Le livre des lotus entr'ouverts
A L’HEURE DES LOTUS ENTR’OUVERTS
Il y a, quand l’aurore est naissante, un instant où les lotus ne sont qu’entr’ouverts. Ils sont légèrement mouillés par la rosée, comme s’ils avaient pleuré.
Il y a dans l’âme de l’homme qui s’est avancé dans la vie une minute où il entrevoit la sagesse et où il ne sait pas si son crépuscule n’est pas son aurore.
C’est à l’heure intermédiaire qu’il faut marcher le long de l’étang, regarder les buées délicates qui s’élèvent des eaux bleuâtres et prennent des formes imprécises.
Car la plus grande beauté humaine est dans le paysage qu’on devine, le ciel qu’on ne peut atteindre, l’aspiration incertaine de l’esprit, l’enthousiasme pour l’idéal mal défini.
C’est à l’heure intermédiaire qu’il faut formuler son désir parce que le palmier n’est qu’un fantôme, que la montagne n’est qu’une apparition, que le monde n’est pas mieux dessiné que notre âme.
A l’heure où les lotus ne sont qu’entr’ouverts et pleurent, il faut aller, le corps vêtu avec une robe de lin blanc, légère comme le brouillard, qui imprégnera ses plis de l’aurore.
A l’heure quotidienne de la naissance des choses, à l’heure où il n’y a encore ni bien ni mal sur terre il faut aller avec son âme qui vient de naître, il faut aller et il faut dire :
« O pouvoir infini, forces subtiles qui s’éveillent, loi innombrable dont les rouages sont invisibles, trésor des pensées spirituelles qui sont éparses et libres et voudraient devenir captives !
« Je demande la clairvoyance qui fait pénétrer la vie des choses et l’âme des êtres, je demande le don d’éveiller la beauté cachée sous l’amour, comme un sultan éveille une favorite endormie sous un oranger en fleurs.
« Je veux entrer en communication avec les intelligences qui nous régissent pour qu’elles me versent leur étincelante lumière comme on verse une essence de fleurs condensées dans un flacon de jade aux veines d’azur.
« Je veux jusqu’à ma mort honorer l’esprit qui éclaire et conformer ma vie à l’idéal de ma jeunesse. Je crois, les lotus ne sont qu’entr’ouverts mais je sais que je serai exaucé parce que le soleil se lève toujours. »