Œuvres de P. Corneille, Tome 07
AGLAURE.
Il est des maux, ma sœur, que le silence aigrit:170
Laissons, laissons parler mon chagrin et le vôtre,
Et de nos cœurs l'un à l'autre
Exhalons le cuisant dépit.
Nous nous voyons sœurs d'infortune;
Et la vôtre et la mienne ont un si grand rapport,175
Que nous pouvons mêler toutes les deux en une,
Et dans notre juste transport,
Murmurer à plainte commune
Des cruautés de notre sort.
Quelle fatalité secrète,180
Ma sœur, soumet tout l'univers
Aux attraits de notre cadette,
Et de tant de princes divers,
Qu'en ces lieux la fortune jette,
N'en présente aucun à nos fers?185
Quoi? voir de toutes parts, pour lui rendre les armes,
Les cœurs se précipiter,
Et passer devant nos charmes
Sans s'y vouloir arrêter!
Quel sort ont nos yeux en partage,190
Et qu'est-ce qu'ils ont fait aux Dieux,
De ne jouir d'aucun hommage
Parmi tous ces tributs de soupirs glorieux,
Dont le superbe avantage
Fait triompher d'autres yeux?195
Est-il pour nous, ma sœur, de plus rude disgrâce
Que de voir tous les cœurs mépriser nos appas,
Et l'heureuse Psyché jouir avec audace
D'une foule d'amants attachés à ses pas?
CYDIPPE.
Ah! ma sœur, c'est une aventure200
A faire perdre la raison;
Et tous les maux de la nature
Ne sont rien en comparaison.
AGLAURE.
Pour moi, j'en suis souvent jusqu'à verser des larmes.
Tout plaisir, tout repos par là m'est arraché;205
Contre un pareil malheur ma constance est sans armes.
Toujours à ce chagrin mon esprit attaché
Me tient devant les yeux la honte de nos charmes,
Et le triomphe de Psyché.
La nuit, il m'en repasse une idée éternelle,210
Qui sur toute chose prévaut:
Rien ne me peut chasser cette image cruelle;
Et dès qu'un doux sommeil me vient délivrer d'elle,
Dans mon esprit aussitôt
Quelque songe la rappelle,215
Qui me réveille en sursaut.
CYDIPPE.
Ma sœur, voilà mon martyre.
Dans vos discours je me voi;
Et vous venez là de dire
Tout ce qui se passe en moi.220
AGLAURE.
Mais encor, raisonnons un peu sur cette affaire.
Quels charmes si puissants en elle sont épars?
Et par où, dites-moi, du grand secret de plaire
L'honneur est-il acquis à ses moindres regards?
Que voit-on dans sa personne225
Pour inspirer tant d'ardeurs?
Quel droit de beauté lui donne
L'empire de tous les cœurs?
Elle a quelques attraits, quelque éclat de jeunesse:
On en tombe d'accord, je n'en disconviens pas;230
Mais lui cède-t-on fort pour quelque peu d'aînesse,
Et se voit-on sans appas?
Est-on d'une figure à faire qu'on se raille?
N'a-t-on point quelques traits et quelques agréments,
Quelque teint, quelques yeux, quelque air, et quelque taille
A pouvoir dans nos fers jeter quelques amants?
Ma sœur, faites-moi la grâce
De me parler franchement:
Suis-je faite d'un air, à votre jugement,
Que mon mérite au sien doive céder la place?240
Et dans quelque ajustement
Trouvez-vous qu'elle m'efface?
CYDIPPE.
Qui? vous, ma sœur? nullement.
Hier à la chasse près d'elle
Je vous regardai longtemps;245
Et sans vous donner d'encens,
Vous me parûtes plus belle.
Mais, moi, dites, ma sœur, sans me vouloir flatter,
Sont-ce des visions que je me mets en tête,
Quand je me crois taillée à pouvoir mériter250
La gloire de quelque conquête?
AGLAURE.
Vous, ma sœur, vous avez, sans nul déguisement,
Tout ce qui peut causer une amoureuse flamme.
Vos moindres actions brillent d'un agrément
Dont je me sens toucher l'âme;255
Et je serois votre amant,
Si j'étois autre que femme.
CYDIPPE.
D'où vient donc qu'on la voit l'emporter sur nous deux,
Qu'à ses premiers regards les cœurs rendent les armes,
Et que d'aucun tribut de soupirs et de vœux260
On ne fait honneur à nos charmes?
AGLAURE.
