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Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose

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CHAPITRE XIV
Où tout le monde est content, sans en avoir sujet.

«Si j'avais prévu, mademoiselle, que le hazard me procurât aujourd'hui le bonheur de vous voir, je n'aurais pas écrit: je viens vous demander pardon de ma témérité... l'obtiendrai-je? les sentimens que j'ai montrés dans mon billet, dictés par l'honneur et par l'amour, me rendront-ils excusable? Pour vous prouver combien ils sont sincères, je consens à ne plus vous parler jusqu'à leur exécution. Permettez seulement que je m'offre quelquefois devant vous, soit aux temples, soit à la promenade; et daignez me dire, si je puis espérer de voir un jour couronner ma constance!... Je suis injuste de demander que vous vous expliquiez; je le sens: Eh-bien! permettez seulement que j'interprète votre silence. Deux années seront un terme bien long; mais si l'impatience que cette attente me causera, était partagée, que je serais heureux!... Vous ne répondez rien... Je me retire; et ce gage, que je vous laisse de ma foi, vous prouvera...—Je ne puis le recevoir, monsieur, intérompit Fanchette...» Et dans le moment la bonne et la marchande rentrèrent.

Leur surprise fut extrême, en apercevant le jeune-homme, qui, sans leur donner le tems de se remettre, répète ce qu'il venait de dire à la belle Florangis, remet entre les mains de la gouvernante une boîte fort riche, baise la main de sa maîtresse, dérange quelque chose sur une comode, et disparaît comme l'éclair, avant que Néné songe à refuser son présent, ou du moins à le lui rendre.

Dolsans ne savait si ce qu'il venait de voir et d'entendre, était un songe ou la réalité. «Fanchette, dit la bonne, comment ce jeune-homme vous connaît-il?» La marchande expliqua tout; la jeune Florangis donna la lettre, qui ne fut pas lue sans étonnement: la gouvernante ouvre sans hésiter la boîte de Lussanville: à l'entrée, l'on trouve une promesse de mariage bien signée, ensuite une bague, un fort beau diamant, des boucles d'oreilles, un colier, et tout le reste de la parure, le tout bien choisi, et plus beau que les bijoux qu'Apatéon lui-même avait donnés. Il n'était plus possible de rien renvoyer, puisqu'on ignorait la demeure du jeune homme. La marchande était inquiète; Dolsans paraissait desespéré; Fanchette réfléchissait; la bonne se déterminait. «Ouais, se disait Néné, voyons ceci: Fanchette est assez belle pour faire naître une passion durable: ce jeune homme sera dans peu maître de lui-même: il est riche: d'ailleurs il se fera connaître: ma chère fille aurait un rang digne de son mérite: quelle gloire pour elle! quelle joie pour moi! quel crève-cœur pour monsieur Apatéon!... Mais hêlas! les hommes sont si trompeurs! ne m'en ont-ils pas tous promis autant?... Bon! valais-je Fanchette, jeune, bien élevée, sage?...» De son côté, la marchande disait: «Mon neveu peut en trouver une plus riche, aussi vertueuse et qui ne balancera pas.» Et Dolsans: «L'univers entier ne m'offrira jamais une fille si touchante et si belle.»

«Oh ça! ma chère Fanchette, dit la bonne, il s'agit ici d'un choix qui doit dépendre de vous seule: ni madame, ni moi, ne devons parler pour ou contre aucun des deux...—C'est bien mon sentiment, intérompit la marchande.—Décidez-vous vous-même, reprit Néné, l'inclination ne doit point être gênée: vos amans sont tous deux également aimables; ils paraissent tous deux guidés par l'honneur: prononcez.—Ma bonne, répondit Fanchette, vous me tenez lieu de mère; je vous obéirai. Cependant...—Parlez.—Pourquoi m'obliger de prendre, si jeune encore, un parti d'où dépend le bonheur de mes jours? Souffrez qu'auparavant la raison m'éclaire: la lumière de son flambeau est encore en moi faible et tremblante: un gout imprudent pourrait me décider, un faux brillant me décevoir, et me préparer d'éternels regrets.» On convint que Fanchette avait raison. Dolsans même l'aprouvait au fond de son cœur. Il espérait beaucoup de ses soins, de la protection de sa tante, et plus encore de son amour. La bonne, la marchande et Dolsans sortirent. La première, ravie de joie emportait la boîte de bijoux, dont l'aimable Florangis l'avait priée de se charger; la seconde savait bien lequel de ses amans Fanchette préférait; et le jeune homme s'abandonnait à l'espérance.

Dolsans paraissait vingt-quatre ans. Il était brun, grand; ses yeux avaient quelque chose de trop vif; sa démarche était aisée: il avait la main belle, et se tenait bien. Sa physionomie était spirituelle; son air fin et pénétrant humiliait ceux qui l'approchaient: sa conversation était amusante et fleurie: il savait beaucoup, et paraissait s'en targuer un peu, quoiqu'il affectât d'être fort modeste. Son caractère le portait à la tendresse; mais son séjour en Italie l'avait rendu jaloux et défiant.

Lussanville, plus jeune, plus beau, plus riche, et non moins tendre, était fait pour aimer, et pour l'être à son tour. On voyait peintes sur son visage la franchise et la candeur; ses traits étaient mâles; son regard noble et doux: de longs cheveux châtains lui descendaient au-dessous de la ceinture; il avait le nez aquilin; la bouche apétissante et vermeille; le teint délicat; la jambe fine et faite au tour. Son âme était grande et généreuse; l'honneur et l'amour avaient seuls du pouvoir sur elle: il ne manqua jamais à sa parole donnée: il fut ami constant; amant respectueux, soumis; quelquefois malheureux, mais toujours fidèle.

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