Œuvres de P. Corneille, Tome 07
TITE.
As-tu vu Bérénice? aime-t-elle mon frère?1415
Et se plaît-elle à voir qu'il tâche de lui plaire?
Me la demande-t-il de son consentement?
FLAVIAN.
Ne la soupçonnez point d'un si bas sentiment;
Elle n'en peut souffrir non pas même la feinte.
TITE.
As-tu vu dans son cœur encor la même atteinte?1420
FLAVIAN.
Elle veut vous parler, c'est tout ce que j'en sai.
TITE.
Faut-il de son pouvoir faire un nouvel essai?
FLAVIAN.
M'en croirez-vous, Seigneur? évitez sa présence [271],
Ou mettez-vous contre elle un peu mieux en défense.
Quel fruit espérez-vous de tout son entretien?1425
TITE.
FLAVIAN.
L'irrésolution doit-elle être éternelle?
Vous ne me dites plus que Domitie est belle,
Seigneur, vous qui disiez que ses seules beautés
Vous peuvent consoler de ce que vous quittez;1430
Qu'elle seule en ses yeux porte de quoi contraindre
Vos feux à s'assoupir, s'ils ne peuvent s'éteindre.
TITE.
Je l'ai dit, il est vrai; mais j'avois d'autres yeux,
Et je ne voyois pas Bérénice en ces lieux.
FLAVIAN.
Quand aux feux les plus beaux un monarque défère,
Il s'en fait un plaisir et non pas une affaire,
Et regarde l'amour comme un lâche attentat
Dès qu'il veut prévaloir sur la raison d'État.
Son grand cœur, au-dessus des plus dignes amorces,
A ses devoirs pressants laisse toutes leurs forces [272];1440
Et son plus doux espoir n'ose lui demander
Ce que sa dignité ne lui peut accorder.
TITE.
Je sais qu'un empereur doit parler ce langage;
Et quand il l'a fallu, j'en ai dit davantage;
Mais de ces duretés que j'étale à regret,1445
Chaque mot à mon cœur coûte un soupir secret;
Et quand à la raison j'accorde un tel empire,
Je le dis seulement parce qu'il le faut dire,
Et qu'étant au-dessus de tous les potentats,
Il me seroit honteux de ne le dire pas.1450
De quoi s'enorgueillit un souverain de Rome,
Si par respect pour elle il doit cesser d'être homme,
Éteindre un feu qui plaît, ou ne le ressentir
Que pour s'en faire honte et pour le démentir?
Cette toute-puissance est bien imaginaire,1455
Qui s'asservit soi-même à la peur de déplaire,
Qui laisse au goût public régler tous ses projets,
Et prend le plus haut rang pour craindre ses sujets.
Je ne me donne point d'empire sur leurs âmes,
Je laisse en liberté leurs soupirs et leurs flammes;1460
Et quand d'un bel objet j'en vois quelqu'un charmé,
J'applaudis au bonheur d'aimer et d'être aimé.
Quand je l'obtiens du ciel, me portent-ils envie?
Qu'ont d'amer pour eux tous les douceurs de ma vie?
Et par quel intérêt....
FLAVIAN.
Ils perdroient tout en vous.1465
Vous faites le bonheur et le salut de tous,
Seigneur; et l'univers, de qui vous êtes l'âme....
TITE.
Ne perds plus de raisons à combattre ma flamme:
Les yeux de Bérénice inspirent des avis
Qui persuadent mieux que tout ce que tu dis.1470
FLAVIAN.
Ne vous exposez donc qu'à ceux de Domitie.
TITE.
Je n'ai plus, Flavian, que quatre jours de vie:
Pourquoi prends-tu plaisir à les tyranniser?
FLAVIAN.
Mais vous savez qu'il faut la perdre ou l'épouser?
TITE.
En vain donc à ses vœux tout mon amour s'oppose;1475
Périr ou faire un crime est pour moi même chose.
Laissons-lui toutefois soulever des mutins;
Hasardons sur la foi de nos heureux destins:
Ils m'ont promis la Reine, et doivent à ses charmes
Tout ce qu'ils ont soumis à l'effort de mes armes;1480
Par elle j'ai vaincu, pour elle il faut périr.
FLAVIAN.
Seigneur....
TITE.
Oui, Flavian, c'est à faire [273] à mourir.
La vie est peu de chose; et tôt ou tard, qu'importe
Qu'un traître me l'arrache, ou que l'âge l'emporte?
Nous mourons [274] à toute heure; et dans le plus doux sort
Chaque instant de la vie est un pas vers la mort [275].
FLAVIAN.
Flattez mieux les desirs de votre ambitieuse,
Et ne la changez pas de fière en furieuse.
Elle vient vous parler.
TITE.
Dieux! quel comble d'ennuis!
SCÈNE II.
TITE, DOMITIE, FLAVIAN, PLAUTINE.
DOMITIE.