Toutes les dames, d'une voix,
Trouvent ses attraits peu de chose;
Et du nombre d'amants qu'elle tient sous ses lois,
Ma sœur, j'ai découvert la cause.265
CYDIPPE.
Pour moi, je la devine, et l'on doit présumer
Qu'il faut que là-dessous soit caché du mystère.
Ce secret de tout enflammer
N'est point de la nature un effet ordinaire:
L'art de la Thessalie entre dans cette affaire;270
Et quelque main a su sans doute lui former
Un charme pour se faire aimer.
AGLAURE.
Sur un plus fort appui ma croyance se fonde;
Et le charme qu'elle a pour attirer les cœurs,
C'est un air en tout temps désarmé de rigueurs,275
Des regards caressants, que la bouche seconde,
Un souris chargé de douceurs,
Qui tend les bras à tout le monde,
Et ne vous promet que faveurs.
Notre gloire n'est plus aujourd'hui conservée, 280
Et l'on n'est plus au temps de ces nobles fiertés
Qui par un digne essai d'illustres cruautés,
Vouloient voir d'un amant la constance éprouvée.
De tout ce noble orgueil qui nous seyoit si bien,
On est bien descendu dans le siècle où nous sommes;285
Et l'on en est réduite à n'espérer plus rien,
A moins que l'on se jette à la tête des hommes.
CYDIPPE.
Oui, voilà le secret de l'affaire, et je voi
Que vous le prenez mieux que moi.
C'est pour nous attacher à trop de bienséance 290
Qu'aucun amant, ma sœur, à nous ne veut venir;
Et nous voulons trop soutenir
L'honneur de notre sexe et de notre naissance.
Les hommes maintenant aiment ce qui leur rit;
L'espoir, plus que l'amour, est ce qui les attire, 295
Et c'est par là que Psyché nous ravit
Tous les amants qu'on voit sous son empire.
Suivons, suivons l'exemple: ajustons-nous au temps;
Abaissons-nous, ma sœur, à faire des avances,
Et ne ménageons plus de tristes bienséances 300
Qui nous ôtent les fruits du plus beau de nos ans.
AGLAURE.
J'approuve la pensée; et nous avons matière
D'en faire l'épreuve première
Aux deux princes qui sont les derniers arrivés.
Ils sont charmants, ma sœur, et leur personne entière305
Me.... Les avez-vous observés?
CYDIPPE.
Ah! ma sœur, ils sont faits tous deux d'une manière
Que mon âme.... Ce sont deux princes achevés.
AGLAURE.
Je trouve qu'on pourroit rechercher leur tendresse
Sans se faire déshonneur. 310
CYDIPPE.
Je trouve que, sans honte, une belle princesse
Leur pourroit donner son cœur.
SCÈNE II.
CLÉOMÈNE, AGÉNOR, AGLAURE, CYDIPPE.
AGLAURE.
Les voici tous deux, et j'admire
Leur air et leur ajustement.
CYDIPPE.
Ils ne démentent nullement 315
Tout ce que nous venons de dire.
AGLAURE.
D'où vient, princes, d'où vient que vous fuyez ainsi?
Prenez-vous l'épouvante en nous voyant paroître?
CLÉOMÈNE.
On nous faisoit croire qu'ici
La princesse Psyché, Madame, pourroit être. 320
AGLAURE.
Tous ces lieux n'ont-ils rien d'agréable pour vous,
Si vous ne les voyez ornés de sa présence?
AGÉNOR.
Ces lieux peuvent avoir des charmes assez doux;
Mais nous cherchons Psyché dans notre impatience.
CYDIPPE.
CLÉOMÈNE.
Le motif est assez puissant,
Puisque notre fortune enfin en dépend toute.
AGLAURE.
Ce seroit trop à nous que de nous informer
Du secret que ces mots nous peuvent enfermer.330
CLÉOMÈNE.
Nous ne prétendons point en faire de mystère:
Aussi bien malgré nous paroîtroit-il au jour;
Et le secret ne dure guère,
Madame, quand c'est de l'amour.
CYDIPPE.
Sans aller plus avant, princes, cela veut dire335
Que vous aimez Psyché tous deux.
AGÉNOR.
Tous deux soumis à son empire,
Nous allons de concert lui découvrir nos feux.
AGLAURE.
C'est une nouveauté sans doute assez bizarre
Que deux rivaux si bien unis.340
CLÉOMÈNE.
Il est vrai que la chose est rare,
Mais non pas impossible à deux parfaits amis.
CYDIPPE.
