Le livre des lotus entr'ouverts
LE MIROIR QUI CONSERVE LES RÊVES
Quand elle s’endort, elle place à côté d’elle un vase d’argent poli, rempli d’eau limpide. Elle ne se souvient pas de ses rêves, elle se souvient seulement de leur beauté et elle croit que la mystérieuse image en demeure dans le miroir de l’argent poli.
Dès qu’elle se réveille, elle se penche avidement sur l’eau matinale. « Oh ! viens vite voir, mon bien-aimé ! il y a des palais dans une brume amarante, il y a des bouquets de citronniers et des jeunes hommes vêtus de blanc se promènent sous des portiques de marbre.
Je me penche aussi, je me frotte les yeux, mais je ne vois rien, rien que son charmant visage à côté du mien. Mais alors elle se fâche après moi et accuse la lourdeur de mon esprit qui ne sait pas se dégager assez vite de l’ombre épaisse du sommeil. Et qui sait, peut-être a-t-elle raison ?
Et une fois je me suis penché le premier sur l’eau claire du vase d’argent et j’ai dit : « Je vois une jeune fille aux seins nus, une jeune fille qui danse avec une écharpe couleur de lune. Elle ressemble à la bayadère du temple de la déesse Parvati que j’ai vue l’an passé à Bénarès, elle ressemble au beau rêve dont j’ai rêvé toute cette nuit. »
Mais elle a souri sans s’émouvoir et elle m’a répondu : « S’il y a une bayadère à Bénarès et si elle a dansé dans ton rêve, il n’y en a pas au fond du vase d’argent. Car dans l’eau limpide repose un charme, une secrète correspondance avec l’âme qui dort auprès. Et ce merveilleux miroir est poli avec un art si magique qu’une certaine qualité de rêve peut seule y laisser sa subtile trace. » Mais elle a tout de même remué l’eau avec le bout de son ongle.