Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose
CHAPITRE XXVI
Réflexions.
«Hêlas! qu'une fille est insensée de sourire à ses attraits, lorsqu'une parure élégante en double l'éclat! Elle excite contre son innocence une foule d'ennemis: La finesse, la douceur, la violence, l'amour, ils vont tout employer pour la perdre. Faible et sans expérience, elle succombe, et devient un objet de mépris pour ceux qui l'ont séduite. O! mon père, que vous étiez sage, lorsque vous couvrites votre fille d'étofes grossières! vous la dérobiez, sous cette écorce désagréable, aux regards hardis des séducteurs. Ils dédaignent souvent une victime qui n'a rien de brillant: si l'on n'est pas admirée, fêtée, poursuivie, l'on n'a rien de piquant pour eux. Heureuse mille fois la jeune fille, que n'abandonne jamais une mère prudente et chérie! Elle coule, au sein de l'innocence, des jours fortunés et tranquilles: sa maman voit pour elle; elle lui fait éviter le danger, elle la préserve des discours trompeurs; elle la défend contre les téméraires: le vieillard hypocrite, et le jeune-homme fougueux n'osent l'aprocher: lorsqu'il en est tems, cette mère sage conduit elle-même par la main auprès de sa fille, l'aimable époux qu'elle lui destine. Lui seul a le privilége de l'entretenir: elle peut ne jamais écouter que lui seul... Et moi... triste objet de coupables desirs, j'ai vu le crime audacieux, épouvantable, prêt à m'arracher le seul bien qui me soit resté!... Pauvre Fanchette!... hêlas!... Ne suis-je pas bien à plaindre, ma chère Agathe?»
Telles étaient les réflexions de la belle Florangis, le lendemain de ce jour de trouble et d'alarmes, en ployant cette robe qui la parait si bien; en serrant ses jolies mules; en remettant dans leur boîte les bijoux de son amant. Et sa jeune compagne, en pleurant, lui donnait mille baisers.
Lorsque Fanchette eut ôté tous ces objets de devant ses yeux, la gouvernante arriva. Cette bonne femme profitait du premier moment de liberté, pour accourir auprès de sa pupille. «Ah! ma bonne, lui dit l'aimable Florangis, qui l'aurait pensé! j'étais si contente le matin! j'avais eu tant de plaisir à me parer! Je le fesais pour Lussanville, qui ne devait pas me voir, mais qui toujours est présent à mon esprit: et peu s'en est fallu, que ces dons si chers de celui que j'adore, n'aient été les témoins de ma honte.—Ma chère fanfan, lui répondit la bonne en la caressant, j'en frissonne encore. Aimable petite! quel malheur! et qui l'aurait prévu! Mais ton amant va revenir: nos lettres sont parties... il ne faut pas qu'il attende les deux années: je veux, crainte de nouveaux malheurs, vous voir mariés dês qu'il sera de retour. Il pourra gagner son tuteur.—Ma bonne, il ne le gagnera pas.—Il le faudra bien cependant: mille raisons m'engagent à presser votre union: l'accident d'hier a fait du bruit: monsieur Apatéon ignore la part que j'y prens: il m'a parlé de manière à me faire penser, qu'il soupçonne ma chère Fanchette d'être l'héroïne de cette tragique avanture: on vous a dépeinte: vous êtes si belle, qu'on ne peut guères s'y méprendre; et ce pied charmant, que tout le monde regarde comme unique, on ne l'a pas oublié; monsieur Apatéon l'aura reconnu. Je viens de prévenir votre maîtresse: elle ne doit plus souffrir que personne vous voie, pas même les femmes: Cependant nous en exceptons le jeune Satinbourg, auquel le service qu'il nous rendit hier, son empressement à nous secourir, et son zêle doivent faire accorder cette distinction.» Sans attendre la réponse de Fanchette, la gouvernante se hâta de la quitter, pour retourner chez le voluptueux vieillard.
«Ma bonne est imprudente, disait Fanchette, en la voyant sortir: Hélas! ne voit-elle pas que tous les hommes deviennent auprês de moi téméraires ou furieux.—Ah! mon amie, lui dit vivement la jeune Agathe, Satinbourg ne leur ressemblera pas.—Tu ne les connais pas, mon Agathe, ces hommes...» Et le jeune-homme se présente.
La présence d'Agathe rassurait Fanchette. «Me sera-t-il permis, mademoiselle, dit le jeune garçon marchand, de montrer tout l'intérêt que je prens à ce qui vous touche. Ne voyez en moi qu'un homme qui vous est entièrement dévoué: Non, mademoiselle, tous vos amans ne sont pas téméraires: il en est à quî vous inspirez le plus profond respect, aussi bien que le plus violent amour: Tel est celui qui maintenant a l'honneur de se présenter devant vous. Vous êtes la fille d'un confrère; je vous ai offert de vous rendre à l'état de vos parens: Je vous fais encore la même proposition; mais, si vous refusez d'être mon épouse, j'ose espérer que vous me permettrez de vous regarder comme une sœur chérie: et ce qui ne me serait pas permis au premier titre, je vous conjure de me l'accorder au second.» Fanchette ne fut jamais insensible aux bons procédés. Celui de Satinbourg la toucha. Elle lui découvrit l'état de son cœur, et l'honnête jeune-homme n'en parut pas refroidi. «Si jamais, ajouta-t-il, mademoiselle, le sort vous empêchait d'être à ce mortel heureux, souvenez-vous alors qu'il est un homme au monde qui vous adore, dont la félicité dépend de vous seule.» Et sans insister davantage, il se retira.
«Il est bien estimable, s'il est sincère, dit la jeune Agathe.» Fanchette lui répondit: «Ah! si tu voyais Lussanville!... comme il est tendre, respectueux, fidèle, généreux! et si tu savais tout ce que je lui dois!» Et l'aimable fille se retraçait la conduite de son jeune amant, lorsqu'il l'avait arrachée des mains du brutal financier.
Jeunes-gens, ah! daignez m'en croire; ce sexe charmant, injustement méprisé, plus qu'on ne le croit est ami de la vertu: pour une messalline, qui cherche, par une feinte modestie, à faire naître l'audace, et qui méprise quiconque n'est pas téméraire, il s'en trouve mille dont un procédé décent nous acquiert l'estime, et captive le cœur [25].