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Le livre des lotus entr'ouverts

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L’EMPEREUR DE CHINE ET L’EMPEREUR DU JAPON

L’empereur de Chine et l’empereur du Japon se sont rencontrés par une belle soirée, sur la mer calme. Deux navires pavoisés se sont avancés solennellement de chaque côté de l’horizon et des milliers de jonques avec leurs lanternes de couleurs se sont tenues immobiles sur les flots comme autant de grandes étoiles et les étoiles innombrables se sont tenues immobiles dans le ciel, comme autant de jonques minuscules.

L’empereur de Chine et l’empereur du Japon se sont assis l’un en face de l’autre sous un parasol de soie à manche d’or et, à côté d’eux, il y avait un nain chinois avec un bonnet carré et un nain japonais avec une mitre de plumes de paon qui leur présentaient du thé dans un bloc de cristal creusé. Les deux empereurs en buvaient quelques gorgées et ils se regardaient en silence. Leurs robes étaient ruisselantes de pierreries et ils étaient pareils à des dieux timides qui n’osent pas engager la conversation.

Les courtisans, sur le pont des navires faisaient un cercle respectueux de broderies et d’armures. Il y avait là des mandarins de neuf rangs différents, depuis le Tai Fou qui porte la pierre rouge jusqu’au Tai Tchao qui porte un globule d’or. Il y avait là le Siogoun entouré des Seigneurs de la Terre et certains fonctionnaires religieux courbés en deux par la discipline des rites et dégageant la vénération comme une lampe dégage la lumière. Et sur les rivages de la Chine et du Japon les peuples étaient massés et regardaient la mer calme.

Les deux empereurs allaient s’entretenir de l’invasion prochaine des Tartares, de la puissance des épidémies qui s’abattent mystérieusement sur certaines provinces. Ils allaient chercher ensemble les moyens de faire circuler rapidement le riz à travers les terres et les mers pour remédier aux famines, ils allaient étudier les causes de ces fabuleux typhons qui, à certaines époques, soulèvent les mers. Ils allaient entrer en communication avec les Génies, écouter la voix des Ancêtres. De leur réunion allait jaillir l’éclair qui fait descendre les Dieux.

L’empereur de Chine, le plus résolu, parla le premier et la conversation fut assez animée. Ils étaient tous deux grands amateurs de laques et ils s’étonnaient qu’une certaine nuance de violet ne puisse plus être obtenue. « Les polisseurs de Canton n’apportent plus autant de soins qu’avant à leurs travaux. Le colcotar est trop calciné. On ne trouve plus le cinabre absolument pur. Et, pour le rose, c’est bien plus terrible ! On a abandonné la culture de la fleur de carthame. Le secret des anciens maîtres est perdu. En vérité, le monde est en décadence. » Les deux empereurs sont très malheureux et, lorsque l’entrevue est terminée, ils pleurent presque, courbés derrière leur éventail, tandis que les deux navires s’éloignent solennellement sur la mer calme.

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