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Œuvres de P. Corneille, Tome 07

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ACTE III.


SCÈNE PREMIÈRE

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DOMITIAN, BÉRÉNICE, PHILON.

DOMITIAN.

Je vous l'ai dit, Madame, et j'aime à le redire,

Qu'il est beau qu'à vous plaire un empereur aspire,

Qu'il lui doit être doux qu'un véritable feu

Par de justes soupirs mérite votre aveu.

Seroit-ce un crime à moins [240]? Seroit-ce vous déplaire, 715

Après un empereur, de vous offrir son frère?

Et voudriez-vous croire, en faveur de ma foi,

Qu'un frère d'empereur pourroit valoir un roi?

BÉRÉNICE.

Si votre âme, Seigneur, en veut être éclaircie,

Vous pouvez le savoir de votre Domitie. 720

De tous les deux aimée, et douce à tous les deux,

Elle sait mieux que moi comme on change de vœux,

Et sait peut-être mal la route qu'il faut prendre

Pour trouver le secret de les faire descendre,

Quelque facilité qu'elle ait eue à trouver, 725

Malgré sa flamme et vous, l'art de les élever.

Pour moi, qui n'eus jamais l'honneur d'être Romaine,

Et qu'un destin jaloux n'a fait naître que reine,

Sans qu'un de vous descende au rang que je remplis,

Ce me doit être assez d'un de vos affranchis; 730

Et si votre empereur suit les traces des autres,

Il suffit d'un tel sort pour relever les nôtres [241].

Mais changeons de discours, et me dites, Seigneur,

Par quel ordre aujourd'hui vous m'offrez votre cœur.

Est-ce pour obliger ou Domitie ou Tite? 735

N'ose-t-il me quitter à moins que je le quitte?

Et peut-il à son rang si peu se confier,

Qu'il veuille mon exemple à se justifier?

Me donne-t-il à vous alors qu'il m'abandonne?

DOMITIAN.

Il vous respecte trop: c'est à vous qu'il me donne,740

Et me fait la justice, en m'enlevant mon bien,

De vouloir que je tâche à m'enrichir du sien;

Mais à peine il le veut, qu'il craint pour moi la haine

Que Rome concevroit pour l'époux d'une reine.

C'est à vous de juger d'où part ce sentiment. 745

En vain, par politique, il fait ailleurs l'amant;

Il s'y réduit en vain par grandeur de courage:

A ces fausses clartés opposez quelque ombrage;

Et je renonce au jour, s'il ne revient à vous,

Pour peu que vous penchiez à le rendre jaloux. 750

BÉRÉNICE.

Peut-être; mais, Seigneur, croyez-vous Bérénice

D'un cœur à s'abaisser jusqu'à cet artifice,

Jusques à mendier lâchement le retour

De ce qu'un grand service [242] a mérité d'amour?

DOMITIAN.

Madame, sur ce point je n'ai rien à vous dire. 755

Vous savez ce que vaut l'Empereur et l'empire;

Et si vous consentez qu'on vous manque de foi,

Vous pouvez regarder [243] si je vaux bien un roi.

J'aperçois Domitie, et lui cède la place.

SCÈNE II.

DOMITIE, BÉRÉNICE, DOMITIAN, PHILON.

DOMITIE.

Je vais me retirer, Seigneur, si je vous chasse; 760

Et j'ai des intérêts que vous servez trop bien

Pour arrêter le cours d'un si long entretien.

DOMITIAN.

Je faisois à la Reine une offre de service

Qui peut vous assurer le rang d'impératrice,

Madame; et si j'en suis accepté pour époux, 765

Tite n'aura plus d'yeux pour d'autres que pour vous.

Est-ce vous mal servir?

DOMITIE.

Quoi? Madame, il vous aime?

BÉRÉNICE.

Non; mais il me le dit, Madame.

DOMITIE.

Lui?

BÉRÉNICE.

Lui-même.

Est-ce vous offenser que m'offrir vos refus?

Et vous doit-il un cœur dont vous ne voulez plus? 770

DOMITIE.

Je ne sais si je puis vous dire s'il m'offense,

Quand vous vous préparez à prendre sa défense.

BÉRÉNICE.

Et moi, je ne sais pas s'il a droit de changer,

Mais je sais que l'amour ne peut désobliger.

