans faute
D'une cité plus grosse que Paris;
Elle accoucha d'une souris.
Mon but, dans cet ouvrage, n'est pas de peindre en grand; je laisse à mes maîtres, aux hommes célèbres, les grands tableaux. Je vole terre à terre: mes héros sont pris dans la médiocrité. Nos voisins à blonde (et souvent rousse) crinière, peuple que les clabaudeurs nomment féroce, et les gens sensés magnanime, les Anglais en un mot, traitent dans leurs ouvrages toutes les conditions avec un égal respect. Je sais qu'en France, séjour de la politesse et de l'urbanité, de la saine philosophie et de gens qui font de tres beaux discours sur la dignité de l'homme, on n'écrit sur le peuple, on ne l'introduit sur la scène que pour le ridiculiser. M. de Voltaire, dit le sage de notre siècle (J.-J. Rousseau), a le premier rendu respectable un vieux soldat dans Nanine. M. Sedaine n'a pas fait un personnage bassement plaisant de son Antoine, dans le Philosophe sans le savoir. Ce sont ces exemples que je suis. Quoi donc! ceux qui constituent la nation seront la fable du petit nombre d'ingrats qu'ils nourrissent! Quelle indignité! Après le roi, dans une monarchie; avant tout dans une république, ce qu'il y a de plus sacré, de plus respectable, de plus saint, c'est essentiellement le peuple et ses droits.
Cette note est du vieillard Kathégètes. Elle avait été rayée par l'auteuromane; la petite-maîtresse la restitua, pour se donner le ton philosophe.
[2] Un pied peut être beau, lorsqu'il est bien fait, sans être petit: beaucoup de femmes l'ont très joli, quoique grand. Il se trouve même des nations qui préfèrent les grands pieds, ils étaient en honneur chez les Cappadociens, et de nos jours ils sont estimés en Perse. La petitesse du pied, telle qu'on l'exige en Chine, serait un défaut.
On connaît des peuples, tels que les Sériens (dont le pays est entre le mont Imaüs et la Chine), qui préfèrent les pieds presque ronds.
Un petit pied, nu, blanc comme la neige, était un des charmes séduisants que les belles Grecques offraient aux regards d'un amant heureux.
Les Romains avaient les mêmes idées que nous sur la beauté de cette partie. Ovide dit à une maîtresse infidèle: «Quoique perfide, tu n'en es pas moins belle; ton PETIT PIED n'en est pas moins mignon.»
Pes erat exiguus; pedis est aptissima forma.
Amor., l. III, eleg. 3.
[3] Judith, chap. XVI, v. 9. (C'est, je crois, remonter assez haut, pour prouver qu'en tout temps, on eut le même goût qui fait dire aujourd'hui:)
Corset et jupons blancs, bas toujours bien tirés,
PETITPIED DANS MULE GENTILLE
Sont plus apétissans qu'un objet décoré
De tout ce qui frape et qui brille;
Non, non, l'ajustement avec art arrangé,
Les plus beaux ornemens, la plus riche parure
N'ont pas l'attrait friand d'un joli négligé
Où la propreté semble embellir la nature.
M. Panard.
[4] Suétone, livre VII, A. Vitellius, chap. II. C'est de Lucius Vitellius, qu'est ce trait. J'y joindrai celui de la fameuse Dorique, courtisane grecque qui vivait du temps de Sapho: un pied mignon lui procura le double honneur d'avoir un roi pour amant, et pour tombeau une pyramide, qu'on voyait encore du temps de Strabon:
«Une avanture extraordinaire fesait l'objet de l'attention publique. Une aigle avait enlevé le soulier de Dorique, qui prenait le bain à Naucrate, ville située sur une des embouchures du Nil, près de Canope, et elle l'avait transporté dans le palais de Saïs, alors capitale d'Égypte, où elle le laissa tomber sur les genoux du roi Psammis. Ce prince fut étonné du prodige et de la propreté du soulier; il en admira le goût et la petitesse, demeurant persuadé qu'un pied si bien fait devait être celui de la plus belle personne du monde.
«Le voluptueux Psammis, curieux d'ailleurs de tout ce qui avait l'air mystérieux, voulut approfondir ce prodige et savoir d'où lui venait ce soulier: il proposa des récompenses à ceux qui lui en apprendraient des nouvelles. Plusieurs femmes de la cour l'essayèrent, mais il ne se trouva propre à aucune: enfin cette avanture pénétra dans les provinces, et le bruit en vint jusqu'à Naucrate: Dorique fut étonnée que son soulier eût été porté si loin, et elle en conçut de grandes espérances. Elle se déclara elle-même; le gouverneur en donna aussitôt avis à Psammis, et il y joignit un portrait si flatteur des charmes de cette Grecque que le roi eut envie de la voir: il envoya ordre qu'on l'amenât à Saïs: il se sentait ému au récit de tant d'attraits: comme l'avanture avait quelque chose de miraculeux, il ne douta point que le dénouement n'en fût merveilleux. Il fallut obéir; Dorique partit de Naucrate, et elle prit le chemin de Saïs.
«Psammis ne fut pas longtemps sans devenir éperduement amoureux de Dorique: il avait fait faire l'essai du soulier mystérieux avec beaucoup de pompe; il ordonna pour cela une fête galante, qui fut appelée la FÊTE DU SOULIER: Dorique, parée des riches habits dont le roi lui avait fait présent, fit envier ses charmes à toutes les femmes de Saïs, inspira de l'amour à tous les hommes; mais un amant couronné satisfit son ambition: il fut seul heureux.»
[5] Cet historien avait la première des qualités, l'impartialité. Il était toujours fort mal vêtu. On le trouva mort de froid dans sa petite chambre, à côté d'une somme considérable, que probablement il s'occupait à compter. Mais l'avarice est un défaut qui ne diminue pas son mérite comme auteur.