Est-ce que dans ces lieux il n'est qu'elle de belle,
Et n'y trouvez-vous point à séparer vos vœux?
AGLAURE.
Parmi l'éclat du sang, vos yeux n'ont-ils vu qu'elle345
A pouvoir mériter vos feux?
CLÉOMÈNE.
Est-ce que l'on consulte au moment qu'on s'enflamme?
Choisit-on qui l'on veut aimer?
Et pour donner toute son âme,
Regarde-t-on quel droit on a de nous charmer?350
AGÉNOR.
Sans qu'on ait le pouvoir d'élire,
On suit dans une telle ardeur
Quelque chose qui nous attire;
Et lorsque l'amour touche un cœur,
On n'a point de raisons à dire.355
AGLAURE.
En vérité, je plains les fâcheux embarras
Où je vois que vos cœurs se mettent.
Vous aimez un objet dont les riants appas
Mêleront des chagrins à l'espoir qu'ils vous jettent;
Et son cœur ne vous tiendra pas360
Tout ce que ses yeux vous promettent.
CYDIPPE.
L'espoir qui vous appelle au rang de ses amants
Trouvera du mécompte aux douceurs qu'elle étale;
Et c'est pour essuyer de très-fâcheux moments,
Que les soudains retours de son âme inégale.365
AGLAURE.
Un clair discernement de ce que vous valez
Nous fait plaindre le sort où cet amour vous guide;
Et vous pouvez trouver tous deux, si vous voulez,
Avec autant d'attraits, une âme plus solide.
CYDIPPE.
Par un choix plus doux de moitié,370
Vous pouvez de l'amour sauver votre amitié;
Et l'on voit en vous deux un mérite si rare,
Qu'un tendre avis veut bien prévenir par pitié
Ce que votre cœur se prépare.
CLÉOMÈNE.
Cet avis généreux fait pour nous éclater 375
Des bontés qui nous touchent l'âme;
Mais le ciel nous réduit à ce malheur, Madame,
De ne pouvoir en profiter.
AGÉNOR.
Votre illustre pitié veut en vain nous distraire
D'un amour dont tous deux nous redoutons l'effet:380
Ce que notre amitié, Madame, n'a pas fait,
Il n'est rien qui le puisse faire.
CYDIPPE.
Il faut que le pouvoir de Psyché.... La voici.
SCÈNE III.
PSYCHÉ, CYDIPPE, AGLAURE,
CLÉOMÈNE, AGÉNOR.
CYDIPPE.
AGLAURE.
Préparez vos attraits à recevoir ici 385
Le triomphe nouveau d'une illustre conquête.
CYDIPPE.
Ces princes ont tous deux si bien senti vos coups,
Qu'à vous le découvrir leur bouche se dispose.
PSYCHÉ.
Du sujet qui les tient si rêveurs parmi nous,
Je ne me croyois pas la cause; 390
Et j'aurois cru toute autre chose
En les voyant parler à vous.
AGLAURE.
N'ayant ni beauté ni naissance
A pouvoir mériter leur amour et leurs soins,
Ils nous favorisent au moins 395
De l'honneur de la confidence.
CLÉOMÈNE.
L'aveu qu'il nous faut faire à vos divins appas
Est sans doute, Madame, un aveu téméraire;
Mais tant de cœurs près du trépas
Sont par de tels aveux forcés à vous déplaire, 400
Que vous êtes réduite à ne les punir pas
Des foudres de votre colère.
Vous voyez en nous deux amis
Qu'un doux rapport d'humeurs sut joindre dès l'enfance;
Et ces tendres liens se sont vus affermis 405
Par cent combats d'estime et de reconnoissance.
Du destin ennemi les assauts rigoureux,
Les mépris de la mort et l'aspect des supplices,
Par d'illustres éclats de mutuels offices,
Ont de notre amitié signalé les beaux nœuds;410
Mais à quelques essais qu'elle se soit trouvée,
Son grand triomphe est en ce jour;
Et rien ne fait tant voir sa constance éprouvée
Que de se conserver au milieu de l'amour.
Oui, malgré tant d'appas, son illustre constance 415
Aux lois qu'elle nous fait a soumis tous nos vœux:
Elle vient, d'une douce et pleine déférence,
Remettre à votre choix le succès de nos feux;
Et pour donner un poids à notre concurrence,
Qui des raisons d'État entraîne la balance 420
Sur le choix de l'un de nous deux,
Cette même amitié s'offre sans répugnance
D'unir nos deux États au sort du plus heureux.
