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Contes de Restif de la Bretonne: Le Pied de Fanchette, ou, le Soulier couleur de rose

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CHAPITRE XL
Où l'on ne trouve rien de ce que l'on attend.

Fanchette et sa jolie compagne remercièrent la jeune religieuse de ses avis, en promettant d'en profiter. Elles lui firent à leur tour le récit des nouvelles noirceurs d'Apatéon; et tandis qu'elles s'entretenaient, on vint dire qu'un jeune-homme et la vieille Néné demandaient au parloir la belle Florangis et sa chère Agathe.

«Tout est prêt, ma chère fille, dit la gouvernante: nous avons des consentemens, des dispenses: je me suis dite votre tutrice; on ne connaît pas monsieur Apatéon; on a seulement parlé de votre oncle: Venez: je n'aurai pas de repos que je ne vous voie la femme de cet aimable jeune-homme.» Satinbourg prit la parole: «Je touche à mon bonheur, si vous le voulez, mademoiselle: daignez l'assurer; j'ose vous en presser pour la première fois.... Je serais cependant au desespoir que vous vous contraignissiez: belle Fanchette, s'il vous paraît plus convenable d'attendre quelques jours encore, je souscris à tout, plutôt que de vous mortifier. Content de vous voir en sureté dans cette maison, le premier de mes desirs est rempli.—Ma bonne, dit Fanchette attendrie, je voudrais entretenir un moment Satinbourg en particulier.» Agathe et la gouvernante s'éloignent, et se mettent à causer avec sœur Rose. La conversation roula sur monsieur Apatéon.

«Quoi! madame, vous le connaissez aussi, disait la bonne Néné? Croiriez-vous bien qu'il a su m'en imposer jusqu'au tems où mademoiselle Florangis a demeuré chez lui? Cet homme a deux faces également oposées: avec ceux qu'il n'a point intérêt de duper, il est constamment honnête homme, porte la décence et la dévotion jusqu'au scrupule: bien différent des autres hypocrites, qui se donnent rarement la peine de l'être gratuitement. Avec celles qu'il veut faire tomber dans ses filets, il change plus imperceptiblement que l'aiguille d'une montre ne parcourt son cadran: avant qu'une jeune fille songe à s'en défier, il a su lui faire trouver blanc, ce que d'abord elle trouvait noir; il a l'art de l'aveugler; il l'empêche de s'apercevoir qu'il s'est fait un changement dans ses idées. Pour moi, qui fus constamment sa dupe de la première façon, parce que mon âge me met dans le cas de ne pas l'être de la seconde, je me disais bien quelquefois, que pour un dévot, il mangeait des morceaux trop délicats, avait des meubles trop voluptueux, dormait trop tard, alliait quelquefois l'opéra, la comédie avec les sermons: mais lorsque ces pensées m'occupaient à un certain point, je m'efforçais de les éloigner, en me rapelant que l'on ne doit pas légèrement critiquer la conduite des supérieurs, qui peut avoir des motifs inconnus qui la rendent innocente.—Hêlas! dit sœur Rose, en soupirant, voila comme il fit avec moi: j'ai conçu, lorsqu'il n'était plus tems, tout ce que vous venez de dire: J'étais trop ignorante: élevée dans ce monastère, je ne connaissais le crîme et la vertu que de nom: il lut au fond de mon cœur; il n'y trouva pas même de préjugés à combattre: il profita de cette découverte, pour me débiter une morale, qu'il me dit être celle de la nature... Un amant que j'adorais en profita: Apatéon lui même... Si j'avais connu ce qu'une fille doit craindre des attentats des hommes l'aurait-il pu!..—Ils ne me tromperont jamais, intérompit la jeune Agathe, et j'aurai tiré ce fruit de la méchanceté d'Apatéon, qu'il m'inspire une défiance (que l'on ne saurait trop outrer) envers tous les hommes.»

L'entretien de la belle Florangis et de Satinbourg venait de finir: on trouvait à ce dernier un air pensif, rêveur, indécis; ses regards se fixaient sur Agathe: le teint de Fanchette était animé; il règnait sur son visage une sorte de satisfaction, qui tempérait la tristesse dont elle était accablée depuis la perte de Lussanville. «Tout est décidé entre nous, ma bonne, dit-elle à la gouvernante: monsieur vient de me donner la plus grande preuve que je pusse desirer de son attachement: demain nous terminerons.» Néné ne pouvait contenir sa joie: elle la témoignait à sa jolie pupille par les expressions les plus tendres, lorsqu'on vint dire à sœur Rose que le gouverneur de son frère la demandait à un autre parloir.

Tandis qu'elle y vole, Satinbourg, avant de prendre congé de Fanchette et de sa compagne, leur aprit qu'il venait d'acquérir le fonds de monsieur Delaunage. Et ses yeux s'attachaient encore sur la jeune Agathe, que l'aimable Florangis caressait: il soupira. La gouvernante lui dit qu'ils n'avaient pas de tems à perdre; et tous deux sortirent.

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