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Œuvres de P. Corneille, Tome 07

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ACTE II.


SCÈNE PREMIÈRE.

TITE, FLAVIAN.

TITE.

Quoi? des ambassadeurs que Bérénice envoie

Viennent ici, dis-tu, me témoigner sa joie,

M'apporter son hommage, et me féliciter

Sur ce comble de gloire où je viens de monter?

FLAVIAN.

En attendant votre ordre, ils sont au port d'Ostie.355

TITE.

Ainsi, grâces aux Dieux, sa flamme est amortie;

Et de pareils devoirs sont pour moi des froideurs,

Puisqu'elle s'en rapporte à ses ambassadeurs.

Jusqu'après mon hymen remettons leur venue:

J'aurois trop à rougir si j'y souffrois leur vue, 360

Et recevois les yeux de ses propres sujets

Pour envieux témoins du vol que je lui fais;

Car mon cœur fut son bien à cette belle reine,

Et pourroit l'être encor, malgré Rome et sa haine,

Si ce divin objet, qui fut tout mon desir,365

Par quelque doux regard s'en venoit ressaisir.

Mais du haut de son trône elle aime mieux me rendre

Ces froideurs que pour elle on me força de prendre.

Peut-être, en ce moment que toute ma raison

Ne sauroit sans désordre entendre son beau nom, 370

Entre les bras d'un autre un autre amour la livre:

Elle suit mon exemple, et se plaît à le suivre:

Et ne m'envoie ici traiter de souverain

Que pour braver l'amant qu'elle charmoit en vain.

FLAVIAN.

Si vous la revoyiez, je plaindrois Domitie. 375

TITE.

Contre tous ses attraits ma raison endurcie

Feroit de Domitie encor la sûreté;

Mais mon cœur auroit peu de cette dureté.

N'aurois-tu point appris qu'elle fût infidèle,

Qu'elle écoutât les rois qui soupirent pour elle? 380

Dis-moi que Polémon [225] règne dans son esprit,

J'en aurai du chagrin, j'en aurai du dépit,

D'une vive douleur j'en aurai l'âme atteinte;

Mais j'épouserai l'autre avec moins de contrainte;

Car enfin elle est belle, et digne de ma foi; 385

Elle auroit tout mon cœur, s'il étoit tout à moi.

La noblesse du sang, la grandeur de courage,

Font avec son mérite un illustre assemblage:

C'est le choix de mon père; et je connois trop bien

Qu'à choisir en César ce doit être le mien. 390

Mais tout mon cœur renonce à lui faire justice,

Dès que mon souvenir lui rend sa Bérénice.

FLAVIAN.

Si de tels souvenirs vous sont encor si doux,

L'hyménée a, Seigneur, peu de charmes pour vous.

TITE.

Si de tels souvenirs ne me faisoient la guerre,395

Seroit-il potentat plus heureux sur la terre?

Mon nom par la victoire est si bien affermi,

Qu'on me croit dans la paix un lion endormi:

Mon réveil incertain du monde fait l'étude;

Mon repos en tous lieux jette l'inquiétude;400

Et tandis qu'en ma cour les aimables loisirs

Ménagent l'heureux choix des jeux et des plaisirs,

Pour envoyer l'effroi sous l'un et l'autre pôle,

Je n'ai qu'à faire un pas et hausser la parole [226].

Que de félicité, si mes vœux imprudents 405

N'étoient de mon pouvoir les seuls indépendants!

Maître de l'univers sans l'être de moi-même [227],

Je suis le seul rebelle à ce pouvoir suprême:

D'un feu que je combats je me laisse charmer,

Et n'aime qu'à regret ce que je veux aimer. 410

En vain de mon hymen Rome presse la pompe:

J'y veux de la lenteur, j'aime qu'on l'interrompe,

Et n'ose résister aux dangereux souhaits

De préparer toujours et n'achever jamais.

FLAVIAN.

Si ce dégoût, Seigneur, va jusqu'à la rupture,415

Domitie aura peine à souffrir cette injure:

Ce jeune esprit, qu'entête et le sang de Néron [228]

Et le choix qu'en Syrie on fit de Corbulon [229],

S'attribue à l'empire un droit imaginaire,

Et s'en fait, comme vous, un rang héréditaire. 420

Si de votre parole un manque surprenant

La jette entre les bras d'un homme entreprenant.