AGÉNOR.
Oui, de ces deux États, Madame,
Que sous votre heureux choix nous nous offrons d'unir,
Nous voulons faire à notre flamme,
Un secours pour vous obtenir.
Ce que, pour ce bonheur, près du roi votre père,
Nous nous sacrifions tous deux,
N'a rien de difficile à nos cœurs amoureux; 430
Et c'est au plus heureux faire un don nécessaire
D'un pouvoir dont le malheureux,
Madame, n'aura plus affaire.
PSYCHÉ.
Le choix que vous m'offrez, princes, montre à mes yeux
De quoi remplir les vœux de l'âme la plus fière, 435
Et vous me le parez tous deux d'une manière
Qu'on ne peut rien offrir qui soit plus précieux.
Vos feux, votre amitié, votre vertu suprême,
Tout me relève en vous l'offre de votre foi;
Et j'y vois un mérite à s'opposer lui-même 440
A ce que vous voulez de moi.
Ce n'est pas à mon cœur qu'il faut que je défère
Pour entrer sous de tels liens:
Ma main, pour se donner, attend l'ordre d'un père,
Et mes sœurs ont des droits qui vont devant les miens.
Mais si l'on me rendoit sur mes vœux absolue,
Vous y pourriez avoir trop de part à la fois;
Et toute mon estime, entre vous suspendue,
Ne pourroit sur aucun laisser tomber mon choix.
A l'ardeur de votre poursuite 450
Je répondrois assez de mes vœux les plus doux;
Mais c'est, parmi tant de mérite,
Trop que deux cœurs pour moi, trop peu qu'un cœur pour vous.
De mes plus doux souhaits j'aurois l'âme gênée
A l'effort de votre amitié; 455
Et j'y vois l'un de vous prendre une destinée
A me faire trop de pitié.
Oui, princes, à tous ceux dont l'amour suit le vôtre
Je vous préférerois tous deux avec ardeur;
Mais je n'aurois jamais le cœur460
De pouvoir préférer l'un de vous deux à l'autre.
A celui que je choisirois
Ma tendresse feroit un trop grand sacrifice;
Et je m'imputerois à barbare injustice
Le tort qu'à l'autre je ferois. 465
Oui, tous deux vous brillez de trop de grandeur d'âme
Pour en faire aucun malheureux;
Et vous devez chercher dans l'amoureuse flamme
Le moyen d'être heureux tous deux.
Si votre cœur me considère 470
Assez pour me souffrir de disposer de vous,
J'ai deux sœurs capables de plaire,
Qui peuvent bien vous faire un destin assez doux;
Et l'amitié me rend leur personne assez chère
Pour vous souhaiter leurs époux. 475
CLÉOMÈNE.
Un cœur dont l'amour est extrême
Peut-il bien consentir, hélas!
D'être donné par ce qu'il aime?
Sur nos deux cœurs, Madame, à vos divins appas
Nous donnons un pouvoir suprême:480
Disposez-en pour le trépas;
Mais pour une autre que vous-même
Ayez cette bonté de n'en disposer pas.
AGÉNOR.
Aux princesses, Madame, on feroit trop d'outrage,
Et c'est pour leurs attraits un indigne partage485
Que les restes d'une autre ardeur.
Il faut d'un premier feu la pureté fidèle
Pour aspirer à cet honneur
Où votre bonté nous appelle;
Et chacune mérite un cœur 490
Qui n'ait soupiré que pour elle.
AGLAURE.
Il me semble, sans nul courroux,
Qu'avant que de vous en défendre,
Princes, vous deviez bien attendre
Qu'on se fût expliqué sur vous.495
Nous croyez-vous un cœur si facile et si tendre?
Et lorsqu'on parle ici de vous donner à nous,
Savez-vous si l'on veut vous prendre?
CYDIPPE.
Je pense que l'on a d'assez hauts sentiments
Pour refuser un cœur qu'il faut qu'on sollicite,500
Et qu'on ne veut devoir qu'à son propre mérite
La conquête de ses amants.
PSYCHÉ.
J'ai cru pour vous, mes sœurs, une gloire assez grande,
Si la possession d'un mérite si haut....
SCÈNE IV.
LYCAS, PSYCHÉ, AGLAURE, CYDIPPE, CLÉOMÈNE, AGÉNOR.
LYCAS.
Ah! Madame.
PSYCHÉ.
Qu'as-tu?
LYCAS.
Le Roi....
PSYCHÉ.
Quoi?
LYCAS.
PSYCHÉ.