Je viens savoir de vous, Seigneur, ce que je suis.1490
J'ai votre foi pour gage, et mes aïeux pour marques
Du grand droit de prétendre au plus grand des monarques;
Mais Bérénice est belle, et des yeux si puissants
Renversent aisément des droits si languissants.
Ce grand jour qui devoit unir mon sort au vôtre,1495
Servira-t-il, Seigneur, au triomphe d'une autre?
TITE.
J'ai quatre jours encor pour en délibérer,
Madame; jusque-là laissez-moi respirer.
C'est peu de quatre jours pour un tel sacrifice;
Et s'il faut à vos droits immoler Bérénice,1500
Je ne vous réponds pas que Rome et tous vos droits
Puissent en quatre jours m'en imposer les lois.
DOMITIE.
Il n'en faudroit pas tant, Seigneur, pour vous résoudre
A lancer sur ma tête un dernier coup de foudre,
Si vous ne craigniez point qu'il rejaillît [276] sur vous.1505
TITE.
Suspendez quelque temps encor ce grand courroux.
Puis-je étouffer sitôt une si belle flamme?
DOMITIE.
Quoi? vous ne pouvez pas ce que peut une femme?
Que vous me rendez mal ce que vous me devez!
J'ai brisé de beaux fers, Seigneur, vous le savez;1510
Et mon âme, sensible à l'amour comme une autre,
En étouffe un peut-être aussi fort que le vôtre.
TITE.
Peut-être auriez-vous peine à le bien étouffer,
Si votre ambition n'en savoit triompher.
Moi qui n'ai que les Dieux au-dessus de ma tête,1515
Qui ne vois plus de rang digne de ma conquête,
Du trône où je me sieds puis-je aspirer à rien
Qu'à posséder un cœur qui n'aspire qu'au mien?
C'est là de mes pareils la noble inquiétude:
L'ambition remplie y jette leur étude;1520
Et sitôt qu'à prétendre elle n'a plus de jour,
Elle abandonne un cœur tout entier à l'amour.
DOMITIE.
Elle abandonne ainsi le vôtre à cette reine,
Qui cherche une grandeur encor plus souveraine.
TITE.
Non, Madame: je veux que vous sortiez d'erreur [277],1525
Bérénice aime Tite, et non pas l'Empereur;
Elle en veut à mon cœur, et non pas à l'empire [278].
DOMITIE.
D'autres avoient déjà pris soin de me le dire,
Seigneur; et votre reine a le goût délicat
De n'en vouloir qu'au cœur, et non pas à l'éclat.1530
Cet amour épuré que Tite seul lui donne
Renonceroit au rang pour être à la personne!
Mais on a beau, Seigneur, raffiner sur ce point,
La personne et le rang ne se séparent point.
Sous les tendres brillants de cette noble amorce1535
L'ambition cachée attaque, presse, force;
Par là de ses projets elle vient mieux à bout;
Elle ne prétend rien, et s'empare de tout.
L'art est grand; mais enfin je ne sais s'il mérite
La bouche d'une reine et l'oreille de Tite.1540
Pour moi, j'aime autrement; et tout me charme en vous;
Tout m'en est précieux, Seigneur, tout m'en est doux;
Je ne sais point si j'aime ou l'Empereur ou Tite,
Si je m'attache au rang ou n'en veux qu'au mérite,
Mais je sais qu'en l'état où je suis aujourd'hui1545
J'applaudis à mon cœur de n'aspirer qu'à lui.
TITE.
Mais me le donnez-vous tout ce cœur qui n'aspire,
En se tournant vers moi, qu'aux honneurs de l'empire?
Suit-il l'ambition en dépit de l'amour,
Madame? la suit-il sans espoir de retour?1550
DOMITIE.
Si c'est à mon égard ce qui vous inquiète,
Le cœur se rend bientôt quand l'âme est satisfaite:
Nous le défendons mal de qui remplit nos vœux.
Un moment dans le trône éteint tous autres feux;
Et donner tout ce cœur, souvent ce n'est que faire1555
D'un trésor invisible un don imaginaire.
A l'amour vraiment noble il suffit du dehors;
Il veut bien du dedans ignorer les ressorts:
Il n'a d'yeux que pour voir ce qui s'offre à la vue,
Tout le reste est pour eux une terre inconnue;1560
Et sans importuner le cœur d'un souverain,
Il a tout ce qu'il veut quand il en a la main.
Ne m'ôtez pas la vôtre, et disposez du reste.
Le cœur a quelque chose en soi de tout céleste;
Il n'appartient qu'aux Dieux; et comme c'est leur choix,
Je ne veux point, Seigneur, attenter sur leurs droits.
TITE.
Et moi, qui suis des Dieux la plus visible image,
Je veux ce cœur comme eux, et j'en veux tout l'hommage.
Mais vous n'en avez plus, Madame, à me donner;
Vous ne voulez ma main que pour vous couronner.1570
D'autres pourront un jour vous rendre ce service.
Cependant, pour régler le sort de Bérénice,
Vous pouvez faire agir vos amis au sénat;
Ils peuvent m'y nommer lâche, parjure, ingrat:
J'attendrai son arrêt, et le suivrai peut-être.1575
DOMITIE.
