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Les amours de Faustine : $b Poésies latines traduites pour la première fois et publiées avec une introduction et des notes par Thierry Sandre

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II
PATRIÆ DESIDERIUM

Quicunque ignotis lentus terit ocia terris,
Et vagus externo quærit in orbe domum,
Quem non dulcis amor, quem non revocare parentes,
Nec potuit, si quid dulcius esse potest,
Ferreus est, dignusque olim cui matris ab alvo,
Hyrcanæ tigres ubera præbuerint.
Non mihi saxea sunt, durove rigentia ferro
Pectora, nec tigris, nec fuit ursa parens,
Ut dulci patriæ durus non tangar amore,
Totque procul menses exul ut esse velim.
Quid namque exilium est aliud, quam sidera nota,
Quam patriam, et proprios deseruisse lares ?
Annua ter rapidi circum acta est orbita solis,
Ex quo tam longas cogor inire vias :
Ignotisque procul peregrinus degere tectis,
Et Lyrii tantum vix meminisse mei,
Atque alios ritus, aliosque ediscere mores,
Fingere et insolito verba aliena sono.
At quid Romana (dices) speciosius Aula,
Aut quisnam toto pulchrior orbe locus ?
Roma orbis patria est, quique altæ mœnia Romæ
Incolit, in proprio degit et ille solo.
Forsan et est Romæ (quod non contingere cuivis
Hic solet externo) vivere dulce mihi :
Est cui purpurei patruus pars magna Senatus,
Atque idem Aonii pars quoque magna chori,
Qui nostras ornetque bonus, foveatque Camœnas,
Arceat a nostro pauperiemque lare.
At quoties studia antiqua, antiquosque sodales,
Et memini charam deseruisse domum,
Quondam ubi sollicitas Persarum temnere gazas,
Et fœlix parvo vivere doctus eram :
Ipsa mihi patriæ toties occurrit imago,
Et toties curis torqueor usque novis.
Utque nihil desit, nobis tamen omnia desunt,
Dum miseris noto non licet orbe frui.
Nec Ligeris ripas, saltus, sylvasque comantes
Cernere, et Andini pinguia culta soli,
Quæ lacte, et Baccho, flaventis et ubere campi
Antiquæ certant laudibus Italiæ.
Ast Ithacus, licet ipsa foret Laërtia tellus
Et Bacchi, et Cereris muneribus sterilis,
In patriam rediit, reditum nec pulchra Calypso,
Nec pulchra Alcinoi detinuit soboles.
Fœlix, qui mores multorum vidit, et urbes,
Sedibus et potuit consenuisse suis.
Ortus quæque suos cupiunt, externa placentque
Pauca diu, repetunt et sua lustra feræ.
Quando erit, ut notæ fumantia culmina villæ,
Et videam regni jugera parva mei ?
Non septemgemini tangunt mea pectora Colles,
Nec retinet sensus Tybridis unda meos.
Non mihi sunt cordi veterum monumenta Quiritûm,
Nec statuæ, nec me picta tabella juvat :
Non mihi Laurentes Nymphæ, sylvæque virentes,
Nec mihi, quæ quondam, florida rura placent.
Ipsæ etiam quæ me primis docuere sub annis
Ad citharam patrio flectere verba sono,
Heu ! fugiunt Musæ, refugitque aversus Apollo,
Et fugiunt digitos mollia plectra meos.
Aulica dum nostros gestaret turba libellos,
Et tereret manibus carmina nostra suis,
Dumque meos Regis soror, illa, illa inclyta virgo
Afflaret sancto numine versiculos,
Margaris invicti Regis soror, aurea virtus
Inter mortales cui dedit esse Deam :
Tunc licuit totum fœcundo pectore Phœbum
Concipere, et pleno pandere vela sinu.
Nunc miseri ignotis cœci jactamur in undis,
Credimus et Latio lintea nostra freto.
Hoc Latium poscit, Romanæ hæc debita linguæ
Est opera, huc Genius compulit ipse loci.
Sic teneri quondam vates præceptor Amoris,
Dum procul à patriis finibus exul agit,
Barbara (nec puduit) Latiis prælata camœnis
Carmina non propriam condidit ad citharam.
Carmina Principibus gaudent, plausuque theatri,
Quique placet paucis, displicet ipse sibi.

II
LA PATRIE REGRETTÉE[23]

Quiconque en un pays inconnu a longtemps fatigué ses loisirs, ou erré par une terre étrangère en s’y cherchant une maison,

si l’amour tendre, si le souvenir de ceux qui l’ont nourri, n’ont pu le rappeler, ni quelque autre raison plus tendre, — supposé qu’elle soit possible ;

il est de fer, et il méritait bien d’avoir, au sortir du ventre de sa mère, des tigresses d’Hyrcanie pour lui donner du lait.

Mais moi, mon cœur n’est pas de pierre ; il n’est pas dur comme le fer insensible ; je n’eus ni une tigresse ni une ourse pour me nourrir ;

pourrais-je donc, tendre patrie, être insensible à l’amour qui m’émeut, et pendant tant de mois rester loin des miens, exilé, volontairement ?

