L'épopée blanche
HOC FAC ET VIVES
Mgr Clut, l’évêque de peine, passait.
Il parcourait la France, demandant, pour les missions du Mackenzie, des cœurs solides, des hommes forts.
Sur ses pas, la Foi se levait ; dans les champs de la Gaule, il glanait les serviteurs de Dieu.
— Laisse là tes filets, va. Je ferai de toi un pêcheur d’hommes.
Et le grand apôtre avait suivi Jésus de Nazareth.
Fidèle à sa mission, Mgr d’Arindèle marchait sur les traces de Simon qu’on appelle Pierre.
Pour bâtir la maison du Seigneur aux extrémités de la terre, il avait besoin de robustes ouvriers.
Pour évangéliser les pauvres, il lui fallait des âmes vaillantes.
C’est en France qu’il était venu les chercher.
Dans le pays d’Armor, aux landes de Bretagne, où le parfum des genêts s’envole avec la voix des cloches, la moisson est toujours abondante.
Mgr Clut passait, l’abbé Lecorre se leva et partit.
Aujourd’hui, dans l’église de la Providence — sœur en misère de Bethléem — l’abbé Lecorre attend. Il a passé la nuit dans la prière et dans l’angoisse, demandant à la Conquérante des Incrédules s’il est digne d’être son serviteur.
Dans le grenier qui sert de chambre, où Mgr Grandin et Mgr Grouard ont couché, à genoux, au pied du crucifix, il s’humilie.
L’aube enfin se lève, aube blême et froide, d’un matin de septembre[35].
[35] 6 septembre 1876.
Le R. P. Petitot, en route pour Good Hope, est là pour l’assister.
— Venez, mon frère.
La pauvre église a pris un air de fête, il y a des guirlandes en papier et des petits drapeaux.
Mgr Clut officie.
Les Sœurs Grises et les orphelines chantent le cantique d’oblation :
Pauvreté, chasteté, obéissance, persévérance, ce sont les quatre vœux qui vont diriger sa vie.
Monseigneur a déposé le calice devant le tabernacle, maintenant, il s’agenouille sur le plus bas degré, puis il entonne :
Les apôtres racontaient en diverses langues les merveilles de Dieu.
Ceux qui sont courbés devant vous, Seigneur, dans cette misérable église, perdue sous le cercle polaire, sont des apôtres selon votre désir. Ils ont appris les dialectes les plus abandonnés pour pouvoir apporter votre parole aux plus déshérités de vos enfants.
L’abbé Lecorre demande au Paraclet l’inaltérable onction de l’âme.
Après l’Evangile, Monseigneur dépose le manipule et parle au récipiendaire.
Il le connaît, c’est lui qui l’a pris jeune sous-diacre du diocèse de Vannes pour le conduire aux lointaines missions. Il l’a ordonné prêtre. Il va le consacrer Oblat. Mais avant a-t-il bien réfléchi à l’acte qu’il va faire ? Est-il sûr de son cœur ? La grâce est-elle en lui ?
Et lorsque Monseigneur a communié, sous la conduite du Père Petitot, l’abbé Lecorre s’avance. Dans sa main droite, il tient un cierge allumé, symbole de sa foi ardente, dans sa main gauche, la formule d’oblation qu’il a écrite lui-même.
Alors, tandis que le célébrant élève la Sainte Hostie au-dessus du ciboire, lorsqu’il a prononcé pour la troisième fois : Domine non sum dignus, le jeune missionnaire récite la formule :
— Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, en présence de la Très Sainte Trinité, de la Bienheureuse Vierge Marie, de tous les anges et de tous les Saints, et de vous, mes Frères, ici réunis et devant vous, mon très Révérend Père, délégué par le Supérieur général des Missionnaires Oblats de la Très Sainte et Immaculée Vierge Marie, qui me tenez la place de Dieu.
« Moi, Auguste Lecorre, fais profession, promets à Dieu et fais vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance perpétuelle. Je jure et fais pareillement vœu de persévérer jusqu’à la mort dans le Saint Institut et la Société des Missionnaires Oblats de la Très Sainte et Immaculée Vierge Marie.
« Ainsi Dieu me soit en aide. Ainsi soit-il. »
Le Père Petitot dépose la formule sur l’autel.
La messe finie, Mgr Clut bénit la croix d’oblation et le scapulaire de l’Immaculée Conception, puis il donne au nouvel Oblat le livre des Règles en disant :
— Hoc fac et vives.
Devant le Saint Sacrement exposé, dans l’allégresse, les Sœurs Grises, les orphelines, les Indiens et les Métis chantent le Te Deum et le Tantum ergo.
Tandis que Monseigneur présente l’ostensoir — soleil de la Toute-Puissance — les assistants courbent la tête, et s’inclinent comme des épis sous le souffle du vent.
L’Esprit de Dieu passe, le Verbe divin a quitté la droite de son Père pour apporter à ses élus sa joie et sa consolation.
* *
Et, la cérémonie terminée, Mgr Clut s’avance.
— Père, êtes-vous content ?
— Oh ! Monseigneur.
— Eh bien ! si vous voulez que ces enfants fêtent votre oblation, il faut venir avec moi.
Et les voici tous deux, menant les chiens, faisant 64 kilomètres en raquettes, par un froid atroce, pour aller pêcher, sous la glace, de quoi ne pas mourir de faim.
A la mission de la Providence, Sœurs Grises, vieillards, orphelins, orphelines, vivent au jour le jour.
L’histoire de la mission pourrait s’écrire avec des larmes.
Depuis que les Religieux ont bâti la maison, la famine est debout sur le seuil de la porte.