ασβēστος δ' αρ' ενōρτο γελōς μακαρεσσι θεοισιν hōς ιδον,
Hēφαιστον δια δōματα ποιπνυοντα.
(Asbēstos d' ar' enōrto gelōs makaressi rgeoisin,
Hōs idon Hēphaiston dia dōmata poipnyonta.)
Lis est cum forma magna pudicitiæ.
Ovid. epist. XV.
On citera presque toujours Ovide, ce poète étant de tous les anciens celui qui a su le mieux parler au cœur: il n'est pas une situation qu'il n'ait rendue, pas un sentiment qu'il n'ait exprimé. Le détracteur de ce poète charmant, quoiqu'il nous l'assure dans un nouvel art d'aimer, ne peut avoir l'âme sensible: le poète du cœur intéresse tous les cœurs tendres; et c'est peut-être la raison pour laquelle l'abbé Desfontaines l'a mal défendu.
..... Nulla reparabilis arte
Læsa pudicitia est; deperit illa semel.
Ov. Heroïd.
Turpiter ingenuum munera corpus emunt.
Ov. Heroïd.
[10] Il est du devoir d'un historien de faire connaître l'origine de ceux dont il doit beaucoup parler, lorsque leur famille est ancienne et fameuse. Celle des Apatéons réunit ces deux qualités. Sans remonter trop haut, et pour ne rien dire d'Ulysse le fripon et de Sinon le fourbe, il suffira d'avancer que Philippe de Macédoine, père d'Alexandre le Grand, en était un rejeton, ainsi que le dissimulé Tibère, le pape Sixte V, et beaucoup d'autres seigneurs, princes, rois, empereurs, czars, pontifes, califes, etc. Celui dont il est ici question descendait en ligne directe d'un fils d'Alexandre VI et de Lucrèce, qui ne fut jamais connu, et qu'on se contenta d'envoyer en France avec de grands trésors. Quant au nom, pris grammaticalement, il est grec: Απατεων (Apateôn), trompeur.
[11] C'était autrefois le sentiment des manichéens. C'est encore de nos jours celui de nos chanoines, de nos prieurs, et même de nos prélats, qui cependant ne sont pas manichéens.
C'est ainsi que l'élégant Ovide a dit:
...... Subit furtim lumina sessa sopor...
[13] Sed movet obrepens somnus anile caput.
Un historien peut montrer de l'érudition: on en dispense un feseur de romans: mais nous autres auteurs graves, nous devons gagner la confiance de nos lecteurs, voilà l'unique raison des citations que l'on trouvera dans cet ouvrage; car
Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sentiat alter.
Pers. sat. I.
[14] Galli, prêtres de Cybèle. Leurs mœurs étaient extrêmement corrompues, et quoiqu'ils fussent eunuques, ils se livraient aux plus infâmes débauches; on avait pour eux à Rome un souverain mépris. Martial, dans une de ses épigrammes, attaque leurs débordements; voici les expressions dont il se sert, que je me dispenserai de traduire:
Quid cum fœmineo tibi, Bætice galle, barathro?
Hæc debet medios lambere lingua viros.
Abscissa est quare samiâ tibi mentula testâ,
Si tibi tam gratus, Bætice, cunnus erat?
Castrandum caput est; nam sis licet inguine gallus,
Sacra tamen Cybeles decipis; ore vir es.
L. III, ep. LXXX.
Ce vers fameux, appliqué par le peuple romain au plus heureux des Césars, à cet Auguste lâche et rusé, avait pour objet les mœurs des galles:
Videsne ut cinœdus orbem digito temperet?
Suétone.
(Cette note et ce qui l'occasionne avaient été rayés par l'abbé; le petit-maître restitua les deux endroits.)
Ἁρχα μεγαλας απετης ωνασς αληθεια,
Μη πταισης εμαν συνθεσιν τραχει ποτε ψευδει.
(Harcha megalas apetês ônass alêtheia,
Mê ptaisês eman synthesin trachei pote pseudei.)
Le fondement le plus solide de la vertu, c'est, ô souveraine vérité, la candeur et la sincérité, auxquelles on ne doit jamais donner atteinte par le moindre mensonge. Stobée, fragm. de Pindare.
Heureux le genre humain si sa plus belle moitié voulait bien retenir cette maxime!.... Un sage a dit que l'astuce et la finesse dans les femmes sont des dons de la nature, qu'il faut cultiver. «La vérité morale, ajoute-t-il, n'est pas ce qui est, mais ce qui est bien; ce qui est mal ne devrait point être, et ne doit point être avoué, surtout quand cet aveu lui donne un effet qu'il n'aurait pas sans cela.»
Do vestibus oscula quas tu... ponis.
Ovide.