S'il l'unit à quelque âme assez fière et hautaine

Pour servir son orgueil et seconder sa haine,

Un vif ressentiment lui fera tout oser: 425

En un mot, il vous faut la perdre, ou l'épouser.

TITE.

J'en sais la politique, et cette loi cruelle

A presque fait l'amour qu'il m'a fallu pour elle.

Réduit au triste choix dont tu viens de parler,

J'aime mieux, Flavian, l'aimer que l'immoler, 430

Et ne puis démentir cette horreur magnanime

Qu'en recevant le jour je conçus pour le crime.

Moi qui seul des Césars me vois en ce haut rang

Sans qu'il en coûte à Rome une goutte de sang,

Moi que du genre humain on nomme les délices [230],435

Moi qui ne puis souffrir les plus justes supplices [231],

Pourrois-je autoriser une injuste rigueur

A perdre une héroïne à qui je dois mon cœur?

Non: malgré les attraits de sa belle rivale,

Malgré les vœux flottants de mon âme inégale,440

Je veux l'aimer, je l'aime; et sa seule beauté

Pouvoit me consoler de ce que j'ai quitté.

Elle seule en ses yeux porte de quoi contraindre

Mes feux à s'assoupir, s'ils ne peuvent s'éteindre,

De quoi flatter mon âme, et forcer mes douleurs445

A souhaiter du moins de n'aimer plus ailleurs.

Mais je ne vois pas bien que j'en sois encor maître:

Dès que ma flamme expire, un mot la fait renaître,

Et mon cœur malgré moi rappelle un souvenir

Que je n'ose écouter et ne saurois bannir.450

Ma raison s'en veut faire en vain un sacrifice:

Tout me ramène ici, tout m'offre Bérénice;

Et même je ne sais par quel pressentiment

Je n'ai souffert personne en son appartement;

Mais depuis cet adieu, si cruel et si tendre,455

Il est demeuré vide, et semble encor l'attendre.

Va, fais porter mon ordre à ses ambassadeurs:

C'est trop entretenir d'inutiles ardeurs;

Il est temps de chercher qui m'en puisse distraire,

Et le ciel à propos envoie ici mon frère.460

FLAVIAN.

Irez-vous au sénat?

TITE.

Non; il peut s'assembler

Sur ce déluge ardent qui nous a fait trembler,

Et pourvoir sous mon ordre aux affreuses ruines

Dont ses feux ont couvert les campagnes voisines [232].

SCÈNE II

TITE, DOMITIAN, ALBIN.

DOMITIAN.

Puis-je parler, Seigneur, et de votre amitié 465

Espérer une grâce à force de pitié?

Je me suis jusqu'ici fait trop de violence,

Pour augmenter encor mes maux par mon silence.

Ce que je vais vous dire est digne du trépas;

Mais aussi j'en mourrai, si je ne le dis pas. 470

Apprenez donc mon crime, et voyez s'il faut faire

Justice d'un coupable, ou grâce aux vœux d'un frère.

J'ai vu ce que j'aimois choisi pour être à vous,

Et je l'ai vu longtemps sans en être jaloux.

Vous n'aimiez Domitie alors que par contrainte:475

Vous vous faisiez effort, j'imitois votre feinte;

Et comme aux lois d'un père il falloit obéir,

Je feignois d'oublier, vous de ne point haïr.

Le ciel, qui dans vos mains met sa toute-puissance,

Ne met-il point de borne à cette obéissance? 480

La faut-il à son ombre, et que ce même effort

Vous déchire encor l'âme et me donne la mort?

TITE.

Souffrez sur cet effort que je vous désabuse.

Il fut grand, et de ceux que tout le cœur refuse:

Pour en sauver le mien, je fis ce que je pus; 485

Mais ce qui fut effort à présent ne l'est plus.

Sachez-en la raison. Sous l'empire d'un père

Je murmurai toujours d'un ordre si sévère,

Et cherchai les moyens de tirer en longueur

Cet hymen qui vous gêne et m'arrachoit le cœur. 490

Son trépas a changé toutes choses de face:

J'ai pris ses sentiments lorsque j'ai pris sa place;

Je m'impose à mon tour les lois qu'il m'imposoit,

Et me dis après lui tout ce qu'il me disoit.

J'ai des yeux d'empereur, et n'ai plus ceux de Tite;495

Je vois en Domitie un tout autre mérite,

J'écoute la raison, j'en goûte les conseils,

Et j'aime comme il faut qu'aiment tous mes pareils.

