Le livre des lotus entr'ouverts
LE CIMETIÈRE DES APPARITIONS MÉLANCOLIQUES
O cimetière des apparitions mélancoliques ! Le tissu d’un mur blanc, le dessin d’un lézard sur l’apparence de la porte, les dalles et le gazon, damier funéraire où se posent les hirondelles, comme des jetons de rêve, et le crépuscule déployant les mousselines vaporeuses de ses bleus éteints, de ses amarantes passés. Et le croissant de la lune au bord de l’horizon…
Ghazlane la Persane s’avance vers moi, légère comme une buée et tenant une cithare transparente comme un nuage. Dans le monde sans forme réelle comment peut-on baiser tes lèvres, étreindre ta taille souple ? Et à côté d’elle je vois un cyprès qui s’élance vers le ciel, pareil à une prière douloureuse.
Azad le poète, me sourit de loin. Il s’appuie sur un bâton comme jadis : « N’aimais-tu pas le vin, ami ? Avec quelle bouche bois-tu ? » Il me fait signe de m’approcher… Plus près encore. Il veut me dire un secret à l’oreille, le grand secret, qui fait rêver les hommes vivants. Mais d’un citronnier, dans une mare de pluie, tombe un citron et il jaillit une étoile de gouttes d’argent. Je m’éloigne sans me retourner. Que le croissant de la lune est beau au bord de l’horizon ! Comme la terre est solide ! O cimetière des apparitions mélancoliques !