Suivez-le, mais tremblez s'il flatte trop son maître.
Ce grand corps tous les ans change d'âme et de cœurs;
C'est le même sénat, et d'autres sénateurs.
S'il alla pour Néron jusqu'à l'idolâtrie,
Il le traita depuis de traître à sa patrie,1580
Et réduisit ce prince indigne de son rang
A la nécessité de se percer le flanc [279].
Vous êtes son amour, craignez d'être sa haine
Après l'indignité d'épouser une reine.
Vous avez quatre jours pour en délibérer.1585
J'attends le coup fatal, que je ne puis parer.
Adieu. Si vous l'osez, contentez votre envie;
Mais en m'ôtant l'honneur n'épargnez pas ma vie.
SCÈNE III.
TITE, FLAVIAN.
TITE.
L'impétueux esprit! Conçois-tu, Flavian,
Où pourroient ses fureurs porter Domitian,1590
Et de quelle importance est pour moi l'hyménée
Où par tous mes desirs je la sens condamnée?
FLAVIAN.
SCÈNE IV.
TITE, BÉRÉNICE, PHILON, FLAVIAN.
TITE.
Eh bien! Madame, eh bien! faut-il tout hasarder?
Et venez-vous ici pour me le commander?
BÉRÉNICE.
De ce qui m'est permis je sais mieux la mesure,
Seigneur; et j'ai pour vous une flamme trop pure1600
Pour vouloir, en faveur d'un zèle ambitieux,
Mettre au moindre péril des jours si précieux.
Quelque pouvoir sur moi que notre amour obtienne,
J'ai soin de votre gloire; ayez-en de la mienne.
Je ne demande plus que pour de si beaux feux1605
Votre absolu pouvoir hasarde un: «Je le veux.»
Cet amour le voudroit; mais comme je suis reine,
Je sais des souverains la raison souveraine.
Si l'ardeur de vous voir l'a voulue [280] ignorer,
Si mon indigne exil s'est permis d'espérer,1610
Si j'ai rentré dans Rome avec quelque imprudence,
Tite à ce trop d'ardeur doit un peu d'indulgence.
Souffrez qu'un peu d'éclat, pour prix de tant d'amour,
Signale ma venue, et marque mon retour.
Voudrez-vous que je parte avec l'ignominie1615
De ne vous avoir vu que pour me voir bannie?
Laissez-moi la douceur de languir en ces lieux [281],
D'y soupirer pour vous, d'y mourir à vos yeux:
C'en sera bientôt fait, ma douleur est trop vive
Pour y tenir longtemps votre attente captive;1620
Et si je tarde trop à mourir de douleur,
J'irai loin de vos yeux terminer mon malheur.
Mais laissez-m'en choisir la funeste journée;
Et du moins jusque-là, Seigneur, point d'hyménée.
Pour votre ambitieuse avez-vous tant d'amour1625
Que vous ne le puissiez différer d'un seul jour?
Pouvez-vous refuser à ma douleur profonde....
TITE.
Hélas! que voulez-vous que la mienne réponde?
Et que puis-je résoudre alors que vous parlez,
Moi qui ne puis vouloir que ce que vous voulez?1630
Vous parlez de languir, de mourir à ma vue;
Mais, ô Dieux! songez-vous que chaque mot me tue,
Et porte dans mon cœur de si sensibles coups,
Qu'il ne m'en faut plus qu'un pour mourir avant vous?
De ceux qui m'ont percé souffrez que je soupire.1635
Pourquoi partir, Madame, et pourquoi me le dire?
Ah! si vous vous forcez d'abandonner ces lieux,
Ne m'assassinez point de vos cruels adieux.
Je vous suivrois, Madame; et flatté de l'idée
D'oser mourir à Rome, et revivre en Judée,1640
Pour aller de mes feux vous demander le fruit,
Je quitterois l'empire et tout ce qui leur nuit.
BÉRÉNICE.
Daigne me préserver le ciel....
TITE.
De quoi, Madame?
BÉRÉNICE.
De voir tant de foiblesse en une si grande âme!
Si j'avois droit par là de vous moins estimer,1645
Je cesserois peut-être aussi de vous aimer.
TITE.
Ordonnez donc enfin ce qu'il faut que je fasse.
BÉRÉNICE.
S'il faut partir demain, je ne veux qu'une grâce:
Que ce soit vous, Seigneur, qui le veuilliez pour moi,
Et non votre sénat qui m'en fasse la loi.1650
Faites-lui souvenir, quoi qu'il craigne ou projette,
Que je suis son amie, et non pas sa sujette;
Que d'un tel attentat notre rang est jaloux,
Et que tout mon amour ne m'asservit qu'à vous.
TITE.
Mais peut-être, Madame....
BÉRÉNICE.
Il n'est point de peut-être,
Seigneur: s'il en décide, il se fait voir mon maître;
Et dût-il vous porter à tout ce que je veux,
Je ne l'ai point choisi pour juge de mes vœux.