Qu’est-ce en effet que l’exil ? — O ciel que l’on connaît, patrie, foyer familial, c’est de ne vous avoir plus.

Par trois fois déjà le soleil dévorant a fait sa révolution annuelle, depuis que, malgré moi, je me suis engagé sur de si longs chemins.

Sous des toits inconnus, loin de chez moi, voyageur qui passe, je vis, et mon Lyré n’est plus à peine en moi qu’un souvenir.

J’ai appris d’autres usages et d’autres coutumes, et je parle une langue nouvelle qui sonne étrangement.

Oui, m’objectera-t-on, mais y a-t-il rien de plus superbe que la Cour de Rome ? Et y a-t-il dans l’univers entier un endroit plus beau ?

Certes, Rome est la patrie universelle, et celui qui demeure au milieu de l’antique Rome peut se vanter de vivre sur un sol qui est sien.

Oui, sans doute, à Rome, (et le premier étranger venu n’a peut-être pas cet avantage), la vie a des douceurs pour moi :

j’y ai un oncle, qui occupe une place importante au Sacré-Collège et qui occupe aussi une place importante au chœur d’Aonie ;

avec bienveillance, il encourage mes Muses, il les soutient, et il écarte la pauvreté de mon foyer.

Mais qu’importe ? Chaque fois qu’il me souvient que j’ai abandonné mes études anciennes, mes anciens compagnons, et cette maison si chère

où j’avais appris à mépriser les trésors de la Perse, sources de tracas, et à me contenter de vivre de peu,

chaque fois, c’est l’image de la patrie qui se dresse devant mes yeux, et chaque fois, dans ma peine, j’éprouve une torture toujours renouvelée.

Même quand je ne manque de rien, je peux dire que tout me manque, parce que j’ai le malheur de n’être pas dans un univers que je connaisse pour y prendre mon plaisir,

parce que je ne vois ni les rives de la Loire, ni les vallons, ni les forêts chevelues, ni les grasses moissons du pays angevin,

de ce pays que le lait, le vin, et les richesses des champs jaunis de blés font rivaliser en gloire avec l’antique Italie.

Mais pourquoi ces excuses ? Regardez Ulysse : les terres de Laërte avaient beau être stériles, car Bacchus et Cérès n’y donnaient rien ;

C’est dans cette patrie pourtant qu’il revint : et, comme il revenait, rien ne l’arrêta, pas plus la charmante Calypso que la charmante fille d’Alcinoüs.

Heureux qui a vu des peuples nombreux, leurs usages, leurs villes, et qui vieillit ensuite dans la maison qui est à lui !

Au lieu de sa naissance chacun veut revenir ; les pays étrangers ne plaisent pas longtemps ; les fauves mêmes cherchent toujours à regagner leur tanière.

Quand donc le verrai-je enfin, le toit fumant de la chaumière que je sais, et, toutes maigres qu’elles sont, les terres de mon domaine à moi ?

Non ! ce ne sont point les Sept Collines qui me touchent l’âme, et rien ne me retient, ému, devant les eaux du Tibre.

Non, mon cœur n’est pris par rien des monuments des vieux Romains, ni de leurs statues, et la peinture d’un tableau ne m’enchante pas.

Non, les Nymphes de Laurente, ces forêts verdoyantes, et, si elles m’ont plu naguère, ces campagnes fleuries, rien ne me fait plaisir.

Elles-mêmes, elles aussi, elles qui dans mes premières années m’ont appris à jouer de la lyre en assemblant les mots de ma langue maternelle,

hélas ! elles m’échappent, les Muses ! et Apollon me tourne le dos et m’échappe à son tour ; et l’archet, autrefois si docile, échappe à mes doigts.

Jadis, à la Cour, on se passait de main en main mes ouvrages ; à force de les feuilleter, on usait mes poèmes.

Jadis, une sœur du Roi, une grande, une illustre princesse, inspirait à mes vers sa volonté sacrée.

C’était Marguerite, la sœur du Roi invaincu, celle qui par ses vertus si rares avait mérité d’être, au milieu des mortels, une Déesse.

En ce temps-là, je pouvais, l’âme débordante, être plein d’Apollon et, toutes voiles gonflées, voguer au large.

Mais aujourd’hui, pour mon malheur, sans savoir où je vais, je suis à la merci de flots inconnus, et je confie ma barque aux vagues de la poésie latine.

C’est ce que le sol latin exige de moi ; à la langue de Rome je dois ce tribut ; c’est à quoi me contraint le Génie de ces lieux.

Ainsi fit jadis le poëte qui donnait des leçons d’amour ; il vivait loin de sa patrie ; on l’avait exilé ;

pour composer des poèmes en langue étrangère, sans rougir il délaissa les Muses latines, et il s’accompagna d’une lyre qui n’était pas la sienne.

Aux poèmes il faut en effet la faveur des Princes et les applaudissements du théâtre. Quand on n’a que trop peu de monde à qui plaire, on se déplaît à soi-même.

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