Si dans les premiers jours que vous m'avez vu maître

Votre feu mal éteint avoit voulu paroître,500

J'aurois pu me combattre et me vaincre pour vous;

Mais si près d'un hymen si souhaité de tous,

Quand Domitie a droit de s'en croire assurée,

Que le jour en est pris, la fête préparée,

Je l'aime, et lui dois trop pour jeter sur son front 505

L'éternelle rougeur d'un si mortel affront.

Rome entière et ma foi l'appellent à l'empire:

Voyez mieux de quel œil on m'en verroit dédire,

Ce qu'ose se permettre une femme en fureur,

Et combien Rome entière auroit pour moi d'horreur. 510

DOMITIAN.

Elle n'en auroit point de vous voir pour un frère

Faire autant que pour elle il vous a plu de faire.

Seigneur, à vos bontés laissez un libre cours;

Qui se vainc une fois peut se vaincre toujours:

Ce n'est pas un effort que votre âme redoute.515

TITE.

Qui se vainc une fois sait bien ce qu'il en coûte:

L'effort est assez grand pour en craindre un second.

DOMITIAN.

Ah! si votre grande âme à peine s'en répond,

La mienne, qui n'est pas d'une trempe si belle,

Réduite au même effort, Seigneur, que fera-t-elle? 520

TITE.

Ce que je fais, mon frère: aimez ailleurs.

DOMITIAN.

Hélas!

Ce qui vous fut aisé, Seigneur, ne me l'est pas.

Quand vous avez changé, voyiez-vous Bérénice?

De votre changement son départ fut complice;

Vous l'aviez éloignée, et j'ai devant les yeux, 525

Je vois presqu'en vos bras ce que j'aime le mieux.

Jugez de ma douleur par l'excès de la vôtre,

Si vous voyiez la Reine entre les bras d'un autre;

Contre un rival heureux épargneriez-vous rien,

A moins que d'un respect aussi grand que le mien?530

TITE.

Vengez-vous, j'y consens; que rien ne vous retienne.

Je prends votre maîtresse; allez, prenez la mienne.

Épousez Bérénice, et....

DOMITIAN.

Vous n'achevez point,

Seigneur: me pourriez-vous aimer jusqu'à ce point?

TITE.

Oui, si je ne craignois pour vous l'injuste haine 535

Que Rome concevroit pour l'époux d'une reine.

DOMITIAN.

Dites, dites, Seigneur, qu'il est bien malaisé

De céder ce qu'adore un cœur bien embrasé;

Ne vous contraignez plus, ne gênez plus votre âme,

Satisfaites en maître une si belle flamme; 540

Quand vous aurez su dire une fois: «Je le veux,»

D'un seul mot prononcé vous ferez quatre heureux.

Bérénice est toujours digne de votre couche,

Et Domitie enfin vous parle par ma bouche;

Car je ne saurois plus vous le taire; oui, Seigneur,545

Vous en voulez la main, et j'en ai tout le cœur:

Elle m'en fit le don dès la première vue,

Et ce don fut l'effet d'une force imprévue,

De cet ordre du ciel qui verse en nos esprits

Les principes secrets de prendre et d'être pris. 550

Je vous dirois, Seigneur, quelle en est la puissance,

Si vous ne le saviez par votre expérience.

Ne rompez [233] pas des nœuds et si forts et si doux:

Rien ne les peut briser que le trépas, ou vous;

Et c'est un triste honneur pour une si grande âme, 555

Que d'accabler un frère et contraindre une femme.

TITE.

Je ne contrains personne; et de sa propre voix

Nous allons, vous et moi, savoir quel est son choix.

SCÈNE III.

TITE, DOMITIAN, DOMITIE, ALBIN,
PLAUTINE.

TITE.

Parlez, parlez, Madame, et daignez nous apprendre

Où porte votre cœur, ce qu'il sent de plus tendre, 560

Qui le possède entier de mon frère ou de moi?

DOMITIE.

En doutez-vous, Seigneur, quand vous avez ma foi?

TITE.

J'aime à n'en point douter, mais on veut que j'en doute:

On dit que cette foi ne vous donne pas toute,

Que ce cœur reste ailleurs. Parlez en liberté, 565

Et n'en consultez point cette noble fierté,

Ce digne orgueil du sang que mon rang sollicite:

De tout ce que je suis ne regardez que Tite;

Et pour mieux écouter vos désirs les plus doux,

Entre le prince et moi ne regardez que vous. 570

DOMITIE.