DOMITIE.

Du moins ce nouveau feu rend justice au mérite. 775

DOMITIAN.

Vous m'avez commandé de quitter qui me quitte,

Vous le savez, Madame; et si c'est vous trahir,

Vous m'avouerez aussi que c'est vous obéir.

DOMITIE.

S'il échappe à l'amour un mot qui le trahisse,

A l'effort qu'il se fait veut-il qu'on obéisse?780

Il cherche une révolte, et s'en laisse charmer.

Vous le sauriez, ingrat, si vous saviez aimer,

Et ne vous feriez pas l'indigne violence

De vous offrir ailleurs, et même en ma présence.

DOMITIAN, à Bérénice.

Madame, vous voyez ce que je vous ai dit:785

La preuve est convaincante, et l'exemple suffit.

BÉRÉNICE.

Il suffit pour vous croire, et non pas pour le suivre.

DOMITIE.

Allez, sous quelques lois qu'il vous plaise de vivre,

Vivez-y, j'y consens; mais vous pouviez, Seigneur,

Vous hâter un peu moins de m'ôter votre cœur,790

Attendre que l'honneur de ce grand hyménée

Vous renvoyât la foi que vous m'avez donnée.

Si vous vouliez passer pour véritable amant,

Il falloit espérer jusqu'au dernier moment;

Il vous falloit....

DOMITIAN.

Eh bien! puisqu'il faut que j'espère,

Madame, faites grâce à l'Empereur mon frère,

A la Reine, à vous-même enfin, si vous m'aimez,

Autant qu'il le paroît à vos yeux alarmés.

Les scrupules d'État, qu'il falloit mieux combattre,

Assez et trop longtemps nous ont gênés tous quatre: 800

Réunissez des cœurs de qui rompt l'union

Cette chimère en Tite, en vous l'ambition.

Vous trouverez au mien encor les mêmes flammes

Qui, dès que je vous vis, charmèrent nos deux âmes.

Dès ce premier moment j'adorai vos appas; 805

Dès ce premier moment je ne vous déplus pas.

Ai-je épargné depuis aucuns soins pour vous plaire?

Est-ce un crime pour moi que l'aînesse d'un frère?

Et faut-il m'accabler d'un éternel ennui

Pour avoir vu le jour deux lustres après lui,810

Comme si de mon choix il dépendoit de naître

Dans le temps qu'il falloit pour devenir son maître [244]?

Au nom de votre amour et de ce digne amant,

Madame, qui vous aime encor si chèrement,

Prenez quelque pitié d'un amant déplorable; 815

Faites-la partager à cette inexorable;

Dissipez la fierté d'une injuste rigueur.

Pour juge entre elle et moi je ne veux que son cœur.

Je vous laisse avec elle arbitre de ma vie.

Adieu, Madame. Adieu, trop aimable ennemie. 820

SCÈNE III.

BÉRÉNICE, DOMITIE, PHILON.

BÉRÉNICE.

Les intérêts du prince [245] avancent trop le mien

Pour vous oser, Madame, importuner de rien;

Et l'incivilité de la moindre prière

Sembleroit vous presser de me rendre son frère.

Tout ce qu'en sa faveur je crois m'être permis,825

Après qu'à votre cœur lui-même il s'est remis,

C'est de vous faire voir ce que hasarde une âme

Qui sacrifie au rang les douceurs de sa flamme,

Et quel long repentir suit ces nobles ardeurs

Qui soumettent l'amour à l'éclat des grandeurs.830

DOMITIE.

Quand les choses, Madame, auront changé de face,

Je reviendrai savoir ce qu'il faut que je fasse,

Et demander votre ordre avec empressement

Sur le choix ou du prince ou de quelque autre amant.

Agréez cependant un respect qui m'amène 835

Vous rendre mes devoirs comme à ma souveraine;

Car je n'ose douter que déjà l'Empereur

Ne vous ait redonné bonne part en son cœur.

Vous avez sur vos rois pris ce digne avantage

D'être ici la première à rendre un juste hommage [246];840

Et pour vous imiter, je veux avoir le bien

D'être aussi la première à vous offrir le mien.

