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Œuvres de P. Corneille, Tome 07

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ACTE II.


SCÈNE PREMIÈRE.

PACORUS, SURÉNA.

PACORUS.

Suréna, votre zèle a trop servi mon père

Pour m'en laisser attendre un devoir moins sincère;350

Et si près d'un hymen qui doit m'être assez doux,

Je mets ma confiance et mon espoir en vous.

Palmis avec raison de cet hymen murmure;

Mais je puis réparer ce qu'il lui fait d'injure;

Et vous n'ignorez pas qu'à former ces grands nœuds355

Mes pareils ne sont point tout à fait maîtres d'eux.

Quand vous voudrez tous deux attacher vos tendresses,

Il est des rois pour elle, et pour vous des princesses,

Et je puis hautement vous engager ma foi

Que vous ne vous plaindrez du prince ni du Roi.360

SURÉNA.

Cessez de me traiter, Seigneur, en mercenaire:

Je n'ai jamais servi par espoir de salaire;

La gloire m'en suffit, et le prix que reçoit....

PACORUS.

Je sais ce que je dois quand on fait ce qu'on doit,

Et si de l'accepter ce grand cœur vous dispense,365

Le mien se satisfait alors qu'il récompense.

J'épouse une princesse en qui les doux accords

Des grâces de l'esprit avec celles du corps

Forment le plus brillant et plus noble assemblage

Qui puisse orner une âme et parer un visage.370

Je n'en dis que ce mot; et vous savez assez

Quels en sont les attraits, vous qui la connoissez.

Cette princesse donc, si belle, si parfaite,

Je crains qu'elle n'ait pas ce que plus je souhaite:

Qu'elle manque d'amour, ou plutôt que ses vœux 375

N'aillent pas tout à fait du côté que je veux.

Vous qui l'avez tant vue, et qu'un devoir fidèle

A tenu si longtemps près de son père et d'elle,

Ne me déguisez point ce que dans cette cour

Sur de pareils soupçons vous auriez eu de jour. 380

SURÉNA.

Je la voyois, Seigneur, mais pour gagner son père:

C'étoit tout mon emploi, c'étoit ma seule affaire;

Et je croyois par elle être sûr de son choix;

Mais Rome et son intrigue eurent le plus de voix.

Du reste, ne prenant intérêt à m'instruire 385

Que de ce qui pouvoit vous servir ou vous nuire,

Comme je me bornois à remplir ce devoir,

Je puis n'avoir pas vu ce qu'un autre eût pu voir.

Si j'eusse pressenti que la guerre achevée,

A l'honneur de vos feux elle étoit réservée,390

J'aurois pris d'autres soins, et plus examiné;

Mais j'ai suivi mon ordre, et n'ai point deviné.

PACORUS.

Quoi? de ce que je crains vous n'auriez nulle idée?

Par aucune ambassade on ne l'a demandée?

Aucun prince auprès d'elle, aucun digne sujet 395

Par ses attachements n'a marqué de projet?

Car il vient quelquefois du milieu des provinces

Des sujets en nos cours qui valent bien des princes;

Et par l'objet présent les sentiments émus

N'attendent pas toujours des rois qu'on n'a point vus.400

SURÉNA.

Durant tout mon séjour rien n'y blessoit ma vue;

Je n'y rencontrois point de visite assidue,

Point de devoirs suspects, ni d'entretiens si doux

Que si j'avois aimé, j'en dusse être jaloux.

Mais qui vous peut donner cette importune crainte,405

Seigneur?

PACORUS.

Plus je la vois, plus j'y vois de contrainte:

Elle semble, aussitôt que j'ose en approcher,

Avoir je ne sais quoi qu'elle me veut cacher;

Non qu'elle ait jusqu'ici demandé de remise;

Mais ce n'est pas m'aimer, ce n'est qu'être soumise; 410

Et tout le bon accueil que j'en puis recevoir,

Tout ce que j'en obtiens ne part que du devoir.

SURÉNA.

N'en appréhendez rien. Encor toute étonnée,

Toute tremblante encore au seul nom d'hyménée,

Pleine de son pays, pleine de ses parents,415

Il lui passe en l'esprit cent chagrins différents.

PACORUS.

Mais il semble, à la voir, que son chagrin s'applique

A braver par dépit l'allégresse publique:

Inquiète, rêveuse, insensible aux douceurs

Que par un plein succès l'amour verse en nos cœurs....

