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Le livre des lotus entr'ouverts

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LA RACINE DES UNIVERS ET DES DIEUX

Je ne vois partout que douleur. Le riz va manquer bientôt aux hommes des pauvres villages. Dans les basses rues de la ville, il y a les maladies qui passent et qui marquent les maisons pour que la mort vienne les visiter. L’un est déchiré par le fer et l’autre l’est par le chagrin. Je ne vois partout que douleur. Je ne vois partout que des cœurs fermés.

Je ne vois partout que des cœurs fermés. Il n’y a pas de pitié sincère, il n’y a qu’un orgueil démesuré. Le soufi, le juge intègre et l’honnête épouse se glorifient trop vite d’être les premiers. Comme dans une tour de pierre, ils s’enferment dans leur vertu. Et cette vertu est vraiment de pierre. Sur elle se brise l’humaine douleur. Chacun ne croit qu’à sa vérité. Il n’y a pas de pitié sincère. Et pourtant il y a une voie différente pour chacun.

Il y a une voie différente pour chacun, quelquefois bordée de fleurs et d’autres fois semée de cailloux. Mais toutes les voies montent et la plus dure est souvent la plus courte, entre les voies qui mènent au sommet de la montagne. J’ai vu une femme appeler les passants sur un tas de cailloux et tendre avec la lassitude de son geste, une incommensurable mesure de pitié et j’ai vu dans les yeux du voleur qu’on allait étrangler briller la vraie lumière de Dieu. Mais la vraie lumière de Dieu n’est pas visible pour les aveugles.

La vraie lumière de Dieu n’est pas visible pour les aveugles. Chacun clôt sa porte au crépuscule et étend la barre sur les vantaux car le mendiant pourrait passer avec sa lanterne accrochée à un bâton noir. Personne ne veut voir les étoiles de la pitié qui s’allument avec la nuit et cheminent le long des portes inexorablement muettes. Et pourtant les porteurs désespérés d’étoiles sont souvent les meilleurs et les plus purs. Ils frappent aux portes. Ouvrez-nous, hommes justes, ouvrez-nous, hommes vertueux ! N’est-il pas juste que nous ayons une petite part de richesse, une petite part de vertu ? Mais jamais on ne leur répond, jamais il ne leur sera répondu.

Car le soleil de la justice ne se lève jamais dans le ciel étroit de la terre. Les méchants ne sont pas punis et les bons ne sont pas récompensés et ce sont les hypocrites qui sont les maîtres. Les causes engendrent les effets, mais ceux qui subissent les effets ne connaissent pas les causes et l’on maudit Dieu avec raison parce qu’il donne assez d’intelligence pour désirer la justice et qu’il n’en donne pas assez pour comprendre la lenteur de sa marche et l’étendue mystérieuse de sa loi. Et quand on maudit Dieu, le cœur se ferme davantage et la douleur devient plus grande et c’est pourquoi je ne vois partout que douleur, je ne vois partout que des cœurs fermés et il n’y a rien à espérer de la pitié des hommes.

Il n’y a rien à espérer de la pitié des hommes, et il n’y a rien à espérer de la pitié de Dieu puisque tout ce que nous voyons de lui est le déroulement d’une loi impassible et immuable. Il n’y a rien à espérer de personne. Mais au fond de l’abîme du désespoir et de l’injustice, il est permis de contempler la lampe inaltérable de l’espérance. Car en soi-même, dans le rayonnement de sa propre âme est la divine justice qui ne faillit jamais, celle qui n’a pas besoin de pitié pour briller, celle qui a en elle une huile d’amour qui se consume sans s’épuiser. O puissance intérieure ! racine des univers et des dieux ! immortelle justice de l’homme !

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