De ce trouble si grand que faut-il que j'attende?
LYCAS.
Vous ne le saurez que trop tôt.
PSYCHÉ.
Hélas! que pour le Roi tu me donnes à craindre!
LYCAS.
Ne craignez que pour vous, c'est vous que l'on doit plaindre.
PSYCHÉ.
C'est pour louer le ciel, et me voir hors d'effroi,510
De savoir que je n'aie à craindre que pour moi.
Mais apprends-moi, Lycas, le sujet qui te touche.
LYCAS.
Souffrez que j'obéisse à qui m'envoie ici,
Madame, et qu'on vous laisse apprendre de sa bouche
Ce qui peut m'affliger ainsi.515
PSYCHÉ.
Allons savoir sur quoi l'on craint tant ma foiblesse.
SCÈNE V.
AGLAURE, CYDIPPE, LYCAS.
AGLAURE.
Si ton ordre n'est pas jusqu'à nous étendu,
Dis-nous quel grand malheur nous couvre ta tristesse.
LYCAS.
Hélas! ce grand malheur dans la cour répandu,
Voyez-le vous-même, princesse,520
Dans l'oracle qu'au Roi les destins ont rendu.
Voici ses propres mots que la douleur, Madame,
A gravés au fond de mon âme:
«Que l'on ne pense nullement
A vouloir de Psyché conclure l'hyménée;525
Mais qu'au sommet d'un mont elle soit promptement
En pompe funèbre menée;
Et que de tous abandonnée,
Pour époux elle attende en ces lieux constamment
Un monstre dont on a la vue empoisonnée,530
Un serpent qui répand son venin en tous lieux,
Et trouble dans sa rage et la terre et les cieux.»
Après un arrêt si sévère
Je vous quitte, et vous laisse à juger entre vous
Si par de plus cruels et plus sensibles coups535
Tous les Dieux nous pouvoient expliquer leur colère.
SCÈNE VI.
AGLAURE, CYDIPPE.
CYDIPPE.
Ma sœur, que sentez-vous à ce soudain malheur
Où nous voyons Psyché par les destins plongée?
AGLAURE.
Mais vous, que sentez-vous, ma sœur?
CYDIPPE.
A ne vous point mentir, je sens que dans mon cœur540
Je n'en suis pas trop affligée.
AGLAURE.
Moi, je sens quelque chose au mien
Qui ressemble assez à la joie.
Allons, le destin nous envoie
Un mal que nous pouvons regarder comme un bien.545
PREMIER INTERMÈDE.
La scène est changée en des rochers affreux, et fait voir en éloignement une grotte effroyable.—C'est dans ce désert que Psyché doit être exposée pour obéir à l'oracle. Une troupe de personnes affligées y viennent déplorer sa disgrâce. Une partie de cette troupe désolée témoigne sa pitié par des plaintes touchantes et par des concerts lugubres; et l'autre exprime sa désolation par une danse pleine de toutes les marques du plus violent désespoir.
PLAINTES EN ITALIEN,
Chantées par une femme désolée et deux hommes affligés.
FEMME DÉSOLÉE.
Deh! piangete al pianto mio,
Sassi duri, antiche selve,
Lagrimate, fonti, e belue,
D'un bel volto il fato rio.
1. HOMME AFFLIGÉ.
Ahi dolore!550
2. HOMME AFFLIGÉ.
Ahi martire!
1. HOMME AFFLIGÉ.
Cruda morte!
2. HOMME AFFLIGÉ.
Empia sorte!
TOUS TROIS.
Che condanni a morir tanta beltà,
Cieli, stelle, ahi crudeltà!555
2. HOMME AFFLIGÉ.
Com' esser può fra voi, o numi eterni,
Chi voglia estinta una beltà innocente?
Ahi! che tanto rigor, cielo inclemente,
Vince di crudeltà gli stessi inferni!
1. HOMME AFFLIGÉ.
Nume fiero!560
2. HOMME AFFLIGÉ.
Dio severo!
ENSEMBLE.
Perchè tanto rigor
Contro innocente cor?
Ahi sentenza inudita!
Dar morte a la beltà, ch' altrui dà vita.565
FEMME DÉSOLÉE.
Ahi ch' indarno si tarda!
Non resiste agli dei mortale affetto,
Alto impero ne sforza:
Ove commanda il ciel, l'uom cede a forza.
Ahi dolore! etc., come sopra.570
(Ces plaintes sont entrecoupées et finies par une entrée de ballet de huit personnes affligées.)