Cet exemple qu'aux rois vous donnez pour un homme,

J'aime pour une reine à le donner à Rome;

Et plus il est nouveau, plus j'ai lieu d'espérer 845

Que de quelques bontés vous voudrez m'honorer.

BÉRÉNICE.

A vous dire le vrai, sa nouveauté m'étonne:

J'aurois eu quelque peine à vous croire si bonne;

Et je recevrois l'offre avec confusion

Si je n'y soupçonnois un peu d'illusion.850

Quoi qu'il en soit, Madame, en cette incertitude

Qui nous met l'une et l'autre en quelque inquiétude,

Ce que je puis répondre à vos civilités,

C'est de vous demander pour moi mêmes bontés,

Et que celle des deux qui sera satisfaite855

Traite l'autre de l'air qu'elle veut qu'on la traite.

J'ai vu Tite se rendre au peu que j'ai d'appas;

Je ne l'espère plus, et n'y renonce pas.

Il peut se souvenir, dans ce grade sublime,

Qu'il soumit votre Rome en détruisant Solyme,860

Qu'en ce siége pour lui je hasardai mon rang,

Prodiguai mes trésors, et mes peuples leur sang,

Et que s'il me fait part de sa toute-puissance,

Ce sera moins un don qu'une reconnoissance.

DOMITIE.

Ce sont là de grands droits; et si l'amour s'y joint,865

Je dois craindre une chute à n'en relever point.

Tite y peut ajouter que je n'ai point la gloire

D'avoir sur ma patrie étendu sa victoire,

De l'avoir saccagée et détruite à l'envi,

Et renversé l'autel du dieu que j'ai servi:870

C'est par là qu'il vous doit cette haute fortune.

Mais je commence à voir que je vous importune.

Adieu. Quelque autre fois nous suivrons ce discours.

BÉRÉNICE.

Je suis venue ici trop tôt de quatre jours;

J'en suis au désespoir et vous en fais excuse.875

DOMITIE.

Dans quatre jours, Madame, on verra qui s'abuse.

SCÈNE IV.

BÉRÉNICE, PHILON.

BÉRÉNICE.

Quel caprice, Philon, l'amène jusqu'ici

M'expliquer elle-même un si cuisant souci?

Tite, après mon départ, l'auroit-il maltraitée?

PHILON.

Après votre départ il l'a soudain quittée,880

Madame, et s'est défait de cet esprit jaloux

Avec un compliment encor plus court qu'à vous.

BÉRÉNICE.

Ainsi tout est égal: s'il me chasse, il la quitte;

Mais ce peu qu'il m'a dit ne peut qu'il ne m'irrite:

Il marque trop pour moi son infidélité.885

Vois de ses derniers mots quelle est la dureté:

«Qu'on la serve, a-t-il dit, comme elle fut servie

Alors qu'elle faisoit le bonheur de ma vie [247]

Je ne le fais donc plus! Voilà ce que j'ai craint.

Il fait en liberté ce qu'il faisoit contraint.890

Cet ordre de sortir, si prompt et si sévère,

N'a plus pour s'excuser l'autorité d'un père:

Il est libre, il est maître, il veut tout ce qu'il fait.

PHILON.

Du peu qu'il vous a dit j'attends un autre effet.

Le trouble de vous voir auprès d'une rivale895

Vouloit pour se remettre un moment d'intervalle;

Et quand il a rompu sitôt vos entretiens,

Je lisois dans ses yeux qu'il évitoit les siens,

Qu'il fuyoit l'embarras d'une telle présence.

Mais il vient à son tour prendre son audience,900

Madame; et vous voyez si j'en sais bien juger.

Songez de quelle sorte il faut le ménager.

SCÈNE V.

TITE, BÉRÉNICE, FLAVIAN, PHILON.

BÉRÉNICE.

Me cherchez-vous, Seigneur, après m'avoir chassée?

TITE.

Vous avez su mieux lire au fond de ma pensée,

Madame; et votre cœur connoît assez le mien905

Pour me justifier sans que j'explique rien.

BÉRÉNICE.

Mais justifiera-t-il le don qu'il vous plaît faire

De ma propre personne au prince votre frère?

Et n'est-ce point assez de me manquer de foi,

Sans prendre encor le droit de disposer de moi?910

Pouvez-vous jusque-là me bannir de votre âme?

