Le livre des lotus entr'ouverts
LE GÉNÉREUX ENLUMINEUR DE LIVRES
Votre père Bétab l’enlumineur de livres, m’a dit en m’accueillant : « Tout ce qui est dans ma maison entre ces quatre piliers de bambou noir, sous le manteau du toit blanchi de chaux, ô mon hôte, vous appartient.
« Voici le vin qui contient la pensée de dieu et le gâteau de farine où il y a la substance intime de la terre matérielle. Voici les coussins, voici les bijoux réunis par l’amour que les hommes ont pour les pierres précieuses. O mon hôte, tout est à vous. »
Et un peu plus tard il m’a dit, quand j’ai voulu jouer de la cithare pour lui plaire, et charmer la fin de la soirée : « C’est bien dommage que mes filles ne puissent venir s’asseoir à côté de vous sur le tapis afin de voir l’hôte jouant de la cithare.
« Elles vous écouteront, au haut de l’escalier, derrière cette gaze d’or. Ne vous offensez pas si elles chuchotent et si vous entendez les froissements de leurs babouches d’argent tissé quand elles s’éloigneront. »
Et c’est pour vous que je ne voyais pas, que j’ai joué de la cithare. Vous avez chuchoté derrière la gaze d’or, vos babouches ont glissé sur des étoffes et je me suis senti du génie.
Et plus tard quand j’ai été seul dans la chambre de l’hôte, la porte a tourné silencieusement et sans chuchotements et sans froissements de babouches vous êtes venues toutes les deux vous blottir à côté de moi.
La lampe était morte et je continuais à ne pas vous voir. Vous disiez : « O joueur de cithare, sens-tu comme mes lèvres sont tièdes ! Sens-tu comme mon sein est dur sur le tien ! » Et la nuit miraculeuse jetait par la fenêtre des bouffées d’enchantement.
Mais avec tristesse j’ai caressé votre front de la main et j’ai répondu : « Certes j’aurais voulu prendre à votre père l’enlumineur de livres le plus précieux de ses biens, mais il m’a tout donné d’un cœur si généreux ! Allez jeunes filles. Le joueur de cithare dormira cette nuit auprès de la confiance respectée. »