SCÈNE V.
TITE, BÉRÉNICE, DOMITIAN, ALBIN,
FLAVIAN, PHILON.
(Domitian entre [282].)
TITE.
Allez dire au sénat, Flavian, qu'il se lève:
Quoi qu'il ait commencé, je défends qu'il achève.1660
Soit qu'il parle à présent du Vésuve [283] ou de moi,
Qu'il cesse, et que chacun se retire chez soi.
Ainsi le veut la Reine; et comme amant fidèle,
Je veux qu'il obéisse aux lois que je prends d'elle,
Qu'il laisse à notre amour régler notre intérêt. 1665
DOMITIAN.
Il n'est plus temps, Seigneur; j'en apporte l'arrêt.
TITE.
Qu'ose-t-il m'ordonner?
DOMITIAN.
Seigneur, il vous conjure
De remplir tout l'espoir d'une flamme si pure.
Des services rendus à vous, à tout l'État,
C'est le prix qu'a jugé lui devoir le sénat; 1670
Et pour ne vous prier que pour une Romaine,
D'une commune voix Rome adopte la Reine;
Et le peuple à grands cris montre sa passion
De voir un plein effet de cette adoption.
TITE.
Madame....
BÉRÉNICE.
Permettez, Seigneur, que je prévienne
Ce que peut votre flamme accorder à la mienne.
Grâces au juste ciel, ma gloire en sûreté
N'a plus à redouter aucune indignité.
J'éprouve du sénat l'amour et la justice,
Et n'ai qu'à le vouloir pour être impératrice. 1680
Je n'abuserai point d'un surprenant respect
Qui semble un peu bien prompt pour n'être point suspect:
Souvent on se dédit de tant de complaisance.
Non que vous ne puissiez en fixer l'inconstance:
Si nous avons trop vu ses flux et ses reflux 1685
Pour Galba, pour Othon, et pour Vitellius,
Rome, dont aujourd'hui vous êtes les délices [284],
N'aura jamais pour vous ces insolents caprices;
Mais aussi cet amour qu'a pour vous l'univers
Ne vous peut garantir des ennemis couverts. 1690
Un million de bras a beau garder un maître,
Un million de bras ne pare point d'un traître:
Il n'en faut qu'un pour perdre un prince aimé de tous,
Il n'y faut qu'un brutal qui me haïsse en vous;
Aux zèles indiscrets tout paroît légitime, 1695
Et la fausse vertu se fait honneur du crime.
Rome a sauvé ma gloire en me donnant sa voix:
Sauvons-lui, vous et moi, la gloire de ses lois;
Rendons-lui, vous et moi, cette reconnoissance
D'en avoir pour vous plaire affoibli la puissance,1700
De l'avoir immolée à vos plus doux souhaits.
On nous aime: faisons qu'on nous aime à jamais.
D'autres sur votre exemple épouseroient des reines
Qui n'auroient pas, Seigneur, des âmes si romaines,
Et lui feroient peut-être avec trop de raison 1705
Haïr votre mémoire et détester mon nom.
Un refus généreux de tant de déférence
Contre tous ces périls nous met en assurance.
TITE.
Le ciel de ces périls saura trop nous garder.
BÉRÉNICE.
Je les vois de trop près pour vous y hasarder. 1710
TITE.
Quand Rome vous appelle à la grandeur suprême....
BÉRÉNICE.
Jamais un tendre amour n'expose ce qu'il aime.
TITE.
Mais, Madame, tout cède, et nos vœux exaucés....
BÉRÉNICE.
Votre cœur est à moi, j'y règne; c'est assez [285].
TITE.
Malgré les vœux publics refuser d'être heureuse,1715
C'est plus craindre qu'aimer.
BÉRÉNICE.
La crainte est amoureuse.
Ne me renvoyez pas, mais laissez-moi partir.
Ma gloire ne peut croître, et peut se démentir.
Elle passe aujourd'hui celle du plus grand homme,
Puisqu'enfin je triomphe et dans Rome et de Rome:
J'y vois à mes genoux le peuple et le sénat;
Plus j'y craignois de honte, et plus j'y prends d'éclat;
J'y tremblois sous sa haine, et la laisse impuissante;
J'y rentrois exilée, et j'en sors triomphante.
TITE.
BÉRÉNICE.
La raison me la fait malgré vous, malgré moi [286].
Si je vous en croyois, si je voulois m'en croire,
Nous pourrions vivre heureux, mais avec moins de gloire.
Épousez Domitie: il ne m'importe plus
Qui vous enrichissiez d'un si noble refus [287].1730
C'est à force d'amour que je m'arrache au vôtre;
Et je serois à vous, si j'aimois comme une autre [288].
Adieu, Seigneur: je pars.
TITE.
Ah! Madame, arrêtez.
DOMITIAN.
Est-ce là donc pour moi l'effet de vos bontés,
Madame? Est-ce le prix de vous avoir servie? 1735
J'assure votre gloire, et vous m'ôtez la vie.