Il faut avoir une âme aussi délicate que sensible, pour concevoir quelle volupté c'est, pour un tendre amant, de toucher les habits, la jolie chaussure de ce qu'il aime. Madame Benoît a rendu avec beaucoup de chaleur l'intéressante situation d'un amant qui palpe le pied mignon de sa maîtresse:
«Le véritable amour est muet dans ses premiers ravissements; à peine laisse-t-il échapper un soupir. La crainte, une douce confusion d'une part; le silence, les timides regards de l'autre, voilà son langage le plus énergique.... Isidore oublie de s'acquitter du ministère pour lequel il a été mandé. La marquise l'en fait souvenir en bégayant.... Isidore cherche ses mesures... il ne trouve rien; il ne sait ce qu'il fait; il plie un genou. Son procédé n'en exige pas davantage; mais ce n'est point assez au gré de la vénération qui lui inspire une personne qu'il regarde comme une divinité; il se prosterne à ses pieds. La marquise ne s'y oppose point; elle n'est plus en état de juger; elle n'ose le regarder; elle ne voit pas ce qu'il fait. Cependant elle decouvre son pied, le présente, non sans hésiter, sans le retirer plusieurs fois. Une pudeur divine, vraie fille du sentiment, lui fait craindre que la palpitation qu'elle éprouve ne se transmette jusqu'à ses extrémités, et ne décèle au trop heureux Isidore l'ouvrage de ses charmes. Il lui semble accorder une faveur de se laisser toucher le pied par un homme qui lui fait tant d'impression. Elle balance; elle se croit même obligée de lui refuser cette douceur, malgré le prétexte qui l'autorise. Le cas où se trouve son amant la rend aussi scrupuleuse que la plus sévère Espagnole. Elle se détermine enfin à dérober le charmant extrait de toutes ses autres beautés; mais la mule qui renferme cet abrégé des grâces est si mignonne, si petite qu'elle échappe à des yeux occupés de tout autre objet. Pendant cette vaine recherche, le calme revient un peu. Madame d'Olfond se rappelle qu'elle est très pressée des souliers qu'elle demande. Isidore procède; on voit ses mains trembler. On sent des torrents de flamme qui s'en échappent. Il laisse des traces de feu à tout ce qu'il touche; il brûle, il consume partout où son heureuse main s'imprime. Il ignore son triomphe; éperdu d'amour et de volupté pure, il ne forme aucun désir, et jouit de toutes les délices sans rien posséder. Moment fortuné! bonheur digne des dieux! pourquoi êtes-vous si rares! Agathe et Isidore, Ire partie, pages 292 et suiv.
..... Mea cymba.....
Illum, quo læsa est, horret adire locum.
Trist. eleg. I, v. 83.
Note de la page 129, après le mot rapidement.
Possesseur d'une aimable femme
Aux grands yeux noirs, à la belle âme,
A taille fine, aux PIEDS MIGNONS,
A longue et brune chevelure,
Et de la plus charmante allure
De la tête jusqu'aux talons:
Esprit juste, humeur gaillarde,
Disant bien, et non babillarde,
Bref en tout point de bon aloi,
Faite à croquer, morceau de roi;
Voilà, je crois, suffisant titre
Pour obtenir place au chapitre
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Cette strophe fait partie d'une très jolie pièce, intitulée: Requête d'un mari polonais, propriétaire d'une jolie femme, au prince de Repnin, ambassadeur, etc.
Post equitem sedet atra cura.
Hor. l. III, od. I.
Le chagrin monte en croupe, et galope avec lui.
Boil.
Nec pretium stupri gemmas, aurumque.
Ovid.
Cùmque ita pugnaret, tanquam quæ vincere nollet.
Amor. l. I, eleg. 5.
[21] «Une femme estimable de cette capitale, tendrement aimée d'un jeune officier, avait toujours su le contenir dans les bornes du respect: sa passion, loin de diminuer, à la longue s'épura; il aurait préféré la mort à la perte d'un sentiment délicieux qui fesait son bonheur, et ce bonheur même était moins cher à son cœur que l'honneur de sa belle maîtresse. On raconte qu'un jour il la trouva sommeillant sur un lit de repos. Elle n'était vêtue que d'un déshabillé fort leste: sa jupe courte et sa situation découvraient la moitié d'une jambe tournée par l'amour; une mule délicate contenait le bout d'un petit pied à croquer; sa gorge, légèrement gazée, montrait une agitation voluptueuse. D'abord il fut très peu maître de ses sens; un frémissement tumultueux annonça les désirs; mais bientôt ses principes prirent le dessus, il se dit à lui-même:—Voilà l'heure du berger; je triompherai peut-être; mais voudrais-je ôter à mon amie la douce confiance qu'elle a prise en moi? et pour un plaisir le plus séduisant de tous, il est vrai, le plus vivement désiré, mais que le même instant voit naître et mourir, la priver de son bien le plus précieux?—Il remportait la victoire, lorsque ses yeux venant à se fixer sur cette mule mignone, il sentit renaître des transports si vifs.... Il les vainquit; mais ce ne fut pas sans les plus terribles combats.... Il sort et rentre avec bruit; la belle s'éveille; il ne fit pas difficulté de lui tout confier; et depuis ce moment l'estime qu'elle lui témoigne l'a bien dédommagé du sacrifice. Mais cet homme, vainqueur de désirs si pressants, ne put résister à l'envie de posséder cette mule perfide, qui faillit perdre celle qu'elle embellissait; il l'obtint après quelque résistance. En lui permettant de la prendre, cette vertueuse femme lui dit:—Puisque c'est une faveur à laquelle vous donnez un prix et que je puis vous accorder sans manquer à mon devoir, j'y consens avec plaisir; gardez-la pour vous applaudir d'avoir préféré votre amie à vous-même; je ne puis me rappeler sans frémir l'état où j'étais lorsque vous m'avez surprise: il est presque sûr que vous auriez subjugué mes sens; mais il est plus certain encore que si vous eussiez abusé de l'occasion, je vous mépriserais, et ne vous aurais revu de ma vie.»
(Note du jeune officier auquel je dois cet ouvrage. On m'assure que ce trait est de lui-même avec la jeune veuve sur la toilette de laquelle il le trouva; et je le crois bien, ce n'est pas la première fois qu'une petite-maîtresse et un jeune militaire ont donné des exemples de vertu.)
DEUXIÈME PARTIE.
[22] Dans le livre de Beaudoin, Des Chauss. ancienn., on voit que de tout temps les hommes et les femmes ont été recherchés dans leur chaussure. On alla jusqu'à en porter d'or ou d'argent, enrichies de pierreries, selon Plaute, Quinte-Curce, Sénèque, Eutrope, Lampride, Spartien; en parlant d'Alexandre, de Caligula, de Dioclétien et d'Héliogabale. Pline dit la même chose des particuliers. Gemmas non tantùm crepidarum obstragulis, sed et totis socculis addunt. Plinii, l. IX.