Qu'avez-vous dit de moi, Prince?

DOMITIAN.

Que dans votre âme

Vous laissez vivre encor notre première flamme;

Et qu'en faveur du rang si vous m'osez trahir,

Ce n'est pas tant aimer, Madame, qu'obéir.

C'est en dire un peu plus que vous n'aviez envie;575

Mais il y va de vous, il y va de ma vie;

Et qui se voit si près de perdre tout son bien,

Se fait armes de tout, et ne ménage rien.

DOMITIE.

Je ne sais de vous deux, Seigneur, à ne rien feindre,

Duquel je dois le plus me louer ou me plaindre.580

C'est aimer assez mal, que remettre tous deux

Au choix de mes désirs le succès de vos vœux;

Et cette liberté par tous les deux offerte

Montre que tous les deux peuvent souffrir ma perte,

Et que tout leur amour est prêt à consentir585

Que mon cœur ou ma foi veuille se démentir.

Je me plains de tous deux, et vous plains l'un et l'autre,

Si pour voir tout ce cœur vous m'ouvrez tout le vôtre.

Le prince n'agit pas en amant fort discret;

S'il ne m'impose rien, il trahit mon secret:590

Tout ce qu'il vous en dit m'offense ou vous abuse.

Mais ce que fait l'amour, l'amour aussi l'excuse [234].

Vous, Seigneur, je croyois que vous m'aimiez assez

Pour m'épargner le trouble où vous m'embarrassez,

Et laisser pour couleur à mon peu de constance 595

La gloire d'obéir à la toute-puissance:

Vous m'ôtez cette excuse, et me voulez charger

De ce qu'a d'odieux la honte de changer.

Si le prince en mon cœur garde encor même place,

C'est manquer de respect que vous le dire en face;600

Et si mon choix pour vous n'est point violenté,

C'est trop d'ambition et d'infidélité.

Ainsi des deux côtés tout sert à me confondre.

J'ai cent choses à dire, et rien à vous répondre;

Et ne voulant déplaire à pas un de vous deux,605

Je veux, ainsi que vous, douter où vont mes vœux.

Ce qui le plus m'étonne en cette déférence

Qui veut du cœur entier une entière assurance,

C'est que dans ce haut rang vous ne vouliez pas voir

Qu'il n'importe du cœur quand on sait son devoir [235], 610

Et que de vos pareils les hautes destinées

Ne le consultent point sur ces grands hyménées.

TITE.

Si le vôtre, Madame, étoit de moindre prix....

Mais que veut Flavian?

SCÈNE IV.

TITE, DOMITIAN, DOMITIE, PLAUTINE,
FLAVIAN, ALBIN.

FLAVIAN.

Vous en serez surpris,

Seigneur, je vous apporte une grande nouvelle: 615

La reine Bérénice....

TITE.

Eh bien! est infidèle?

Et son esprit, charmé par un plus doux souci....

FLAVIAN.

Elle est dans ce palais, Seigneur; et la voici [236].

SCÈNE V.

TITE, DOMITIAN, BÉRÉNICE, DOMITIE, FLAVIAN,
ALBIN, PHILON, PLAUTINE.

TITE.

O Dieux! est-ce, Madame, aux reines de surprendre?

Quel accueil, quels honneurs peuvent-elles attendre, 620

Quand leur surprise envie au souverain pouvoir

Celui de donner ordre à les bien recevoir?

BÉRÉNICE.

Pardonnez-le, Seigneur, à mon impatience.

J'ai fait sous d'autres noms demander audience:

Vous la donniez trop tard à mes ambassadeurs; 625

Je n'ai pu tant attendre à voir tant de grandeurs;

Et quoique par vous-même autrefois exilée,

Sans ordre et sans aveu je me suis rappelée,

Pour être la première à mettre à vos genoux

Le sceptre qu'à présent je ne tiens que de vous, 630

Et prendre sur les rois cet illustre avantage

De leur donner l'exemple à vous en faire hommage.

Je ne vous dirai point avec quelles langueurs

D'un si cruel exil j'ai souffert les longueurs:

Vous savez trop....

TITE.

Je sais votre zèle, et l'admire,635

Madame; et pour me voir possesseur de l'empire,

Pour me rendre vos soins, je ne méritois pas

Que rien vous pût résoudre à quitter vos États,

Qu'une si grande reine en formât la pensée.

Un voyage si long vous doit avoir lassée.640

Conduisez-la, mon frère, en son appartement [237].

