← Retour

Œuvres de P. Corneille, Tome 07

16px
100%

SCÈNE II.

AGÉSILAS, XÉNOCLÈS.

AGÉSILAS.

D'un peu d'amour que j'eus Aglatide a parlé:

Son père qui l'a su dans son âme s'en flatte;

Et sur ce vain espoir il part tout consolé 1090

Du refus que j'en fais aux vœux de Spitridate:

Tu l'as vu, Xénoclès, tout d'un coup s'adoucir.

XÉNOCLÈS.

Oui; mais enfin, Seigneur, il est temps de le dire,

Tout soumis qu'il paroît, apprenez qu'il conspire,

Et par où sa vengeance espère y réussir.1095

Ce confident choisi, Cléon d'Halicarnasse,

Dont l'éloquence a tant d'éclat,

Lui vend une harangue à renverser l'État [49],

Et le mettre bientôt lui-même en votre place.

En voici la copie, et je la viens d'avoir 1100

D'un des siens sur qui l'or me donne tout pouvoir,

De l'esclave Damis, qui sert de secrétaire

A cet orateur mercenaire,

Et plus mercenaire que lui,

Pour être mieux payé vous les [50] livre aujourd'hui.1105

On y soutient, Seigneur, que notre république

Va bientôt voir ses rois devenir ses tyrans,

A moins que d'en choisir de trois ans en trois ans,

Et non plus suivant l'ordre antique

Qui règle ce choix par le sang; 1110

Mais qu'indifféremment elle doit à ce rang

Élever le mérite et les rares services.

J'ignore quels sont les complices;

Mais il pourra d'Éphèse écrire à ses amis;

Et soudain le paquet entre vos mains remis 1115

Vous instruira de toutes choses.

Cependant j'ai fait mon devoir.

Vous voyez le dessein, vous en savez les causes;

Votre perte en dépend: c'est à vous d'y pourvoir.

AGÉSILAS.

A te dire le vrai, l'affaire m'embarrasse;1120

J'ai peine à démêler ce qu'il faut que je fasse,

Tant la confusion de mes raisonnements

Étonne mes ressentiments.

Lysander m'a servi: j'aurois une âme ingrate

Si je méconnoissois ce que je tiens de lui;1125

Il a servi l'État, et si son crime éclate,

Il y trouvera de l'appui.

Je sens que ma reconnoissance

Ne cherche qu'un moyen de le mettre à couvert;

Mais enfin il y va de toute ma puissance:1130

Si je ne le perds, il me perd.

Ce que veut l'intérêt, la prudence ne l'ose;

Tu peux juger par là du désordre où je suis.

Je vois qu'il faut le perdre; et plus je m'y dispose,

Plus je doute si je le puis.1135

Sparte est un État populaire,

Qui ne donne à ses rois qu'un pouvoir limité:

On peut y tout dire et tout faire

Sous ce grand nom de liberté.

Si je suis souverain en tête d'une armée,1140

Je n'ai que ma voix au sénat;

Il faut y rendre compte; et tant de renommée

Y peut avoir déjà quelque ligue formée

Pour autoriser l'attentat.

Ce prétexte flatteur de la cause publique,1145

Dont il le couvrira, si je le mets au jour,

Tournera bien des yeux vers cette politique

Qui met chacun en droit de régner à son tour.

Cet espoir y pourra toucher plus d'un courage;

Et quand sur Lysander j'aurai fait choir l'orage,1150

Mille autres, comme lui jaloux ou mécontents,

Se promettront plus d'heur à mieux choisir leur temps.

Ainsi de toutes parts le péril m'environne:

Si je veux le punir, j'expose ma couronne;

Et si je lui fais grâce, ou veux dissimuler,1155

Je dois craindre....

XÉNOCLÈS.

Cotys, Seigneur, vous veut parler [51].

AGÉSILAS.

Voyons quelle est sa flamme, avant que de résoudre

S'il nous faudra lancer ou retenir la foudre.

Chargement de la publicité...