Omnia sed vereor (quis enim securus amavit?)
Ipsa nihil (dixit), pavido lingua retenta metu.
Amor. l. I.
[25] J'ai connu particulièrement un jeune homme subjugué par une passion violente qui l'a rendu malheureux, et qui peut-être fut la seule cause de sa mort prématurée. La manière dont il fit connaissance avec sa maîtresse, la force que prit sur-le-champ son amour, tout est également singulier. Voici comme lui-même m'a raconté son histoire.
«Je suis d'une petite ville du Nivernois; j'en sortis dès l'enfance, et je fus élevé à Paris: à dix-huit ans, je revins dans la maison paternelle. On comptait me fixer dans ma patrie; en peu de temps je fus lié avec tous les jeunes gens de mon âge; mais un seul devint mon ami; nous étions inséparables. Il avait une sœur de seize ans, faite au tour, avec un de ces minois que les ris et les grâces accompagnent toujours. Je l'avais vue quelquefois en passant, et je n'avais ressenti pour elle rien de plus que pour les autres jeunes beautés de ma ville. Un jour, mon ami manquait à une partie que j'avais formée avec d'autres; je n'aurais pas eu de plaisir sans lui; je courus le chercher; il était sorti, mais sa jeune sœur me reçut. Elle me fit des questions plaisantes; ce que j'y répondais la fit rire à son tour, mais avec tant de grâces... le coloris qui vint nuancer ses joues de lis la rendit ravissante... je voulus lui dérober un baiser; elle se défendit en riant toujours; je le lui ravis; ses ris redoublèrent; je recommençai; elle rit encore... je fus téméraire... elle était innocente; j'osais en douter... ses sens s'émurent... elle s'égare, et je triomphe... Elle était si belle!... je sentis naître au fond de mon cœur cet amour dont rien n'a pu jusqu'à présent diminuer la violence. Que ce moment fut heureux! mais ç'a été le seul dont j'aie joui. En revenant à elle, ses larmes coulèrent; je m'y étais attendu; je voulus la consoler, en lui jurant une constance éternelle et l'assurant que dès le jour même j'allais travailler à notre union. Quel fut mon étonnement, lorsque, s'étant un peu remise, elle me dit du ton de l'indignation:—Monstre, sors de ma présence! toi! devenir mon époux et mon maître! ah ciel! plutôt la mort: sois, tu m'as avilie; mais je t'abhorre: je ne refuserai pas la main d'un autre; je ne le tromperai pas non plus... mais toi!... Un torrent de larmes lui coupa la voix. J'étais à ses genoux durant ces cruels reproches: ni ma soumission ni ma douleur ne purent la toucher; je fus contraint de sortir. J'espérais cependant; j'instruisis son frère; je fis parler mes parens: nous étions parfaitement assortis; on compta pour rien la répugnance qu'elle montrait; tout fut conclu en quelques semaines. Les familles étaient assemblées; on dressait les articles; la jeune personne entre, demande qu'on l'écoute, étonne tout le monde par le récit circonstancié qu'elle ose faire de ce qui s'est passé, embrasse les genoux de sa mère, et la conjure de la garantir du malheur de voir à tout moment le cruel ennemi qui souilla son innocence. On voulut savoir si elle avait un amant aimé; mais elle assura qu'elle haïssait tous les hommes en moi, et qu'aucun ne lui avait encore plu. On dissimula, pour ne pas l'aigrir, mes parens et les siens desiraient cette union; ils différèrent. Adroitement, on me procurait mille occasions d'être utile ou nécessaire à ma jeune maîtresse; je faisais naître les plaisirs sous ses pas; elle s'y livrait, tant qu'elle en ignorait la source: la connaissait-elle; on la voyait fuir avec horreur. Malgré ces rigueurs, tant que ses parens ont vécu, l'espérance me soutint. J'essayai, pour guérir sa haine, le remède de l'amour; je m'éloignai: on me rappela, lorsqu'on s'aperçut qu'elle avait repris sa première gaieté, que la nouvelle de mon retour fit évanouir. Je perdis alors l'espoir de la toucher. Ses parens moururent: devenue maîtresse d'elle-même, elle consentit d'épouser un homme qu'elle n'avait jamais vu, qui la recherchait précisément à cause de l'idée bizarre qui l'avait portée à me détester. Ce coup fut le dernier, mais il était terrible.... Je quittai ma patrie pour toujours...»
Cette note est de l'auteuromane.
[26] Les goûts sont partagés sur ce qui rend le soulier d'une femme plus agréable à la vue. L'auteur d'Émile (VIe partie, p. 155 et 297) prétend qu'un talon élevé fait paraître le pied petit, et l'importance de l'observation fait qu'il y revient deux fois. Il s'ensuivrait de là que, les petits pieds étant les plus jolis, le goût général devrait être pour les talons élevés; car les femmes dont le pied est petit voudront le faire paraître encore plus mignon, et celles qui l'ont un peu grand seront charmées de faire éclipser ce défaut. Cependant nos petites-maîtresses portent souvent des talons bas: il serait absurde de dire qu'elles sont insensibles au précieux avantage dont cette chaussure les prive. Qu'elles savent habilement regagner d'un côté ce qu'elles semblent abandonner de l'autre! La démarche devient plus légère, le port plus gracieux et plus dégagé, l'action plus libre. Mais ce n'est pas tout; on donne aux tendrons de treize à quinze ans des talons bas; les tendrons plus âgés, avec un regard timide, une adroite naïveté et des talons bas, ne se flatteraient-ils pas de prolonger l'âge de l'innocence? (Jeunes gens, défiez-vous de toute femme qui, vivant dans le monde, veut paraître Agnès à vingt ans!) Quand il faut opter entre deux avantages, on choisit le plus grand: l'on préfère un air enfantin aux grâces d'un petit pied. A-t-on raison ou tort? Je ne décide rien. Je dirai seulement qu'un talon haut va bien aux grandes femmes, est avantageux à celles d'une taille médiocre, nécessaire aux petites, et ridicule seulement pour les naines. En général, il donne trop de grâces, pour ne le pas conseiller. Mais soit que l'on porte talon haut ou bas, il faut donner toute son attention à ne se pas déformer le pied par une chaussure gênante.