TITE.
Ne vous alarmez point: quoi que la Reine ait dit,
Domitie est à vous, si j'ai quelque crédit.
Madame, en ce refus un tel amour éclate,
Que j'aurois pour vous l'âme au dernier point ingrate,
Et mériterois mal ce qu'on a fait pour moi,
Si je portois ailleurs la main que je vous doi.
Tout est à vous: l'amour, l'honneur, Rome l'ordonne.
Un si noble refus n'enrichira personne,
J'en jure par l'espoir qui nous fut le plus doux:1745
Tout est à vous, Madame, et ne sera qu'à vous;
Et ce que mon amour doit à l'excès du vôtre
Ne deviendra jamais le partage d'une autre [289].
BÉRÉNICE.
Le mien vous auroit fait déjà ces beaux serments,
S'il n'eût craint d'inspirer de pareils sentiments:1750
Vous vous devez des fils, et des Césars à Rome,
Qui fassent à jamais revivre un si grand homme.
TITE.
Pour revivre en des fils nous n'en mourons pas moins,
Et vous mettez ma gloire au-dessus de ces soins.
Du levant au couchant, du More [290] jusqu'au Scythe,1755
Les peuples vanteront et Bérénice et Tite;
Et l'histoire à l'envi forcera l'avenir
D'en garder à jamais l'illustre souvenir [291].
Prince, après mon trépas soyez sûr de l'empire;
Prenez-y part en frère, attendant que j'expire.1760
Allons voir Domitie, et la fléchir pour vous.
Le premier rang dans Rome est pour elle assez doux;
Et je vais lui jurer qu'à moins que je périsse,
Elle seule y tiendra celui d'impératrice.
Est-ce là vous l'ôter?
DOMITIAN.
Ah! c'en est trop, Seigneur. 1765
TITE, à Bérénice.
Daignez contribuer à faire son bonheur,
Madame, et nous aider à mettre de cette âme
Toute l'ambition d'accord avec sa flamme.
BÉRÉNICE.
TITE.
Ainsi pour mon hymen la fête préparée
Vous rendra cette foi qu'on vous avoit jurée,
Prince; et ce jour, pour vous [292] si noir, si rigoureux,
N'aura d'éclat ici que pour vous rendre heureux.
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
PSYCHÉ
TRAGÉDIE-BALLET
1671
NOTICE.
Le sujet de Psyché était certes un des plus beaux que la fable pût offrir à l'admiration d'une cour galante, curieuse des merveilles des décorations et des machines, mais aimant avant toutes choses l'expression élégante et fine des nuances les plus délicates de la passion.
Il dut, pour plus d'un motif, se présenter à la pensée de Molière, chargé par le Roi de faire jouer pour le carnaval de 1671 une pièce à grand spectacle. D'abord, en 1656, Benserade avait fait un ballet de Psyché, qui avait été dansé par Louis XIV. Ensuite, si l'on en croit M. de Soleirol [293], il semble résulter de l'examen d'une suite de quarante et un dessins de costumes, que la troupe de notre grand comique avait déjà joué à Rouen, en 1658, une Psyché: toutefois on manque absolument de renseignements à cet égard, et la Psyché de Rouen pourrait bien n'être qu'un simple divertissement, imité du ballet de Benserade. Enfin en 1669, deux ans avant la représentation de la pièce qui nous occupe, la Fontaine s'était plu à imiter le récit d'Apulée et à l'accommoder, avec un art infini, au goût et aux sentiments modernes. Suivant une opinion qui ne manque pas de vraisemblance, Molière est, sous le nom de Gélaste, l'un des quatre amis, de caractère si différent, que nous présente la Fontaine au commencement de son ouvrage. Il était donc naturel qu'il fût préoccupé de ce sujet, et peut-être s'arrêta-t-il plus volontiers encore à l'idée de le mettre à la scène, s'il est vrai qu'on lui avait recommandé d'utiliser une décoration des enfers. Cette décoration, conservée avec grand soin au Garde-Meuble [294], trouvait naturellement sa place dans Psyché; mais il faudrait se garder d'accorder trop de confiance à cette petite tradition. Quoi qu'il en soit, il ne suffisait point d'avoir trouvé cet heureux canevas, il fallait le remplir, et, malgré sa diligence habituelle, Molière craignait de ne pas être en mesure de faire représenter cet ouvrage au carnaval; il implora donc le secours de Corneille, qui lui prêta son aide pendant une quinzaine de jours [295], et se mit à écrire de verve la plus grande partie de la pièce: ce fut lui qui fournit, entre autres scènes, la charmante déclaration de Psyché [296], si délicate, si passionnée, et par laquelle les doucereux, comme les appelait notre illustre poëte tragique, durent assurément se laisser gagner.