SURÉNA.

Tout cessera, Seigneur, dès que sa foi reçue

Aura mis en vos mains la main qui vous est due:

Vous verrez ces chagrins détruits en moins d'un jour,

Et toute sa vertu devenir toute [452] amour.

PACORUS.

C'est beaucoup hasarder que de prendre assurance 425

Sur une si légère et douteuse espérance;

Et qu'aura cet amour d'heureux, de singulier,

Qu'à son trop de vertu je devrai tout entier?

Qu'aura-t-il de charmant, cet amour, s'il ne donne

Que ce qu'un triste hymen ne refuse à personne, 430

Esclave dédaigneux d'une odieuse loi

Qui n'est pour toute chaîne attaché qu'à sa foi?

Pour faire aimer ses lois, l'hymen ne doit en faire

Qu'afin d'autoriser la pudeur à se taire.

Il faut, pour rendre heureux, qu'il donne sans gêner, 435

Et prête un doux prétexte à qui veut tout donner.

Que sera-ce, grands Dieux! si toute ma tendresse

Rencontre un souvenir plus cher à ma princesse,

Si le cœur pris ailleurs ne s'en arrache pas,

Si pour un autre objet il soupire en mes bras? 440

Il faut, il faut enfin m'éclaircir avec elle.

SURÉNA.

Seigneur, je l'aperçois; l'occasion est belle.

Mais si vous en tirez quelque éclaircissement

Qui donne à votre crainte un juste fondement,

Que ferez-vous?

PACORUS.

J'en doute, et pour ne vous rien feindre,

Je crois m'aimer [453] assez pour ne la pas contraindre;

Mais tel chagrin aussi pourroit me survenir,

Que je l'épouserois afin de la punir.

Un amant dédaigné souvent croit beaucoup faire

Quand il rompt le bonheur de ce qu'on lui préfère. 450

Mais elle approche. Allez, laissez-moi seul agir:

J'aurois peur devant vous d'avoir trop à rougir.

SCÈNE II.

PACORUS, EURYDICE.

PACORUS.

Quoi? Madame, venir vous-même à ma rencontre!

Cet excès de bonté que votre cœur me montre....

EURYDICE.

J'allois chercher Palmis, que j'aime à consoler455

Sur un malheur qui presse et ne peut reculer.

PACORUS.

Laissez-moi vous parler d'affaires plus pressées,

Et songez qu'il est temps de m'ouvrir vos pensées:

Vous vous abuseriez à les plus retenir.

Je vous aime, et demain l'hymen doit nous unir: 460

M'aimez-vous?

EURYDICE.

Oui, Seigneur, et ma main vous est sûre.

PACORUS.

C'est peu que de la main, si le cœur en murmure.

EURYDICE.

Quel mal pourroit causer le murmure du mien,

S'il murmuroit si bas qu'aucun n'en apprît rien?

PACORUS.

Ah! Madame, il me faut un aveu plus sincère. 465

EURYDICE.

Épousez-moi, Seigneur, et laissez-moi me taire:

Un pareil doute offense, et cette liberté

S'attire quelquefois trop de sincérité.

PACORUS.

C'est ce que je demande, et qu'un mot sans contrainte

Justifie aujourd'hui mon espoir ou ma crainte. 470

Ah! si vous connoissiez ce que pour vous je sens!

EURYDICE.

Je ferois ce que font les cœurs obéissants,

Ce que veut mon devoir, ce qu'attend votre flamme,

Ce que je fais enfin.

PACORUS.

Vous feriez plus, Madame:

Vous me feriez justice, et prendriez plaisir 475

A montrer que nos cœurs ne forment qu'un desir.

Vous me diriez sans cesse: «Oui, prince, je vous aime,

Mais d'une passion comme la vôtre extrême;

Je sens le même feu, je fais les mêmes vœux;

Ce que vous souhaitez est tout ce que je veux; 480

Et cette illustre ardeur ne sera point contente,

Qu'un glorieux hymen n'ait rempli notre attente.»

EURYDICE.

Pour vous tenir, Seigneur, un langage si doux,

Il faudroit qu'en amour j'en susse autant que vous.

PACORUS.

Le véritable amour, dès que le cœur soupire, 485

Instruit en un moment de tout ce qu'on doit dire.

