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Œuvres de P. Corneille, Tome 07

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SCÈNE III.

SPITRIDATE, ELPINICE.

SPITRIDATE.

Elle ne s'y fait pas, Madame, un grand effort,

Et feroit grâce entière à mon peu de mérite,230

Si votre âme avec elle étoit assez d'accord

Pour se vouloir saisir de ce qu'elle vous quitte.

Pour peu que vous daigniez écouter la raison,

Vous me devez cette justice,

Et prendre autant de part à voir ma guérison,235

Qu'en ont eu vos attraits à faire mon supplice.

ELPINICE.

Quoi? Seigneur, j'aurois part....

SPITRIDATE.

C'est trop dissimuler

La cause et la grandeur du mal qui me possède;

Et je me dois, Madame, au défaut du remède,

La vaine douceur d'en parler.240

Oui, vos yeux ont part à ma peine,

Ils en font plus de la moitié;

Et s'il n'est point d'amour pour en finir la gêne,

Il est pour l'adoucir des regards de pitié.

Quand je quittai la Perse, et brisai l'esclavage 245

Où, m'envoyant au jour, le ciel m'avoit soumis,

Je crus qu'il me falloit parmi ses ennemis

D'un protecteur puissant assurer l'avantage.

Cotys eut, comme moi, besoin de Lysander;

Et quand pour l'attacher lui-même à nos familles,250

Nous demandâmes ses deux filles,

Ce fut les obtenir que de les demander.

Par déférence au trône il lui promit l'aînée;

La jeune me fut destinée.

Comme nous ne cherchions tous deux que son appui, 255

Nous acceptâmes tout sans regarder que lui.

J'avois su qu'Aglatide étoit des plus aimables,

On m'avoit dit qu'à Sparte elle savoit charmer;

Et sur des bruits si favorables

Je me répondois de l'aimer.260

Que l'amour aime peu ces folles confiances!

Et que pour affermir son empire en tous lieux,

Il laisse choir souvent de cruelles vengeances

Sur qui promet son cœur sans l'aveu de ses yeux!

Ce sont les conseillers fidèles 265

Dont il prend les avis pour ajuster ses coups;

Leur rapport inégal vous fait plus ou moins belles,

Et les plus beaux objets ne le sont pas pour tous.

A ce moment fatal qui nous permit la vue

Et de vous et de cette sœur, 270

Mon âme devint toute émue,

Et le trouble aussitôt s'empara de mon cœur;

Je le sentis pour elle tout de glace,

Je le sentis tout de flamme pour vous;

Vous y régnâtes en sa place, 275

Et ses regards aux miens n'offrirent rien de doux.

Il faut pourtant l'aimer, du moins il faut le feindre;

Il faut vous voir aimer ailleurs:

Voyez s'il fut jamais un amant plus à plaindre,

Un cœur plus accablé de mortelles douleurs.280

C'est un malheur sans doute égal au trépas même

Que d'attacher sa vie à ce qu'on n'aime pas;

Et voir en d'autres mains passer tout ce qu'on aime,

C'est un malheur encor plus grand que le trépas.

ELPINICE.

Je vous en plains, Seigneur, et ne puis davantage,285

Je ne sais aimer ni haïr;

Mais dès qu'un père parle, il porte en mon courage

Toute l'impression qu'il faut pour obéir.

Voyez avec Cotys si ses vœux les plus tendres

Voudroient rendre à ma sœur l'hommage qu'il me rend. 290

Tout doit être à mon père assez indifférent,

Pourvu que vous et lui vous demeuriez ses gendres.

Mais à vous dire tout, je crains qu'Agésilas

N'y refuse l'aveu qui vous est nécessaire:

C'est notre souverain.

SPITRIDATE.

S'il en dédit un père,295

Peut-être ai-je une sœur qu'il n'en dédira pas.

Ce grand prince pour elle a tant de complaisance,

Qu'à sa moindre prière il ne refuse rien;

Et si son cœur vouloit s'entendre avec le mien [19]....

ELPINICE.

Reposez-vous, Seigneur, sur mon obéissance, 300

Et contentez-vous de savoir

Qu'aussi bien que ma sœur j'écoute mon devoir.

Allez trouver Cotys, et sans aucun scrupule....

SPITRIDATE.

Perdriez-vous pour moi son trône sans ennui?

ELPINICE.

Le voilà qui paroît. Quelque ardeur qui vous brûle, 305

Mettez d'accord mon père, Agésilas et lui.

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