Cette pièce fut représentée dans une salle nouvelle que Louis XIV avait fait construire tout exprès pour les divertissements de ce genre. Dans son Idée des spectacles anciens et nouveaux [297], l'abbé de Pure décrit ainsi «le grand et superbe salon que le Roi conçut et fit faire fixe et permanent pour les divers spectacles, et pour les délassements de son esprit et le divertissement de ses peuples:»
«Ce grand prince, qui se connoît parfaitement à tout, et qui a de grandes pensées jusque dans les plus petites choses, en donna l'ordre et le soin au sieur Gaspard Vigarani. Le lieu fut malaisé à choisir; et feu Monsieur le Cardinal, en partant de Paris pour aller travailler à la paix sur la frontière, avoit prétendu faire un théâtre de bois dans la place qui est derrière son palais. L'espace étoit à la vérité assez grand, mais le sieur Vigarani ne le trouva ni assez propre, ni assez commode, soit pour la durée, soit pour la majesté, soit pour le mouvement des grandes machines qu'il avoit projetées. Comme il étoit aussi judicieux qu'inventif, il proposa de bâtir une salle grande et spacieuse dans les alignements du dessein du Louvre, dont les dehors symétriques avec le reste de la façade l'affranchiroient de toute ruine et de tous changements. Le Roi agréa fort cette proposition, et les ordres furent donnés à M. Ratabon [298] de hâter l'ouvrage, et au sieur Vigarani de préparer ses machines. En voici les dimensions et le devis, tant du dedans que du dehors, qui m'a été donné par le sieur Charles Vigarani, fils de Gaspard.... Le corps de la salle est partagé en deux parties inégales. La première comprend le théâtre et ses accompagnements; la seconde contient le parterre, les corridors et loges qui font face au théâtre, et qui occupent le reste du salon de trois côtés, l'un qui regarde la cour, l'autre le jardin, et le troisième le corps du palais des Tuileries. La première partie, ou le théâtre, qui s'ouvre par une façade également riche et artiste, depuis son ouverture jusqu'à la muraille qui est du côté du pavillon, vers les vieilles écuries, a de profondeur vingt-deux toises. Son ouverture est de trente-deux pieds sur la largeur ou entre les corridors et châssis qui règnent des deux côtés. La hauteur ou celle des châssis est de vingt-quatre pieds jusques aux nuages. Par-dessus les nuages jusqu'au tirant du comble, pour la retraite ou pour le mouvement des machines, il y a trente-sept pieds. Sous le plancher ou parquet du théâtre, pour les enfers ou pour les changements des mers, il y a quinze pieds de profond.... La seconde partie, ou celle du parterre, qui est du côté de l'appartement des Tuileries, a de largeur entre les deux murs soixante-trois pieds, entre les corridors quarante-neuf. Sa profondeur, depuis le théâtre jusqu'au susdit appartement, est de quatre-vingt-treize pieds; chaque corridor est de six pieds; et la hauteur du parterre jusqu'au plafond est de quarante-neuf pieds. Ce plafond a deux beautés aussi riches que surprenantes, par sa dorure et par sa dureté. Celle-ci est toutefois la plus considérable, quoique la matière en soit commune et de peu de prix, car ce n'est que du carton, mais composé et pétri d'une manière si particulière, qu'il est rendu aussi dur que la pierre et que les plus solides matières. Le reste de la hauteur jusqu'au comble, où sont les rouages et les mouvements, est de soixante-deux pieds. Il y a encore une manière aussi nouvelle que hardie d'enter une poutre l'une dans l'autre et de confier aux deux, sur quelque longueur que ce soit, toute sorte de pesanteur et de machine. Il en a rendu raison à divers physiciens, et a sauvé par cette invention et les dépenses d'avoir des poutres assez grandes ou assez fortes pour de tels bâtiments, et le péril de les voir s'affaisser et même rompre après fort peu de durée.»
En tête du programme in-4o de la pièce, intitulé: «Psiché, tragi-comédie et ballet dansé devant Sa Majesté au mois de Ianvier 1671,» et publié à Paris par Robert Ballard dans le courant de la même année, se trouve une autre description de la sale, beaucoup moins technique, et que nous croyons devoir reproduire parce qu'elle éclaircit et complète la précédente; elle est d'ailleurs beaucoup plus courte:
«Le lieu destiné pour la représentation, et pour les spectateurs de cet assemblage de tant de magnifiques divertissements, est une salle faite exprès pour les plus grandes fêtes, et qui seule peut passer pour un très-superbe spectacle. Sa longueur est de quarante toises; elle est partagée en deux parties: l'une est pour le théâtre, et l'autre pour l'assemblée. Cette dernière partie est celle que l'on voit la première; elle a des beautés qui amusent agréablement les regards jusques au moment où la scène doit s'ouvrir. La face du théâtre, ainsi que les deux retours, est un grand ordre corinthien, qui comprend toute la hauteur de l'édifice. On entre dans le parterre par deux portes différentes, à droit et à gauche; ces entrées ont des deux côtés des colonnes sur des piédestaux, et des pilastres carrés élevés à la hauteur du théâtre. On monte ensuite sur un haut dais réservé pour les places des personnes royales et de ce qu'il y a de plus considérable à la cour. Cet espace est bordé d'une balustrade par devant, et de degrés en amphithéâtre tout à l'entour; des colonnes, posées sur le haut de ces degrés, soutiennent des galeries, sous lesquelles, entre les colonnes, on a placé des balcons, qui sont ornés, ainsi que le plafond, et tout ce qui paroît dans la salle, de ce que l'architecture, la sculpture, la peinture et la dorure ont de plus beau, de plus riche, et de plus éclatant.»