Le pouvez-vous, Seigneur?

TITE.

Le croyez-vous, Madame?

BÉRÉNICE.

Hélas! que j'ai de peur de vous dire que non!

J'ai voulu vous haïr dès que j'ai su ce don:

Mais à de tels courroux l'âme en vain se confie;915

A peine je vous vois que je vous justifie.

Vous me manquez de foi, vous me donnez, chassez.

Que de crimes! Un mot les a tous effacés.

Faut-il, Seigneur, faut-il que je ne vous accuse

Que pour dire aussitôt que c'est moi qui m'abuse,920

Que pour me voir forcée à répondre pour vous!

Épargnez cette honte à mon dépit jaloux;

Sauvez-moi du désordre où ma bonté [248] m'expose,

Et du moins par pitié dites-moi quelque chose;

Accusez-moi plutôt, Seigneur, à votre tour,925

Et m'imputez pour crime un trop parfait amour.

Vos chimères d'État, vos indignes scrupules,

Ne pourront-ils jamais passer pour ridicules?

En souffrez-vous encor la tyrannique loi?

Ont-ils encor sur vous plus de pouvoir que moi?930

Du bonheur de vous voir j'ai l'âme si ravie,

Que pour peu qu'il durât, j'oublierois Domitie.

Pourrez-vous l'épouser dans quatre jours? O cieux!

Dans quatre jours! Seigneur, y voudrez-vous mes yeux?

Vous plairez-vous à voir qu'en triomphe menée,935

Je serve de victime à ce grand hyménée;

Que traînée avec pompe aux marches de l'autel,

J'aille de votre main attendre un coup mortel?

M'y verrez-vous mourir sans verser une larme?

Vous y préparez-vous sans trouble et sans alarme?940

Et si vous concevez l'excès de ma douleur,

N'en rejaillit-il [249] rien jusque dans votre cœur?

TITE.

Hélas! Madame, hélas! pourquoi vous ai-je vue?

Et dans quel contre-temps êtes-vous revenue!

Ce qu'on fit d'injustice à de si chers appas945

M'avoit assez coûté pour ne l'envier pas.

Votre absence et le temps m'avoient fait quelque grâce;

J'en craignois un peu moins les malheurs où je passe;

Je souffrois Domitie, et d'assidus efforts

M'avoient, malgré l'amour, fait maître du dehors.950

La contrainte sembloit tourner en habitude;

Le joug que je prenois m'en paroissoit moins rude;

Et j'allois être heureux, du moins aux yeux de tous,

Autant qu'on le peut être en n'étant point à vous.

J'allois....

BÉRÉNICE.

N'achevez point, c'est là ce qui me tue.955

Et je pourrois souffrir votre hymen à ma vue,

Si vous aviez choisi quelque objet sans éclat,

Qui ne pût être à vous que par raison d'État,

Qui de ses grands aïeux n'eût reçu rien d'aimable,

Qui n'en eût que le nom qui fût considérable.960

«Il s'est assez puni de son manque de foi,

Me dirois-je, et son cœur n'en est pas moins à moi.»

Mais Domitie est belle, elle a tout l'avantage

Qu'ajoute un vrai mérite à l'éclat du visage;

Et pour vous épargner les discours superflus,965

Elle est digne de vous, si vous ne m'aimez plus.

Elle a toujours charmé le prince votre frère,

Elle a gagné sur vous de ne vous plus déplaire:

L'hymen achèvera de me faire oublier;

Elle aura votre cœur, et l'aura tout entier.970

Seigneur, faites-moi grâce: épousez Sulpitie,

Ou Camille, ou Sabine, et non pas Domitie;

Choisissez-en quelqu'une enfin dont le bonheur

Ne m'ôte que la main, et me laisse le cœur.

TITE.

Domitie aisément souffriroit ce partage;975

Ma main satisferoit l'orgueil de son courage;

Et pour le cœur, à peine il vous sait en ces lieux,

Qu'il revient tout entier faire hommage à vos yeux.

BÉRÉNICE.

N'importe: ayez pitié, Seigneur, de ma foiblesse.

Vous avez un cœur fait à changer de maîtresse;980

Vous ne savez que trop l'art de manquer de foi:

Ne l'exercerez-vous jamais que contre moi?