Nota.—Tout ce qu'on vient de lire s'est trouvé dans les papiers du dévot Apatéon.
[27] Virgile, dans l'Énéide, en fait un usage admirable; ce poète inimitable a bien senti que le seul moyen de soulager la douleur de son héros et de le préparer à se livrer bientôt aux douceurs de l'amour était de faire couler ses larmes, par le récit de ses malheurs: c'est par là qu'il va le disposer à répondre à la tendresse de Didon.
Infandum, regina, jubes renovare dolorem...
Quis, talia fando, temperet à lacrymis?
[28] Combien ne se trouve-t-il pas de nos jours, et dans tous les états, de mères semblables à celle que Pétrone a peinte dans la mordante satire qu'il a faite des mœurs de son siecle, de la cour et de l'empereur! (Pétrone, tome II, pages 277 et suiv.)
Τω δ'ετερον μεν εδωκε πατηρ, ἑτερος δ'ανενευσε.
(Tô d'eteron men edôke patêr, heteros d'aneneuse.)
Il. π. υ. (p. u.) 260.
Audiit, et voti Phœbus succedere partem
Mente dedit, partem volucres dispersit in auras.
Énéid. l. XI, v. 794-795.
........ O when meet now,
..... in love, and mutual honor join'd!
Milton's book VIII, v. 58-59.
TROISIÈME PARTIE.
Ubi nox abiit, nec tamen orta dies.
Amor. l. I.
[32] On dit que la petite-maîtresse, auteur en partie de cet ouvrage, fut vivement frappée à la lecture de ce récit de sœur Rose, et qu'il lui donna la pensée de faire confidence au public d'une petite étourderie de sa jeunesse, qui n'eut que d'heureuses suites. J'ai conservé son style et jusqu'à son orthographe: dans notre langue, elle devient de jour en jour si arbitraire, que chacun peut avoir la sienne. Ce serait même un bien. Quel avantage et quelle grâce n'aurait pas une manière d'écrire, qui peindrait aux yeux l'agréable grasseyement des auteurs femelles: la prononciation volubile et précipitée de l'auteur petit-maître: le ton grave, pédantesque, ou boursouflé des feseurs de dissertations, de panégyriques, d'histoires modernes, d'éloges, ou d'oraisons funèbres! On pourrait, ce me semble, inventer quatre nouvelles ponctuations, qui faciliteraient infiniment cette utile méthode: le point précipitatif, le ralentissant, l'indignatif, l'attendrissant [I]. Quelle clarté ne répandraient-ils pas dans le discours! et surtout que de parenthèses ils remplaceraient dans nos comédies nouvelles, nos romans du jour et nos opéras-bouffons!... Mais je m'aperçois que je disserte... Qu'on me pardonne la digression; on en fait quelquefois de moins utiles. J'avertis seulement encore que, partout où l'auteur prononce la lettre r avec grâce, il a eu soin de la mettre double.
[I] Joignez-y des demi-virgules ou soupirs, qui serviraient dans mille occasions où la virgule est trop forte.
Z'us dans ma zeunesse le sorrt de prresque toutes les filles des zans aises, ausquelles les merrcenairres institutrrices des couvans serrvent de mèrres. Ze fus confiée à des bénédictines, dont la maison êt tout prroçe d'une terrre où çaque anée mes parrans venaient passer la belle saison. Oh! c'êt une sote çose que l'éducation de couvant! Mon Dieu! come on devient, dans ces maisons, bégueules, imperrtinantes et vaines! An vérrité, z'ai u toutes les peines du monde à me garrantirr de ces défauts-là. Mais ce n'êt pas ce que ze veus dirre. Ze ne m'i déplus pas, tant que mon âme, brrute ancorre, anferrinée dans la maçine come une crrisalide dans son cocon, n'ut point éprrouvé cette douce flâme que prroduit le çoc des passions. Ze crrois que ce fut-là le feu dont se serrvit Prrométée pourr animer sa statue. Zusqu'à l'âze heurreus où se fait le dévelopemant de nos facultés, nous vézétons, nous grrandissons sotemant; nous fesons des poupées et des çapelles. C'êt aussi come ze vécus zusqu'à prrês de douze ans, qu'un zeune abé, cousin de notrre prrieurre, me dona bien d'autrres idées. Sa vue me fit haïrr un lieu où des barrreaux nous séparraient, où des surrveillans nous éclairraient touzourrs. Ze ne saurais mieus fairre son porrtrrait, qu'an disant qu'il était hardi come un paze, entrreprrenant come un mousquetairre, hipocrrite en public come un ignacien, impudant dans le parrticulier come tous ses parreils, et beau come l'amourr: à toutes ces brrillantes calités, azoutés qu'il n'avait que vingt ans. Ze le vis souvant au parrloirr, où z'acompagnais prresque touzourrs la prrieurre lorrsqu'elle rrecevait ses visites. Il me convint; ze lui plus; nous lumes dans les ieus l'un de l'autrre que nous désirrions de nous antrretenir sans témoin. Un zourr, on m'averrtit qu'une de mes parrantes que z'aimais beaucoup m'atand au parrloirr; z'y courrs; et ma parrante, c'était... monsieur l'abé déguisé an fille; mais si çarrmant sous cet habit, avec notrre rrouze, notrre blanc, nos pompons et nos mouçes, qu'on voyait bien qu'il était plus fait pourr tout cela que nous-mêmes. Il prrévint adrroitemant ma surrprrise, et me dit des çoses que ze trrouvai les plus zolies du monde. Cet entrretien me fit bien rrêver lorrsque ze fus seule!... Mais laissons l'aimable abé, que trrois anées de déguisemans, de prropositions et de soupirrs n'avaient pas plus avancé que le prremier zourr.