Ce langage à ses feux n'est jamais importun,

Et si vous l'ignorez, vous n'en sentez aucun.

EURYDICE.

Suppléez-y, Seigneur, et dites-vous vous-même

Tout ce que sent un cœur dès le moment qu'il aime;490

Faites-vous-en pour moi le charmant entretien:

J'avouerai tout, pourvu que je n'en dise rien.

PACORUS.

Ce langage est bien clair, et je l'entends sans peine.

Au défaut de l'amour, auriez-vous de la haine?

Je ne veux pas le croire, et des yeux si charmants....495

EURYDICE.

Seigneur, sachez pour vous quels sont mes sentiments.

Si l'amitié vous plaît, si vous aimez l'estime,

A vous les refuser [454] je croirois faire un crime;

Pour le cœur, si je puis vous le dire entre nous,

Je ne m'aperçois point qu'il soit encore à vous. 500

PACORUS.

Ainsi donc ce traité qu'ont fait les deux couronnes....

EURYDICE.

S'il a pu l'une à l'autre engager nos personnes,

Au seul don de la main son droit est limité,

Et mon cœur avec vous n'a point fait de traité.

C'est sans vous le devoir que je fais mon possible 505

A le rendre pour vous plus tendre et plus sensible:

Je ne sais si le temps l'y pourra disposer;

Mais qu'il le puisse ou non, vous pouvez m'épouser.

PACORUS.

Je le puis, je le dois, je le veux; mais, Madame,

Dans ces tristes froideurs dont vous payez ma flamme,

Quelque autre amour plus fort....

EURYDICE.

Qu'osez-vous demander,

Prince?

PACORUS.

De mon bonheur ce qui doit décider.

EURYDICE.

Est-ce un aveu qui puisse échapper à ma bouche?

PACORUS.

Il est tout échappé, puisque ce mot vous touche.

Si vous n'aviez du cœur fait ailleurs l'heureux don,515

Vous auriez moins de gêne à me dire que non;

Et pour me garantir de ce que j'appréhende,

La réponse avec joie eût suivi la demande.

Madame, ce qu'on fait sans honte et sans remords

Ne coûte rien à dire, il n'y faut point d'efforts; 520

Et sans que la rougeur au visage nous monte....

EURYDICE.

Ah! ce n'est point pour moi que je rougis de honte.

Si j'ai pu faire un choix, je l'ai fait assez beau

Pour m'en faire un honneur jusque dans le tombeau;

Et quand je l'avouerai, vous aurez lieu de croire525

Que tout mon avenir en aimera la gloire.

Je rougis, mais pour vous, qui m'osez demander

Ce qu'on doit avoir peine à se persuader;

Et je ne comprends point avec quelle prudence

Vous voulez qu'avec vous j'en fasse confidence, 530

Vous qui près d'un hymen accepté par devoir,

Devriez sur ce point craindre de trop savoir.

PACORUS.

Mais il est fait, ce choix qu'on s'obstine à me taire,

Et qu'on cherche à me dire avec tant de mystère?

EURYDICE.

Je ne vous le dis point; mais si vous m'y forcez,535

Il vous en coûtera plus que vous ne pensez.

PACORUS.

Eh bien! Madame, eh bien! sachons, quoi qu'il en coûte,

Quel est ce grand rival qu'il faut que je redoute.

Dites, est-ce un héros? est-ce un prince? est-ce un roi?

EURYDICE.

C'est ce que j'ai connu de plus digne de moi.540

PACORUS.

Si le mérite est grand, l'estime est un peu forte.

EURYDICE.

Vous la pardonnerez à l'amour qui s'emporte:

Comme vous le forcez à se trop expliquer,

S'il manque de respect, vous l'en faites manquer.

Il est si naturel d'estimer ce qu'on aime,545

Qu'on voudroit que partout on l'estimât de même;

Et la pente est si douce à vanter ce qu'il vaut,

Que jamais on ne craint de l'élever trop haut.

PACORUS.

C'est en dire beaucoup.

EURYDICE.

Apprenez davantage,

Et sachez que l'effort où mon devoir m'engage 550

Ne peut plus me réduire à vous donner demain

Ce qui vous étoit sûr, je veux dire ma main.