Ajoutons que l'éclairage était des plus brillants: «Trente lustres qui éclairent la salle de l'assemblée, lit-on en tête du prologue dans le même programme, se haussent pour laisser la vue du spectacle libre dans le moment que la toile qui ferme le théâtre se lève.»
Cette belle salle ne servit que pour cet ouvrage: après les représentations de Psyché, «elle fut abandonnée, jusqu'en 1716 qu'on la raccommoda pour les ballets qui y furent exécutés [299].»
La première représentation de Psyché eut lieu, suivant toute apparence, le 16 janvier. Il est vrai que la Gazette donne la date du 17; mais, comme en terminant son article le journaliste annonce que ce divertissement fut continué le 17, on doit penser qu'il y a une faute d'impression dans la première phrase. Voici, du reste, le texte exact de ce compte rendu, dans lequel nous supprimons seulement une analyse très-peu intéressante de l'ouvrage:
«Le 17 de ce mois, Leurs Majestés, avec lesquelles étoient Monseigneur le Dauphin, Monsieur, Mademoiselle d'Orléans, et tous les seigneurs et dames de la cour, prirent pour la première fois, dans la salle des machines, au palais des Tuileries, le divertissement d'un grand ballet dansé dans les entr'actes de la comédie de Psyché.... Ce pompeux divertissement.... fut continué le 17, en présence du nonce du pape, de l'ambassadeur de Venise, et de quelques autres ministres, qui en admirèrent la magnificence et la galanterie, avouant, avec grand nombre d'autres étrangers, qu'il n'y a que la cour de France et son incomparable monarque qui puissent produire de si charmants et si éclatants spectacles [300].»
La Gazette du 31 janvier nous apprend que la cour, qui s'était établie pendant quelques jours à Vincennes [301], s'empressa, aussitôt revenue, d'aller admirer de nouveau le spectacle qui l'avait charmée:
«Le 24, Leurs Majestés retournèrent en cette ville, où elles ont continué plusieurs soirs le divertissement du grand ballet dansé au palais des Tuileries dans la salle des machines, auquel il ne se peut rien ajouter pour la magnificence des décorations, le nombre des changements, la beauté du sujet, l'excellence des concerts, et pour toutes les autres choses qui rendent ce spectacle digne de la plus belle cour du monde [302].»
Le programme de Psyché, dont nous avons extrait la description de la sale des Tuileries, renferme une explication détaillée des décorations et des machines, une analyse sommaire de la pièce, et des listes contenant non-seulement les noms des acteurs de la troupe de Molière qui représentèrent les divers personnages, mais encore ceux des chanteurs et des danseurs qui figuraient dans chaque intermède. Ces détails, qui ne se rattachent en rien à la part que Corneille prit à l'ouvrage, auraient ici peu d'intérêt; ils trouveront plus naturellement leur place dans la nouvelle édition des Œuvres de Molière que prépare M. Soulié. Nous nous sommes contentés de joindre en tête de la pièce, au nom de chaque personnage, celui de l'acteur. Psyché, qui avait inauguré la salle des Tuileries, ne fut jouée dans celle de Molière que lorsqu'elle eut été réparée et agrandie, et d'importantes améliorations datent de l'époque où elle y fut représentée.
«Il a été résolu, dit Lagrange dans son Registre,... d'avoir dorénavant, à toutes sortes de représentations, tant simples que de machines, un concert de douze violons, ce qui n'a été exécuté qu'après la représentation de Psyché. Sur ladite délibération de la troupe, on a commencé à travailler auxdits ouvrages de réparation et de décoration de la salle le 18e mars, qui étoit un mercredi, et on a fini un mercredi 15e avril de la présente année. Ledit jour, mercredi 15e avril, après une délibération de la compagnie de représenter Psyché, qui avoit été faite pour le Roi l'hiver dernier et représentée sur le grand théâtre du palais des Tuileries, on commença à faire travailler tant aux machines, décorations, musique, ballets, et généralement tous les ornements nécessaires pour ce grand spectacle. Jusques ici les musiciens et musiciennes n'avoient point voulu paroître en public; ils chantoient à la comédie dans des loges grillées et treillissées; mais on surmonta cet obstacle, et avec quelque légère dépense, on trouva des personnes qui chantèrent sur le théâtre à visage découvert, habillées comme les comédiens.... Tous lesdits frais et dépenses pour la préparation de Psyché se sont montés à la somme de quatre mille trois cent cinquante-neuf livres quinze sols. Dans le cours de la pièce, M. de Beauchamps a reçu de récompense, pour avoir fait les ballets et conduit la musique, onze cents livres, non compris les onze livres par jour que la troupe lui a données tant pour battre la mesure à la musique que pour entretenir les ballets.»