Vous, faites-l'y servir aussi pompeusement,

Avec le même éclat qu'elle s'y vit servie

Alors qu'elle faisoit le bonheur de ma vie.

SCÈNE VI.

TITE, DOMITIE, PLAUTINE, PHILON.

DOMITIE.

Seigneur, faut-il ici vous rendre votre foi?645

Ne regardez que vous entre la Reine et moi;

Parlez sans vous contraindre, et me daignez apprendre

Où porte votre cœur ce qu'il sent de plus tendre [238].

TITE.

Adieu, Madame, adieu. Dans le trouble où je suis,

Me taire et vous quitter, c'est tout ce que je puis.650

SCÈNE VII.

DOMITIE, PLAUTINE.

DOMITIE.

Se taire et me quitter! Après cette retraite,

Crois-tu qu'un tel arrêt ait besoin d'interprète?

PLAUTINE.

Oui, Madame; et ce n'est que dérober au jour;

Que vous cacher le trouble où le met ce retour.

DOMITIE.

Non, non, tu l'as voulu, Plautine, que je vinsse655

Désavouer ici les vanités du prince,

Empêcher qu'un amant dont je n'ai pas le cœur

Ne cédât ma conquête à mon premier vainqueur:

Vois la honte qu'ainsi je me suis attirée.

Quand sa reine [239] a paru, m'a-t-il considérée? 660

A-t-il jeté les yeux sur moi qu'en me quittant?

PLAUTINE.

Pensez-vous que sa reine ait l'esprit plus content?

Avant que vous quitter, lui-même il l'a bannie.

DOMITIE.

Oui, mais avec respect, avec cérémonie,

Avec des yeux enfin qui l'éloignant des miens, 665

Lui promettoient assez de plus doux entretiens.

Tu me diras encor que la chose est égale,

Que s'il m'ose quitter, il chasse ma rivale.

Mais pour peu qu'il m'aimât, du moins il m'auroit dit

Que je garde en son âme encor même crédit:670

Il m'en auroit donné des sûretés nouvelles,

Il m'en auroit laissé quelques marques fidèles.

S'il me vouloit cacher le trouble où je le voi,

La plus mauvaise excuse étoit bonne pour moi.

Mais pour toute réponse, il se tait, et me quitte;675

Et tu ne peux souffrir que mon cœur s'en irrite!

Tu veux, lorsque lui-même ose se déclarer,

Que je me flatte encore assez pour espérer!

C'est avec le perfide être d'intelligence.

Sans me flatter en vain, courons à la vengeance;680

Faisons voir ce qu'en moi peut le sang de Néron,

Et que je suis de plus fille de Corbulon.

PLAUTINE.

Vous l'êtes; mais enfin c'est n'être qu'une fille,

Que le reste impuissant d'une illustre famille.

Contre un tel empereur où prendrez-vous des bras? 685

DOMITIE.

Contre un tel empereur nous n'en manquerons pas.

S'il épouse sa reine, il est l'horreur de Rome.

Trouvons alors, trouvons un grand cœur, un grand homme,

Un Romain qui réponde au sang de mes aïeux;

Et pour le révolter, laisse faire à mes yeux. 690

Juge, par le pouvoir de ceux de Bérénice,

Si les miens auront peine à s'en faire justice.

Si ceux-là forcent Tite à me manquer de foi,

Ceux-ci feront briser le joug d'un nouveau roi;

Et si de l'univers les siens charment le maître,695

Les miens charmeront ceux qui méritent de l'être.

Dis-le-moi, tu l'as vue, ai-je peu de raison

Quand de mes yeux aux siens je fais comparaison?

Est-elle plus charmante, ai-je moins de mérite?

Suis-je moins digne qu'elle enfin du cœur de Tite?700

PLAUTINE.

Madame....

DOMITIE.

Je m'emporte, et mes sens interdits

Impriment leur désordre en tout ce que je dis.

Comment saurois-je aussi ce que je te dois dire,

Si je ne sais pas même à quoi mon âme aspire?

Mon aveugle fureur s'égare à tous propos. 705

Allons penser à tout avec plus de repos.

PLAUTINE.

Vous pourriez hasarder un moment de visite,

Pour voir si ce retour est sans l'aveu de Tite,

Ou si c'est de concert qu'il a fait le surpris.

DOMITIE.

Oui; mais auparavant remettons nos esprits. 710

FIN DU SECOND ACTE.

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