«Z'étais la plus zeune de trrois filles: dês l'anfance on me destina à fairre à la forrtune de mes aînées le sacrrrifice de ma liberrté et de mon bonheurr. On atandait impaciamant que z'usse ateint l'âze prrescrrit: il arrriva: z'étais devenue plus belle, plus énemie d'une éterrnelle clôturre, plus amourreuse du zeune abé. On me fit antandrre qu'il falait prrandrre l'habit de novice. Ze ne conaissais pas le monde; et ze l'aimais! comant ça se faisait-il? Ze n'an sais rrien; mais ça était. Ze rrépugnai; on me prressa: z'averrtis l'abé par un billet, il vint: ze pleurrais; il sourriait, an me trraitant d'anfant. «Z'atandais ce momant, me dit-il, pourr vous mettrre à la rraison, et vous prroposer un arrranzemant que ze médite depuis longtams.—Eh! quel êt-il?—C'êt un prrozet qui vous garrantirra de ce que vous rredoutés.—Expliqués-vous donc vite.—Z'ai pansé qu'il falait sorrtir de votrre monastèrre, et...—Le pourrrais-ze!—Oui, si vous le voulés.—Oh! de tout mon cœurr.—C'êt au mieus: tenés-vous prrête ce soirr: gagnés le zarrdin: trrouvés-vous à onze heurres et demie prrécises à la porrte qui done sur la campagne: soyés atantive au signal...» Ze fis ce qu'il me disait: on vient me prrendrre: et voilà mon étourrdie, qui se laisse enlever, et s'abandone à la discrrétion d'un home, pour se dérroberr à la barrbarrie de ses parrans... Mais... (Admirrés un peu ce coup du sorrt!) dans le momant que l'on me porrtait dans la çaise, mon pèrre, accompagné d'un vieil officier de ses amis, venait de souper dans un çâteau voisin, et s'avise de se trrouver là. Ils ont vu escalader le murr du couvant: ils ne doutent pas que ce ne soit une expédition amourreuse; d'avance ils an rrient de tout leurr cœurr: ils s'aprroçent sans brruit: ils ne voulaient que s'amuserr un momant de la frrayeurr qu'ils allaient causer... La zoie nè fut pas de longue durrée: mon pèrre surrtout, an me rreconnaissant, fit une exclamacion qui me fait encorre frrissoner. Ce n'était pourrtant rrien que ça. Quand, à trraverrs son déguisemant, mon pèrre rreconut l'abé, sa furrreurr n'eut plus de borrnes; c'était fait de notrre vie, si son vieil ami ne l'ût modérré. Cet honête-home était veuf depuis trrente ans: dês qu'il sut que la haîne du cloîtrre, plutôt que l'amourr, m'avait déterrminée à prrandrre la fuite, il s'offrit de rréparrer le mal: il était bien sûrr qu'il ne pouvait ancorre m'êtrre rrien arrrivé: ze lui parrus zolie: il me rrandit le serrvice de m'épouser, sans dot, et de m'avantazer considérrablemant. Il ne s'en tint pas là: durrant sa vie, z'an fut bien trraitée, mieus encorre à sa morrt, qui me laissa riçe et maîtrresse de moi-même au bout de deux ans. Pour le pauvrre abé, ze le crois au séminairre.
«Voilà come une inzuste contrrainte faillit de me perrdrre de deux manièrres, dont z'avais cepandant çoisi la moins irrréparrable. Mais que serrais-ze devenue, sans le vieil officier?...»
[33] Les parents qui contraignent leurs enfants à se marier contre leur inclination commettent une imprudence qui peut avoir de très fâcheuses suites: mais ceux qui les condamnent à entrer de sang-froid dans un état dont le père fut l'enthousiasme, et la mère la stupidité, sont des monstres plus exécrables que les adorateurs de SATURNE et de MOLOCH. Cet abus abominable de leur autorité brise les liens des enfants, et les dispense de ce qu'ils leur devaient: c'est à la nature révoltée de venger la nature outragée. (M. Kathégètes.)
[34] Effugium reperire alterius quære malo.
[35] Nous somes dans un tams où l'on écrrit beaucoup surr la petite-vérrole, où l'on dispute pour et contre l'inoculation. Des deux côtés, c'êt moins la vérrité que l'on rreçerrçe, qu'à zeter un rridicule sur les adversaires. Dût le zanrre humain êtrre prrive d'un secourrs utile, qui le garrantirrait d'un fléau destrructeurr de ses deus plus prrécieus avantazes, la vie et la beauté, l'anti-inoculateurr voudrrait anéantirr l'inoculacion. Pourr moi, ze ne parrle que d'aprrês mon expérriance; z'ai été inoculée, et ze m'an suis trrouvée forrt bien... A prropos d'inoculation, ze me rrapelle que mon médecin me laissa, il i a quelques zourrs, une lettrre de l'orracle de notre littérrature. Ce grrand home, orrizinal an tout, sugzerre un moyen nouveau pourr extirrper une maladie l'effrroi du beau-sexe et des petits-maîtrres; parr la même occasion, il panse qu'on pourrrait aussi doner la çasse à la grrosse sœurr... On zuzerra mieus de tout ça en lisant sa lettrre même.
Au château de Ferney, le 22 avril 1768.
