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Le livre des lotus entr'ouverts

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A L’AMI INGRAT

Louange à toi qui m’as offensé, qui m’a permis de contempler à loisir le visage de l’ingratitude. J’ai su quelle lumière la trahison peut donner au regard, avec quelle hypocrite affection elle sait déguiser, tendre la main loyalement, faire des confidences sincères pour mieux tromper. Louange à toi qui m’as offensé.

Car j’ignorais la force du mal, je n’avais pas encore mesuré la puissance avec laquelle il passe dans certaines âmes, arrachant les bons souvenirs comme la tempête arrache les arbres, dévastant le champ de l’amitié où la récolte avait si péniblement fleuri. J’ignorais un des deux versants de la montagne, celui où il y a de l’ombre, où il pleut sans cesse, où l’on est toujours triste.

Je ne te rappellerai pas que je t’ai aimé avec un cœur véridique et que si je ne te l’ai pas exprimé par des paroles vaines, mon silence te l’avait souvent dit. N’y a-t-il pas d’ailleurs, quand l’ami retrouve son ami, un mystère dans le regard et la formule du salut, qui est le signe du plaisir fraternel ? Je ne te rappellerai pas le plaisir fraternel que ta présence me procurait, mais je te dis : Louange à toi qui m’as offensé !

Car je ne te rendrai aucun mal. Non par manque de courage et non plus par manque de douleur. Le plus beau courage est dans le silence, dans la faculté de détruire en soi-même tout ce qui naît de mal, engendré par le mal. Et pour ce qui est de la douleur, je l’ai connu, je l’ai mesuré de l’extrémité de sa racine profonde jusqu’à sa dernière feuille lointaine et je la garde jalousement, égoïstement, pour moi seul. Et je te dis : Louange à toi qui m’as offensé !

Car tu m’as fait présent d’une magnifique richesse. Le morceau de plomb était de l’or souillé que j’ai lavé de mes mains. J’ai pris ton offense et je l’ai pétrie, je l’ai polie, je l’ai chauffée dans mon cœur. Je l’ai transformée en ce pardon secret qui me fait comprendre la vie. Ce pardon est désormais pour moi la clef de toutes les portes fermées que l’homme rencontre dans son voyage. Tu m’as donné plus que tu m’as pris. Louange à toi qui m’as offensé !

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