Ne vous la promettez qu'après que dans mon âme

Votre mérite aura dissipé cette flamme,

Et que mon cœur, charmé par des attraits plus doux,

Se sera répondu de n'aimer rien que vous;

Et ne me dites point que pour cet hyménée

C'est par mon propre aveu qu'on a pris la journée:

J'en sais la conséquence, et diffère à regret;

Mais puisque vous m'avez arraché mon secret,560

Il n'est ni roi, ni père, il n'est prière, empire,

Qu'au péril de cent morts mon cœur n'ose en dédire.

C'est ce qu'il n'est plus temps de vous dissimuler,

Seigneur; et c'est le prix de m'avoir fait parler.

PACORUS.

A ces bontés, Madame, ajoutez une grâce; 565

Et du moins, attendant que cette ardeur se passe,

Apprenez-moi le nom de cet heureux amant

Qui sur tant de vertu règne si puissamment,

Par quelles qualités il a pu la surprendre.

EURYDICE.

Ne me pressez point tant, Seigneur, de vous l'apprendre.

Si je vous l'avois dit....

PACORUS.

Achevons.

EURYDICE.

Dès demain

Rien ne m'empêcheroit de lui donner la main.

PACORUS.

Il est donc en ces lieux, Madame?

EURYDICE.

Il y peut être,

Seigneur, si déguisé qu'on ne le peut connoître.

Peut-être en domestique est-il auprès de moi, 575

Peut-être s'est-il mis de la maison du Roi;

Peut-être chez vous-même il s'est réduit à feindre.

Craignez-le dans tous ceux que vous ne daignez craindre,

Dans tous les inconnus que vous aurez à voir;

Et plus que tout encor, craignez de trop savoir. 580

J'en dis trop; il est temps que ce discours finisse.

A Palmis que je vois rendez plus de justice;

Et puissent de nouveau ses attraits vous charmer,

Jusqu'à ce que le temps m'apprenne à vous aimer!

SCÈNE III.

PACORUS, PALMIS.

PACORUS.

Madame, au nom des Dieux, ne venez pas vous plaindre:

On me donne sans vous assez de gens à craindre;

Et je serois bientôt accablé de leurs coups,

N'étoit que pour asile on me renvoie à vous.

J'obéis, j'y reviens, Madame; et cette joie....

PALMIS.

Que n'y revenez-vous sans qu'on vous y renvoie! 590

Votre amour ne fait rien ni pour moi ni pour lui,

Si vous n'y revenez que par l'ordre d'autrui.

PACORUS.

N'est-ce rien que pour vous à cet ordre il défère?

PALMIS.

Non, ce n'est qu'un dépit qu'il cherche à satisfaire.

PACORUS.

Depuis quand le retour d'un cœur comme le mien 595

Fait-il si peu d'honneur qu'on ne le compte à rien?

PALMIS.

Depuis qu'il est honteux d'aimer un infidèle,

Que ce qu'un mépris chasse un coup d'œil le rappelle,

Et que les inconstants ne donnent point de cœurs

Sans être encor tous prêts [455] de les porter ailleurs.600

PACORUS.

Je le suis, je l'avoue, et mérite la honte

Que d'un retour suspect vous fassiez peu de conte [456].

Montrez-vous généreuse; et si mon changement

A changé votre amour en vif ressentiment,

Immolez un courroux si grand, si légitime, 605

A la juste pitié d'un si malheureux crime.

J'en suis assez puni sans que l'indignité....

PALMIS.

Seigneur, le crime est grand; mais j'ai de la bonté.

Je sais ce qu'à l'État ceux de votre naissance,

Tous maîtres qu'ils en sont, doivent d'obéissance:610

Son intérêt chez eux l'emporte sur le leur,

Et du moment qu'il parle, il fait taire le cœur.

PACORUS.

Non, Madame, souffrez que je vous désabuse:

Je ne mérite point l'honneur de cette excuse:

Ma légèreté seule a fait ce nouveau choix; 615

Nulles raisons d'État ne m'en ont fait de lois;

Et pour traiter la paix avec tant d'avantage,

On ne m'a point forcé de m'en faire le gage:

J'ai pris plaisir à l'être, et plus mon crime est noir,

Plus l'oubli que j'en veux me fera vous devoir. 620

Tout mon cœur....

PALMIS.

Entre amants qu'un changement sépare,

Le crime est oublié, sitôt qu'on le répare;

Et bien qu'il vous ait plu, Seigneur, de me trahir,

Je le dis malgré moi, je ne vous puis haïr.

