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Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose

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CHAPITRE L
Nouvel enlèvement.

Ma chère Florangis, voici bien d'autres embarras: un oncle, dont jamais je n'avais entendu parler, tombe des nues pour venir nous tourmenter...—Que m'aprens tu, chère Agathe!—Oui, votre oncle, un monsieur Rosin: monsieur Delaunage qui nous quitte, vient de nous aprendre cette nouvelle.—Ciel! quel bonheur inattendu!—Réjouissez-vous!... vous ne savez pas encore...—Ah! que je le voie seulement.—Gardez-vous en bien!... Aprenez ses desseins, et que sa venue qui devrait nous causer à tous la joie la plus vive, ne nous aporte que de la tristesse. Votre oncle brûle d'envie de vous revoir: il a tout pouvoir sur vous: il ne consentira jamais à votre union avec monsieur de Lussanville...—Ah! dieu!...—Non: il a perdu sa femme et son fils unique, raporté des richesses immenses; il veut vous rendre maîtresse de toute sa fortune en vous épousant. Tels sont ses desseins.—Ma tendresse et mes larmes les feront changer.—Ne vous en flattez pas: il vous a vue, nous ne savons comment; il vous aime sans vous connaître. Il n'est qu'un moyen de vous délivrer tout-d'un-coup de mille tracasseries: monsieur de Lussanville ignore tout ceci: allons l'instruire: nous resterons chez lui tout le jour: cette nuit vous vous épouserez: demain nous irons voir votre oncle, qui n'ayant pas publié son retour assez tôt, n'aura rien à dire.» Fanchette, troublée, hésitait: Adélaïde se joignit à l'aimable Agathe, pour la déterminer.

Les deux amies sortaient pour se rendre chez la marchande de modes, d'où l'on devait faire avertir Lussanville et la bonne Néné: A la porte du couvent, un homme s'entretenait avec une jeune fille, qui prononça le nom de Valincourt: Fanchette et l'épouse de Satinbourg s'arrêtent, fixent la jeune personne: elle leur parut une de ces infortunées, qui se privent elles-mêmes du titre de citoyennes, et font à part une classe avilissante, exhalaison impure de la corruption des grandes villes: Agathe et Fanchette détournent la vue en rougissant pour elle. Cette fille était la petite Lolote, qui venait de reconnaître Rosin. Dans ce moment, les yeux du père de Valincourt rencontrent la belle Florangis. «Oui... c'est elle-même, s'écrie-t-il, elle a... voila cette jolie mule que je viens de remettre à l'aimable religieuse... Je n'ai pas encore examiné ses traits avec autant d'attention: quelle image ils me retracent!... si ç'allait être... Je ne laisserai pas échaper cette occasion de m'en éclaircir.» Ces dernières paroles frapent l'oreille de Fanchette: elle remet l'inconnu qui voulut un jour la secourir; se hâte de monter dans le carosse de place qu'Agathe avait amené; lève les portières, et par-là se livre elle-même. Le cocher, à quî Rosin eut le tems de dire un mot, suivit les ordres qu'il lui donna.

On arrête aprês un trajet fort court: la portière s'ouvre, et Rosin présente la main à Fanchette, qui se voyant dans une maison inconnue, fait un cri, et se jette entre les bras d'Agathe.

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