Le livre des lotus entr'ouverts
LA BEAUTÉ DES REFLETS
Je quitterai un soir la terre des hommes et tu demeureras toute seule. C’est pourquoi je tiens à te dire la parole essentielle de la vie. Allume la lampe, ô ma bien-aimée, car pour que ceci soit énoncé les meubles et les visages doivent avoir leur vêtement de clarté.
Toutes les choses ont un reflet qui est la vraie substance du monde. Les eaux immobiles sont phosphorescentes, les prunelles miroitent, il y a des parcelles lumineuses qui flottent au ras des terres labourées et que n’a pas engendrées la lune. La matière s’efforce de dégager l’âme. Toutes les lumières sont belles excepté celle qui vient de l’or.
Du monde des formes apparentes, il ne faut aimer que les reflets, le luisant des laques, le poli des cristaux, le mat endormi des jades, les étincelles des soies précieuses et des chevelures. Le bien et le mal sont dans les reflets et les uns sont purs, les autres impurs. O ma bien-aimée, ne prends jamais l’or dans tes mains divines.
Car Ahriman, dont il est parlé dans les livres Zend, Iblis, le tentateur, Satan dont les prêtres chrétiens menacent les enfants ne sont que les incarnations de l’esprit de l’or, l’esprit mauvais qui fait rétrograder l’homme sur la route. Marche en avant, ô ma bien-aimée, conduite par les reflets spirituels et tourne ta face vers le soleil.
Dans le jardin, là où sont les ronces et les orties, fais un grand trou et enterre l’or. Demeure dans ta maison sans or ou vêtue d’une robe sans franges, avec des mains sans bagues, va-t’en au loin, à travers la vie. Il y a bien moins d’actions mauvaises qu’on ne croit si l’on a une pensée haute. Vis dans le temple ou dans les bouges, avec les sages ou les mendiants, donne ton corps à tous les hommes si cela te plaît, mais n’en reçois pas une pièce d’or.
Cherche les reflets, ô ma bien-aimée, ils sont la substance, ils sont la beauté. Plus tu les chercheras, plus il y en aura et à la fin tu marcheras enveloppée de lueurs comme une princesse entre dans une ville au milieu d’une pluie de lotus bleus. Et s’il t’arrivait une fois, dans la splendeur d’une demeure ou devant les statues des dieux d’être prise par l’attrait de l’or, souviens-toi de cette pensée que je te lègue et qui est le meilleur de mon esprit, le reflet de moi-même qui t’accompagnera, ô ma bien-aimée. Toutes les lumières sont belles excepté celle qui vient de l’or.