«Je crois, monsieur, que don Quichotte n'avait pas lu plus de livres de chevalerie, que j'en ai lu de médecine. Je suis né faible et malade, et je ressemble aux gens qui, ayant d'anciens procès de famille, passent leur vie à feuilleter des jurisconsultes, sans pouvoir finir leurs procès. Il y a environ soixante-quatorze ans que je soutiens, comme je peux, mon procès contre la nature. J'ai gagné un grand incident, puisque je suis encore en vie, mais j'ai perdu tous les autres, ayant toujours vécu dans les souffrances.
«De tous les livres que j'ai lus, il n'y en a point qui m'ait plus intéressé que le vôtre. (L'Histoire de la petite vérole, par m. P***.) Je vous suis très obligé de m'avoir fait faire connaissance avec le Rhazès. Nous étions de grands ignorants et de misérables barbares, quand ces arabes se décrassaient. Nous nous sommes formés bien tard en tout genre, mais nous avons regagné le temps perdu. Votre livre surtout, monsieur, en est un bon témoignage; il m'a beaucoup instruit: mais j'ai encore quelques petits scrupules sur la patrie de la petite vérole. J'avais toujours pensé qu'elle était native de l'arabie-déserte, et cousine germaine de la lèpre, qui appartenait de droit au peuple juif, peuple le plus infecté en tout genre qui ait jamais été dans notre malheureux globe.
«Si la petite vérole était native d'égypte, je ne vois pas comment les troupes de Marc-Antoine, de César, d'Auguste et de ses successeurs ne l'auraient pas aportée à rome. Presque tous les romains eurent des domestiques égyptiens, vernanopi; ils n'en eurent jamais d'arabes. Les arabes restèrent presque toujours dans leur grande presqu'île jusqu'au tems de Mahomet. Ce fut dans ce tems que la petite vérole commença à être connue. Voilà mes raisons; mais je me défié d'elles, puisque vous pensez différemment.
«Vous m'avez convaincu, monsieur, que l'extirpation serait três-préférable à l'inoculation. La difficulté est de pouvoir mettre une sonnette au cou du chat. Je ne crois pas les princes de l'europe encore assez sages, pour faire une ligue offensive et défensive contre ce fléau du genre humain. Mais si vous obtenez des parlemens du royaume qu'ils rendent quelques arrêts contre la petite vérole, je vous prierais aussi (sans aucun intérêt) de présenter requête contre sa grosse sœur. Vous savez que le parlement de paris, en 1497, condamna tous les vérolés qui se trouveraient dans la banlieue, à être pendus. J'avoue que cette jurisprudence était fort sage, mais elle était un peu dure, et d'une exécution difficile, sur-tout avec le clergé, qui en aurait apelé ad apostolos.
«Je ne sais laquelle de ces deux demoiselles a fait le plus de mal au genre humain; mais la grosse sœur me paraît cent fois plus absurde que l'autre. C'est un si énorme ridicule dans la nature, d'empoisonner les sources de la génération, que je ne sais plus où j'en suis quand je fais l'éloge de cette bonne mère. La nature est très-aimable et très respectable sans doute, mais elle a des enfans bien infâmes.
«Je conçois bien que si tous les gouvernemens de l'europe s'entendaient ensemble, ils pourraient à toute force diminuer un peu l'empire des deux sœurs. Nous avons actuellement en europe plus de douze cens mille hommes qui montent la garde en pleine paix. Si on les employait à extirper les deux virus qui désolent le genre humain, ils seraient du moins bons à quelque chose. On pourrait même leur donner encore à combattre le scorbut, les fièvres pourprées et les autres faveurs de ce genre que la nature nous a faites.
«Vous avez dans paris un hôteldieu, où règne une contagion éternelle; où les malades, entassés les uns sur les autres, se donnent réciproquement la peste et la mort. Vous avez des boucheries dans de petites rues sans issue au milieu de la ville, qui répandent en été une odeur cadavéreuse, capable d'empoisonner tout un quartier. Les exhalaisons des morts tuent les vivans dans vos églises, et les charniers des innocens, ou saint-innocent, sont encore un reste de barbarie, qui nous met fort au-dessous des hottentots et des nègres.
«Cependant personne ne pense à remédier à ces abominables abus. Une partie des citoyens ne songe qu'à l'opéra-comique; la Sorbonne n'est occupée qu'à condanner Bélizaire et à danner l'empereur Marc-antonin. Nous serons longtemps fous et insensibles au bien public. On fait de tems en tems quelques efforts, et on s'en lasse le lendemain; la constance, le nombre d'hommes nécessaires et l'argent manquent pour tous les grands établissemens; chacun vit pour soi. Sauve qui peut est la devise de chaque particulier. Plus les hommes sont inattentifs à leur plus grand intérêt, plus vos idées patriotiques m'ont inspiré d'estime.
«J'ai l'honneur d'être, etc. V. g. o. d. l. c. d. R.»
[36] O constance! tu suffirais seule pour le bonheur des humains! Pourquoi n'es-tu pas fille de la nature?... Mais que dis-je! la constance est la vertu des dieux. Mortel, elle peut te rapprocher de la divinité: conçois quel est son prix! (Le vieillard Kathégètes.)
[37] «Ceux qu'on avait déclarés nobles d'origine, et surtout les grands mandarins, allèrent s'imaginer que leur sang était plus pur, plus analogue aux grandes vertus, etc.»
[38] Ce discours ne sent pas trop le marquis français.
... Timeo Danaos et dona ferentes.
Æneid, l. II, v. 49.
[40] Je ne suis pas garant de ce fait.
Quid faciam? superest præter amare nihil.
Ov. Heroïd.
