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Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose

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CHAPITRE XLVII
Qui fera plaisir.

Toute cette aimable jeunesse était au parloir, lorsque sœur Rose parut. Valincourt se tenait derrière les autres. «Chère amie, levez ce voile, dit la jeune Agathe: mon époux et monsieur (ajouta-t-elle, en montrant Valincourt) sont des frères aussi tendres pour vous, que monsieur de Lussanville.» Et sœur Rose, qu'on ne nommera plus qu'Adélaïde, se prête au désir de la jeune épouse de Satinbourg. Le premier objet qui s'offrit à ses regards, ce fut son amant. Ses yeux se remplissent de larmes: elle pâlit; et sentant que ses genoux se dérobent sous elle, elle s'assied. Le cœur de Valincourt se déchira: il s'approche. Mais tous deux interdits, retenus par les motifs les plus puissans, n'osent prononcer un seul mot: ils ne s'intérogèrent et ne se répondaient que par des soupirs. Lussanville les regardait, pressait dans les siennes les mains de Fanchette, et l'entretenait tout bas, lorsque le vieillard Kathégètes arriva.

«J'ai d'étranges choses à vous communiquer, dit-il en prenant à part son élève: Votre oncle le financier, en retournant hier à la nuit d'un vide-bouteille à demi-lieue de la ville, fut attaqué par un homme, dont il venait de débaucher la femme: il a reçu deux coups mortels: on l'a raporté chez lui baigné dans son sang. A force de soins, il a recouvré pour quelques momens la connaissance. Comme il vous croyait perdu, il a disposé de tout son bien en faveur de votre sœur; ajoutant à son testament, qu'il assurait dans sa conscience, que les vœux de sa nièce n'avaient pas été libres; que sa sœur, en mourant, avait témoigné des remords de l'avoir contrainte; et qu'elle n'aurait désiré de vivre que pour réparer son crime: il prie les juges ecclésiastiques et séculiers d'avoir égard au témoignage d'un moribond, qui ne le rendait qu'à la vérité. Il n'a survécu que quelques minutes à cette déclaration. On est venu ce matin m'annoncer tout cela, un instant aprês que je vous eus quitté. Comme on devait juger l'affaire de la cassation des vœux de votre sœur dans la matinée, j'ai couru chez son défenseur, à qui j'ai communiqué le testament. Jamais rien ne pouvait se trouver plus à propos: votre tendresse pour votre sœur; votre désintéressement, que l'avocat a fait valoir, joint à ce témoignage de votre oncle, ont excité l'admiration de vos juges, et les ont attendris: votre sœur est libre: lisez; voilà le prononcé que l'on vient de me remettre.»

Lussanville, quoiqu'il ressentît vivement la triste fin de son oncle, ne pouvait contenir sa joie de voir les liens de sa sœur brisés: et lorsqu'on se fut assuré qu'on ne pouvait être entendu de personne du monastère, il tint ce discours à l'aimable Adélaïde: «Chère sœur, tu sais quels ont toujours été mes sentimens pour toi: ce fut avec un sensible regret que je te vis faire le sacrifice de ta liberté, et t'enchaîner par des sermens que ton cœur n'avouait pas. Mais, que pouvais-je faire?... Le ciel nous a privés de notre mère: je dois chérir son souvenir; elle m'aima... trop, peut-être, et ne fut pour toi qu'une marâtre. Tu te rappelles que le lendemain de ce jour funeste, je feignis d'avoir besoin de ta signature: je te priai de mettre ton nom sur plusieurs feuilles de papier blanc. Muni de ces choses nécessaires, mon gouverneur et moi nous agimes en ton nom, avec tant de secret, que nous avons fait casser tes vœux par un arrêt authentique, sans que personne s'en doute encore dans cette maison [42].—Ciel! quel bonheur! s'écrièrent à la fois Fanchette, Agathe et Satinbourg.—Dans cette affaire, je pouvais seul être ta partie; et je n'ai pris que la qualité de témoin en ta faveur: tes blancs-signés sont devenus entre mes mains et celles de monsieur Kathégètes, des réclamations, des requêtes aux supérieurs ecclésiastiques, aux cours souveraines: j'ai même, avant que je fusse détenu par de C**, su toucher notre prélat, et le disposer à me rendre ma sœur. Tout a réussi. Notre oncle, qu'un accident tragique vient de nous enlever, a contribué, dans ses derniers momens, à ta liberté; il a dévoilé les sentimens de ma mère, ses remords, l'aveu de la contrainte qu'elle avait exercée; par le même acte, il teste en ta faveur. J'ose entrevoir pour toi dans l'avenir une perspective heureuse. Cette fille charmante qui veut bien consentir à ma félicité, va rentrer auprès de toi: tout se prépare pour notre union; et le jour auquel j'épouserai mon amante, nous ferons signifier l'arrêt: vous sortirez toutes deux en même tems; nous serons inséparables.»

Ce ne fut pendant longtems que des félicitations à la tendre Adélaïde, qui cherchait à lire son sort dans les yeux de Valincourt. Le malheureux jeune homme était dans un état pénible, qui ne devait pas finir encore. Il se fesait tard; on se sépara. Fanchette, baignée des larmes d'Agathe, rentra dans son couvent. Lussanville s'éloignait à regret, suivi de son gouverneur et de Valincourt. Les nouveaux époux, portés sur les aîles des désirs, volèrent dans le temple de l'amour et de l'hymen; et la bonne Néné se garda bien de retourner chez Apatéon.

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