TITE.

Domitie est le choix de Rome et de mon père:

Ils crurent à propos de l'ôter à mon frère,

De crainte que ce cœur jeune et présomptueux985

Ne rendît téméraire un prince impétueux.

Si pour vous obéir je lui suis infidèle,

Rome, qui l'a choisie, y consentira-t-elle?

BÉRÉNICE.

Quoi? Rome ne veut pas quand vous avez voulu?

Que faites-vous, Seigneur, du pouvoir absolu?990

N'êtes-vous dans ce trône, où tant de monde aspire,

Que pour assujettir l'Empereur à l'empire [250]?

Sur ses plus hauts degrés Rome vous fait la loi!

Elle affermit ou rompt le don de votre foi!

Ah! si j'en puis juger sur ce qu'on voit paroître.995

Vous en êtes l'esclave encor plus que le maître.

TITE.

Tel est le triste sort de ce rang souverain,

Qui ne dispense pas d'avoir un cœur romain;

Ou plutôt des Romains tel est le dur caprice [251]

A suivre obstinément une aveugle injustice,1000

Qui rejetant d'un roi le nom plus que les lois,

Accepte un empereur plus puissant que cent rois.

C'est ce nom seul qui donne à leurs farouches haines

Cette invincible horreur qui passe jusqu'aux reines,

Jusques à leurs époux; et vos yeux adorés1005

Verroient de notre hymen naître cent conjurés.

Encor s'il n'y falloit hasarder que ma vie;

Si ma perte aussitôt de la vôtre suivie....

BÉRÉNICE.

Non, Seigneur, ce n'est pas aux reines comme moi

A hasarder leurs jours pour signaler leur foi.1010

La plus illustre ardeur de périr l'un pour l'autre

N'a rien de glorieux pour mon rang et le vôtre:

L'amour de nos pareils la traite de fureur,

Et ces vertus d'amant ne sont pas d'empereur.

Mes secours en Judée [252] achevèrent l'ouvrage1015

Qu'avoit des légions ébauché le suffrage:

Il m'est trop précieux pour le mettre au hasard;

Et j'y pouvois, Seigneur, mériter quelque part,

N'étoit qu'affermissant votre heureuse fortune,

Je n'ai fait qu'empêcher qu'elle nous fût commune.1020

Si j'eusse eu moins pour elle ou de zèle ou de foi,

Vous seriez moins puissant, mais vous seriez à moi;

Vous n'auriez que le nom de général d'armée,

Mais j'aurois pour époux l'amant qui m'a charmée;

Et je posséderois dans ma cour, en repos,1025

Au lieu d'un empereur, le plus grand des héros.

TITE.

Eh bien! Madame, il faut renoncer à ce titre,

Qui de toute la terre en vain me fait l'arbitre.

Allons dans vos États m'en donner un plus doux;

Ma gloire la plus haute est celle d'être à vous.1030

Allons où je n'aurai que vous pour souveraine,

Où vos bras amoureux seront ma seule chaîne [253],

Où l'hymen en triomphe à jamais l'étreindra;

Et soit de Rome esclave et maître qui voudra [254]!

BÉRÉNICE.

Il n'est plus temps: ce nom, si sujet à l'envie,1035

Ne se quitte jamais, Seigneur, qu'avec la vie;

Et des nouveaux Césars la tremblante fierté

N'ose faire de grâce à ceux qui l'ont porté:

Qui l'a pris une fois est toujours punissable.

Ce fut par là qu'Othon se traita de coupable,

Par là Vitellius mérita le trépas;

Et vous n'auriez partout qu'assassins sur vos pas.

TITE.

Que faire donc, Madame?

BÉRÉNICE.

Assurer votre vie;

Et s'il y faut enfin la main de Domitie....

Mais adieu: sur ce point si vous pouvez douter,1045

Ce n'est pas moi, Seigneur, qu'il en faut consulter.

TITE, à Bérénice qui se retire [255].

Non, Madame; et dût-il m'en coûter trône et vie,

Vous ne me verrez point épouser Domitie.

Ciel, si vous ne voulez qu'elle règne en ces lieux,

Que vous m'êtes cruel de la rendre à mes yeux!1050

FIN DU TROISIÈME ACTE.

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