Après tous ces préparatifs et de nombreuses répétitions, Psyché fut enfin représentée le 24 juillet [303], et procura trente-huit belles recettes à la troupe de Molière.
Nous n'avons pas les noms des acteurs qui jouèrent alors, mais il est certain que la distribution des rôles différa très-peu, du moins quant aux principaux personnages, de celle qui avait eu lieu pour la représentation des Tuileries. La femme de Molière, Armande Béjart, jouait Psyché, Baron l'Amour, et l'on prétend que leur intimité date de cette époque [304].
Un an s'était à peine écoulé depuis ces représentations de Psyché au palais Royal, qu'on songeait déjà à reprendre cette pièce. Nous lisons dans les «nouvelles du 30e de juillet jusques au 6e d'août» du Mercure galant [305]: «On verra au commencement de l'hiver le grand spectacle de Psyché triompher encore sur le théâtre du Palais-Royal.» En effet, le registre de Lagrange en mentionne la reprise au 11 novembre 1672, et compte trente-deux représentations, dont la dernière eut lieu le dimanche 22 janvier 1673. Sous la date du 27 décembre 1672, on lit: «Monsieur et Madame sont venus aujourd'hui à Psyché et ont eu deux bancs de l'amphithéâtre, et pour cette fois et deux autres ils ont donné quatre cent quarante livres.»
«La tragi-comédie de Psyché, disent les frères Parfait [306], a été reprise plusieurs fois, mais la plus brillante de ces reprises est celle du 1er juin 1703.» Parvenus à cette année, ils nous rendent ainsi compte de cette reprise [307]: «Le 1er juin [308], les comédiens remirent au théâtre la tragédie-ballet de Psyché, de M. Molière, qui eut vingt-neuf représentations, la dernière le 1er août suivant. Ce qui contribua beaucoup au succès de cette remise, c'est qu'indépendamment des dépenses que la compagnie avoit faites pour donner cette tragédie avec éclat, en y joignant de brillantes décorations, des machines dont l'exécution étoit parfaite, et des ballets de goût et bien rendus, l'actrice qui représentoit le personnage de Psyché [309] et l'acteur qui jouoit celui de l'Amour [310], quoique excellents tous deux, se surpassèrent encore dans ces deux rôles; on dit qu'ils ressentoient l'un pour l'autre la plus vive tendresse, et que leurs talents supérieurs ne furent employés que pour marquer avec plus de précision les sentiments de leurs cœurs [311].»
Il est certes fort surprenant que le père et le fils aient ainsi produit successivement dans ce rôle une illusion à laquelle les actrices mêmes qui jouaient avec eux ne pouvaient se soustraire, et il est permis de soupçonner ces récits d'un peu d'exagération. Il faut convenir toutefois que les temps sont bien changés, car lorsqu'on voulut de nos jours reprendre Psyché au Théâtre français, on ne songea pas même à chercher un comédien assez heureusement doué pour remplir le personnage difficile de l'Amour, dont le rôle fut confié à une femme [312].
L'édition originale, de format in-12, a pour titre exact: Psiché, tragedie-ballet, par I. B. P. Moliere. Et se vend pour l'autheur, à Paris, chez P. le Monnier, au Palais.... M.DC.LXXI.
Le volume se compose de 2 feuillets, de 90 pages et d'un feuillet. Le privilége est du 31 décembre 1670, et par conséquent antérieur d'une quinzaine de jours à la représentation.
L'opéra de Psyché, joué neuf ans après la tragédie-ballet de Molière, le 9 avril 1678, a, quant au plan, beaucoup d'analogie avec cet ouvrage; on y a même conservé les intermèdes de Quinault. Cette œuvre lyrique porte généralement le nom de Thomas Corneille; mais Fontenelle passe pour y avoir eu part aussi bien qu'à l'opéra de Bellérophon [313].
En tête de l'édition originale et des diverses réimpressions de Psyché, on lit l'Avis suivant:
LE LIBRAIRE AU LECTEUR.
Cet ouvrage n'est pas tout d'une main. M. Quinault a fait les paroles qui s'y chantent en musique, à la réserve de la plainte italienne [314]. M. de Molière [315] a dressé le plan de la pièce et réglé la disposition, où il s'est plus attaché aux beautés et à la pompe du spectacle qu'à l'exacte régularité. Quant à la versification, il n'a pas eu le loisir de la faire entière. Le carnaval approchoit; et les ordres pressants du Roi, qui se vouloit donner ce magnifique divertissement plusieurs fois avant le carême, l'ont mis dans la nécessité de souffrir un peu de secours. Ainsi il n'y a que le prologue, le premier acte, la première scène du second, et la première du troisième, dont les vers soient de lui. M. Corneille [316] a employé une quinzaine au reste; et par ce moyen Sa Majesté s'est trouvée servie dans le temps qu'elle l'avoit ordonné [317].