[42] La vraisemblance est si visiblement violée, que je ne saurais me taire sans me faire soupçonner d'ignorance. L'homme a bien du goût pour l'absurde, ou, si l'on veut, le merveilleux! Cette histoire extrêmement récente en est déjà remplie: au bout d'un mois, j'en suis réduit à l'excuse de Virgile, PRISCA FIDES, etc. ON DIT. L'ignorant abbé et le petit-maître auront fait tout le mal. Ces aimables gens savent par cœur les doucereux et libres propos des toilettes, connaissent les modes, le ton, les manières, et rien du tout des loix de leur pays.
Tunc potui Medea mori bene...
Ovid.
Nam veræ voces tum demum pectore ab imo.
Ejiciuntur, et eripitur persona: manet res.
Lucr. II, v. 57.
[45] Je crois faire plaisir à mes lecteurs, de leur aprendre, que celle à qui le petit-maître confia cet ouvrage, vient d'épouser le jeune officier de qui je le tiens, et que depuis son mariage elle n'a plus de vapeurs, devient de jour en jour plus raisonnable, et se propose même de fixer son séjour dans la principale de ses terres, pour être plus à portée de faire du bien à ses vassaux.
Fin des notes.
TABLE DES MATIÈRES
| Pages | |
| Esquisse littéraire | 1 |
| Chapitre Ier.—Préface | 7 |
| Chap. II.—Très-singulier | 10 |
| Chap. III.—Qui n'en imposera pas au lecteur | 12 |
| Chap. IV.—Qui devrait être le premier. Où l'on fait connaître Fanchette | 17 |
| Chap. V.—Instructions placées à propos | 19 |
| Chap. VI.—Aparences trompeuses | 25 |
| Chap. VII.—Danger qu'on aura prévu | 29 |
| Chap. VIII.—Par bonheur! | 32 |
| Chap. IX.—Par hazard | 36 |
| Chap. X.—Ressource inattendue | 41 |
| Chap. XI.—Reviendra-t-il? | 46 |
| Chap. XII.—Nouvelle conquête: S'en réjouira-t-on? | 50 |
| Chap. XIII.—C'en est trop d'un | 55 |
| Chap. XIV.—Où tout le monde est content, sans en avoir sujet | 60 |
| Chap. XV.—Comme Fanchette intéroge son cœur | 65 |
| Chap. XVI.—Où le pied de Fanchette soumet tout | 68 |
| Chap. XVII.—Qui doit avoir de grandes suites | 73 |
| Chap. XVIII.—Foule d'amans | 76 |
| Chap. XIX.—Où Fanchette est modeste et généreuse | 82 |
| Chap. XX.—Le pied lui glisse: elle va tomber | 85 |
| Chap. XXI.—Fanchette perd une de ses mules | 90 |
| Chap. XXII.—Présens qui deviendront fameux | 97 |
| Chap. XXIII.—Toutes vérités ne sont pas bonnes à dire | 101 |
| Chap. XXIV.—Péril qui fera trembler | 105 |
| Chap. XXV.—Évènement fatal | 111 |
| Chap. XXVI.—Reflexions | 115 |
| Chap. XXVII.—Danger plus grand que tout ce qu'on a vu | 119 |
| Chap. XXVIII.—Nouveau désespoir | 125 |
| Chap. XXIX.—Il y a du remède à tout | 130 |
| Chap. XXX.—Ce qui console les amans affligés | 135 |
| Chap. XXXI.—Qui surprendra | 141 |
| Chap. XXXII.—Comme un dévot oprime l'innocence | 147 |
| Chap. XXXIII.—Le succés ne suit pas toujours le crime | 150 |
| Chap. XXXIV.—Qui n'est pas inutile | 155 |
| Chap. XXXV.—Étrange convention | 160 |
| Chap. XXXVI.—Secours dangereux | 163 |
| Chap. XXXVII.—Où les morts ressuscitent | 167 |
| Chap. XXXVIII.—Le calme suit la tempête | 174 |
| Chap. XXXIX.—Nouveaux personnages | 183 |
| Chap. XL.—Où l'on ne trouve rien de ce que l'on attend | 198 |
| Chap. XLI.—Où l'on trouve ce qu'on n'attend pas | 202 |
| Chap. XLII.—Qui doit instruire de bien des choses | 206 |
| Chap. XLIII.—Où la mule de Fanchette fait un beau rôle | 216 |
| Chap. XLIV.—Scènes frapantes | 221 |
| Chap. XLV.—Qui pouvait mener loin | 226 |
| Chap. XLVI.—Comme se venge un tartufe | 230 |
| Chap. XLVII.—Qui fera plaisir | 236 |
| Chap. XLVIII.—Où les atrocités retombent sur leurs auteurs | 240 |
| Chap. XLIX.—Fanchette recouvre sa mule bleu-céleste | 246 |
| Chap. L.—Nouvel enlèvement | 254 |
| Chap. LI.—Obstacle qu'on n'attendait pas | 256 |
| Chap. LII.—Bibi | 262 |
| Chapitre dernier.—Plus heureux qu'on ne pense | 266 |
| Notes | 275 |
PETITS CONTEURS DU XVIIIe SIECLE
Publiés avec notices bio-bibliographiques
par Octave Uzanne
EN VENTE:
Contes de l'abbé de Voisenon, 1 vol.
Contes du chevalier de Boufflers, 1 vol.
Facéties du comte de Caylus, 1 vol.
Contes dialogués de Crébillon fils, 1 vol.
Contes de Paradis de Moncrif, 1 vol.
Contes du chevalier de la Morlière, 1 vol.
Contes de Pinot Duclos, 1 vol.
Contes de Jacques Cazotte, 1 vol.
SOUS PRESSE:
Contes du baron de Besenval.
EN PRÉPARATION:
Fromaget,—Godard d'Aucourt.
Cette collection formera douze volumes.
Nota.—Six planches à l'eau-forte, pour l'illustration de chacun de ces ouvrages, paraîtront successivement.—En vente: Voisenon, Boufflers, Caylus et Crébillon fils.