PACORUS.

Faites-moi grâce entière, et songez à me rendre 625

Ce qu'un amour si pur, ce qu'une ardeur si tendre....

PALMIS.

Donnez-moi donc, Seigneur, vous-même, quelque jour,

Quelque infaillible voie à fixer votre amour;

Et s'il est un moyen....

PACORUS.

S'il en est? Oui, Madame,

Il en est de fixer tous les vœux de mon âme; 630

Et ce joug qu'à tous deux l'amour rendit si doux,

Si je ne m'y rattache, il ne tiendra qu'à vous.

Il est, pour m'arrêter sous un si digne empire,

Un office à me rendre, un secret à me dire.

La princesse aime ailleurs, je n'en puis plus douter, 635

Et doute quel rival s'en fait mieux écouter.

Vous êtes avec elle en trop d'intelligence

Pour n'en avoir pas eu toute la confidence:

Tirez-moi de ce doute, et recevez ma foi

Qu'autre que vous jamais ne régnera sur moi. 640

PALMIS.

Quel gage en est-ce, hélas! qu'une foi si peu sûre?

Le ciel la rendra-t-il moins sujette au parjure?

Et ces liens si doux, que vous avez brisés,

A briser de nouveau seront-ils moins aisés?

Si vous voulez, Seigneur, rappeler mes tendresses,645

Il me faut des effets, et non pas des promesses;

Et cette foi n'a rien qui me puisse ébranler,

Quand la main seule a droit de me faire parler.

PACORUS.

La main seule en a droit! Quand cent troubles m'agitent,

Que la haine, l'amour, l'honneur me sollicitent,650

Qu'à l'ardeur de punir je m'abandonne en vain,

Hélas! suis-je en état de vous donner la main?

PALMIS.

Et moi, sans cette main, Seigneur, suis-je maîtresse

De ce que m'a daigné confier la princesse,

Du secret de son cœur? Pour le tirer de moi,655

Il me faut vous devoir plus que je ne lui doi,

Être une autre vous-même [457]; et le seul hyménée

Peut rompre le silence où je suis enchaînée.

PACORUS.

Ah! vous ne m'aimez plus.

PALMIS.

Je voudrois le pouvoir;

Mais pour ne plus aimer que sert de le vouloir? 660

J'ai pour vous trop d'amour, et je le sens renaître

Et plus tendre et plus fort qu'il n'a dû jamais être.

Mais si....

PACORUS.

Ne m'aimez plus, ou nommez ce rival.

PALMIS.

Me préserve le ciel de vous aimer si mal!

Ce seroit vous livrer à des guerres nouvelles, 665

Allumer entre vous des haines immortelles....

PACORUS.

Que m'importe? et qu'aurai-je à redouter de lui,

Tant que je me verrai Suréna pour appui?

Quel qu'il soit, ce rival, il sera seul à plaindre:

Le vainqueur des Romains n'a point de rois à craindre.

PALMIS.

Je le sais; mais, Seigneur, qui vous peut engager

Aux soins de le punir et de vous en venger?

Quand son grand cœur charmé d'une belle princesse

En a su mériter l'estime et la tendresse,

Quel dieu, quel bon génie a dû lui révéler 675

Que le vôtre pour elle aimeroit à brûler?

A quels traits ce rival a-t-il dû le connoître,

Respecter de si loin des feux encore à naître,

Voir pour vous d'autres fers que ceux où vous viviez,

Et lire en vos destins plus que vous n'en saviez? 680

S'il a vu la conquête à ses vœux exposée,

S'il a trouvé du cœur la sympathie aisée,

S'être emparé d'un bien [458] où vous n'aspiriez pas,

Est-ce avoir fait des vols et des assassinats?

PACORUS.

Je le vois bien, Madame, et vous et ce cher frère 685

Abondez en raisons pour cacher le mystère:

Je parle, promets, prie, et je n'avance rien.

Aussi votre intérêt est préférable au mien;

Rien n'est plus juste; mais....

PALMIS.

Seigneur....

PACORUS.

Adieu, Madame:

Je vous fais trop jouir des troubles de mon âme.690

Le ciel se lassera de m'être rigoureux.

PALMIS.

Seigneur, quand vous voudrez, il fera quatre heureux [459].

FIN DU SECOND ACTE.

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