Le livre des lotus entr'ouverts
L’EMPEREUR DE CHINE ET LE SOLEIL
L’empereur de Chine avait cru remarquer que le soleil n’obéissait pas à sa volonté. Il était incommodé par sa chaleur durant l’été et il lui reprochait d’avoir fait mourir une tulipe singulière qu’on lui avait rapportée des pays barbares d’occident. Puis il chérissait les ténèbres d’un amour profond. Il résolut d’arrêter la course du soleil et il convoqua toute la cour pour qu’elle soit témoin de sa puissance illimitée.
Vers le rivage de l’océan d’où monte le soleil en flammes, un grand cortège se mit en marche durant la nuit. L’empereur avait placé sur ses genoux, dans son palanquin, un bâton de jade magique qui avait appartenu à Fo-Hi, inventeur de l’écriture et de la lyre à vingt-sept cordes, et l’amour de la nuit se lisait dans ses prunelles clignotantes.
Des mandarins de haut rang le suivaient, portant des lanternes allumées qu’ils levaient très haut. Quelques-uns pleuraient à l’idée qu’ils ne verraient plus la belle lumière du jour. D’autres songeaient qu’ils avaient toujours dormi, au lever de l’aurore et ils regrettaient la paresse qui les privait à jamais de ce spectacle. Les soldats avaient mis des armures noires en signe de deuil. Seul le ministre des rites souriait avec perfidie derrière son éventail de soie.
Sur le rivage de la mer un petit homme vêtu de blanc était en prières : « O saint bouddhiste, que fais-tu là ? » lui dit l’empereur. Et le petit homme vêtu de blanc, voyant les mille lanternes, les larmes et le sourire du ministre comprit ce qui arrivait et pensa que l’empereur allait perdre la face par la désobéissance du soleil, d’autant plus qu’un léger blanchissement se percevait déjà sur les eaux.
« Grand empereur, dit-il, j’étais en prières sur le sable salé parce que je sais, grâce à ma connaissance des choses célestes, que le soleil ne doit plus se lever jamais sur la terre des hommes pour la féconder. Je le suppliais en vain d’apparaître. Mais les lois astronomiques sont rigoureuses. La seule espérance qui nous reste est que tu le fasses obéir, ô tout-puissant ! en étendant vers l’Orient la baguette magique de Fo-Hi. »
L’empereur harangua les mandarins, mais le saint le tira par la manche, à cause du léger blanchissement du ciel. Il ne fallait pas permettre le moindre retard au soleil. Personne n’aurait pu croire que la baguette de Fo-Hi eût tant de pouvoir car jamais il n’y eut une aurore aussi éclatante. Ainsi la face impériale fut sauvée. Toutes les lanternes s’éteignirent en même temps. Le ministre des rites fit une grimace. Le petit homme vêtu de blanc se remit en prières sur le sable salé.