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Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose

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CHAPITRE XXXV
Étrange convention.

Si le zêle le plus ardent, l'amitié la plus active ne font pas éviter les fausses démarches, ô dieu! dans quels écarts ne donneront pas de tièdes conducteurs! de quelles horreurs ne se rendront pas coupables, des mères voluptueuses, avares [28], corrompues!

Un matin le comte d'A*** était venu trouver Néné. «Je connais la retraite de monsieur Apatéon, lui dit-il; je puis vous l'indiquer, et tirer Fanchette de ses mains: mais vous sentez combien il serait ridicule à un homme comme moi, de ne travailler que pour votre petit Satinbourg: la jeune Florangis est trop belle, pour qu'on l'oblige sans intérêt... Vous m'entendez... Je ne m'opose pas qu'il l'épouse: on peut s'arranger de façon qu'il n'en sera pas moins heureux... Réfléchissez-y... Apatéon la tient bien; et sans moi, je doute que jamais vous puissiez la revoir... Je vous dirai de plus que je n'aurais pas besoin de votre aveu pour enlever Fanchette: mais j'ai horreur d'un procédé semblable à celui du marquis de C***: je ne veux que ce que l'on me donne: j'espère tout du pouvoir que vous avez sur l'esprit de votre pupille: vous lui ferez aisément envisager, que dans la vie il se trouve des circonstances, où l'on cède une partie, pour sauver le tout. Je vous donne un jour pour vous décider: demain à pareille heure, je viendrai savoir votre résolution.» Il sort en achevant ces mots. Et qui fut bien embarrassée, c'était la bonne gouvernante. «Ma chère Fanchette! disait-elle en pleurant, quel présent fatal le ciel vous a fait, en vous formant si belle!... Cependant Apatéon va ravir ce que nous refuserons au comte, et cela, sans fruits pour elle que la douleur... Qu'osé-je penser, malheureuse!... Et les voilà tous ces hommes cruels! ils sont parjures, perfides, ou nous vendent leurs services au prix de ce que nous avons de plus précieux... je n'en connais qu'un qui mérite d'être aimé; et c'est celui-là que l'on veut que je trompe... Ah! quand je m'y résoudrais, l'aimable Florangis, plus vertueuse encore qu'elle n'est belle, préférerait la mort au deshonneur.» Agitée de mille pensées différentes, Néné sort, pour aller consulter Satinbourg lui-même, et prendre ensemble des mesures pour adoucir le comte, tâcher de le piquer de générosité, ou prévenir l'effet de ses mauvais desseins. Elle ne le trouva pas. On lui dit qu'il était parti de la veille à cheval: et la pauvre gouvernante, dépourvue de conseil, l'esprit troublé par la crainte, l'âme accablée par la douleur, se trouve dans un embarras plus grand encore.

Le comte ne manqua pas de paraître le lendemain à l'heure marquée: il presse la bonne de prendre un parti; il lui fait craindre pour Fanchette des malheurs inattendus... Il lui répète sur-tout, que ce n'est que par délicatesse, qu'il veut devoir à son consentement les faveurs de mademoiselle Florangis. Et pour lui prouver qu'il sait parfaitement les moyens de parvenir jusqu'à elle, il lui montre une de ses jolies mules, en l'assurant qu'il s'en est emparé durant le sommeil de Fanchette. A cette vue, à ce récit, la tête tourne à la gouvernante. «Je vous promets tout ce qui dépendra de moi, s'écrie-t-elle, en fondant en larmes: mais jurez-moi sur votre honneur une discrétion à toute épreuve.» Le comte s'engagea par mille sermens. Et rien n'empêche de croire qu'ils ne fussent sincêres.

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